Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.
Cet Entretien est basé sur le chapitre I de Les Bases du Yoga, « Calme, Paix, Équanimité ». En raison de la pluie, la classe a lieu dans la salle de gymnastique.
Alors, des questions mouillées!
Douce Mère, qu’est-ce que c’est que « la liberté du Soi » ?
Cela veut dire que dans l’être véritable intérieur, on se sent parfaitement libre, et on est libre de tout. On a le sens d’une liberté complète, libre de toutes les influences extérieures, libre de toutes les impulsions inférieures, de tous les esclavages de pensées, d’habitudes... Voilà.
(À une enfant) Toi, tu as une question?
Ici, je n’ai pas compris : « ... sous aucun prétexte il ne faut se soustraire à sa sollicitude ».
Quoi? Sous aucun prétexte il ne faut se soustraire à sa sollicitude? Tu ne comprends pas ça ? Tiens! Pourquoi tu ne comprends pas? Tu ne sais pas ce que ça veut dire, ou quoi?
« Soustraire », tu ne sais pas ce que c’est?
Non.
Ah! bon! Eh bien, soustraire, ça veut dire se retirer, s’éloigner, échapper, refuser, rejeter — tout cela.
Sollicitude, tu sais ce que ça veut dire?
Pas bien.
Pas bien? C’est le... bon, c’est care en anglais; c’est-à-dire le soin, l’attention, l’aide, le souci, justement le souci d’aider, et de faire du bien; c’est ça, la sollicitude. Quand on a de la sollicitude pour quelqu’un, on fait... on observe ses besoins, et on tâche de les satisfaire; on a de bonnes pensées, de bons sentiments, on veut aider, soutenir, rendre heureux. C’est ça, la sollicitude. Alors, se soustraire à la sollicitude, c’est refuser ces choses quand elles viennent, ou, n’est-ce pas, les méconnaître, ou les refuser.
D’ailleurs on le fait très souvent sans le savoir. Par exemple, tout sentiment d’indépendance, de besoin de se conduire soimême, de ne pas vouloir se soumettre — à aucune discipline, aucune règle —, de se tenir sur ses propres pieds, de ne vouloir aucun soutien que celui de soi-même, et d’être libre, indépendant dans ses mouvements, ça, c’est se soustraire à la sollicitude divine. Vouloir faire ce que l’on veut, sa propre volonté, d’une façon bien libre, bien indépendante — « ne faire que ce que je veux » —, ça, c’est se soustraire à la sollicitude divine.
On le fait assez souvent!
(À un enfant) Toi?
Quelquefois, quand on vous pose une question, vous ne la comprenez pas. Est-ce que c’est à cause d’un défaut dans notre langage ou la conscience?
Généralement la conscience.
Il y a une expérience comme ça : il y a des gens qui peuvent me parler pendant une demi-heure, je ne comprends pas la dixième partie de ce qu’ils me disent; et il y en a d’autres qui parlent très bas, très lentement, très doucement, je ne manque pas un mot. Dans un cas, c’est... Cela ne dépend pas de l’élocution, et cela ne dépend pas de l’expression, parce que je suis habituée à comprendre les gens même quand ils s’expriment mal. J’ai des années d’habitude de cela. Mais ce n’est pas ça. C’est qu’ils ne pensent pas clairement, c’est-à-dire plutôt d’une façon positive : ceux qui pensent tout à fait clairement, n’importe ce qu’ils disent, n’importe comment ils le disent, je le comprends; tandis que ceux qui ne pensent pas clairement, cela devient plus difficile. Et puis ceux qui ont l’habitude de déguiser leur pensée, qui ne sont pas francs, qui ne disent pas exactement ce qu’ils pensent ou ce qu’ils sentent, qui tâchent de présenter les choses d’une certaine façon, ça, ils peuvent me faire des discours, je ne comprends rien; et je sais ce qu’ils pensent, mais je ne sais pas ce qu’ils disent. Cela m’arrive très fréquemment : il y a des gens qui me parlent — je n’entends rien. Ça passe comme ça, je n’entends pas... Quoi? Quoi? Quoi? Et alors, quand ça se reproduit deux ou trois fois, je suis sûre que c’est ça, n’est-ce pas; ils ne disent pas ce qu’ils pensent, ils disent quelque chose avec l’intention de faire une impression quelconque, n’est-ce pas. Ils disent ça pour que, moi, je pense ça. Alors là, c’est inutile, je ne les entends pas. Il y a des degrés.
C’est tout? (À une enfant) Et toi? Rien! Personne n’a de questions? Il ne pleut pas ici, vous savez! (rires)
(À voix basse) Douce Mère, la passion est-elle une faiblesse...
(L’interrompant) Ah, écoute! Je suis en train de ne pas entendre!
La passion est-elle une faiblesse du cœur?
Je n’ai pas encore compris. « La pensée », c’est tout ce que j’ai entendu. (L’enfant hésite) Hein? Dis, dis, dis, mais pense à ce que tu dis!
(D’une voix forte) La passion... (L’enfant rit)
Ah!
(Une enfant) La passion!
(Pavitra) La passion!
La passion! Et moi, j’ai entendu « la pensée »! Bon! Alors, qu’est-ce qu’il y a dans la passion?
Est-ce une faiblesse du cœur?
Faiblesse? Non, c’est un dérèglement du vital ! (silence) Le sentiment vient du cœur, et alors le vital s’empare du sentiment et en fait une passion. (silence) Et un pas de plus, cela devient une folie! (silence) Alors?
Douce Mère, comment peut-on appeler le calme quand on est trop agité?
(Après un silence) Répète-moi ça. Comment...?
Comment peut-on appeler le calme?
Oh, « appeler »? Hum, hum! Faire venir le calme, tu veux dire? Comment? Simplement, comme quand tu veux appeler quelqu’un, tu l’appelles, non? (rires) C’est la même chose. Tu restes aussi calme que tu peux et tu désires le calme, tu aspires au calme, tu appelles le calme, comme ça, en restant aussi calme que tu peux à ce moment-ci. Demander à être encore plus calme. Vouloir le calme. Mais tout cela avec calme; parce que si tu le veux avec agitation, le calme ne viendra pas.
Parfois, quand on veut se concentrer, il y a généralement des pensées qui troublent, mais souvent des sortes d’images passent devant...
Tu vois des images quand tu médites?
Parfois.
Quand tu as les yeux ouverts ou fermés?
Fermés.
Fermés. Et quelles images? Des couleurs ou des images?
Parfois des couleurs, parfois des images.
Hum! Toujours, ou seulement quelquefois?
Pas toujours.
Et alors, tu demandes ce que c’est? Cela peut être beaucoup, beaucoup de choses.
Cela peut être simplement que, ayant les yeux physiques fermés, tes yeux intérieurs s’ouvrent et commencent à voir dans leur domaine, ou le physique subtil, ou le vital le plus matériel, comme ça.
Cela peut être une projection de tes propres pensées, c’est-àdire que, quand tu te mets à réfléchir à quelque chose, il y a certaines images qui passent comme ça, devant toi; elles passent plus devant ton esprit que devant tes yeux, et c’est comme une objectivation imagée de ta pensée, de ton état de pensée ou de ton état de conscience. Mais alors, cela devient assez clair, cohérent, et c’est intéressant. Cela peut servir d’indication.
Cela peut être aussi autre chose. Si tu es vraiment tranquille et que ta tête est tranquille, cela peut être... comment dire... des espèces de messages qui te viennent d’autres personnes, ou d’autres mondes, ou d’autres forces, qui viennent te dire quelque chose, te montrer; généralement, si tu vois des couleurs qui font comme ça, comme des pulsations, et puis tout d’un coup, c’est comme si tu les absorbais : ça, généralement, ce sont des forces qui sont envoyées par quelqu’un ou par quelque chose, qui viennent d’une force quelconque. Ce sont des sortes de messages. Alors, si tu es très tranquille dans ton mental, quelquefois ça vient avec une indication de ce que cela veut dire.
Il y a beaucoup de choses possibles, et il faut observer très attentivement, mais très tranquillement, sans activité mentale, sans chercher à comprendre à ce moment-là ; parce que dès que ton mental devient actif et essaye de comprendre, ça brouillera tout, et probablement tu ne verras plus rien.
Mais si tu restes bien tranquille, que tu observes seulement — comme si tu regardais silencieusement quelque chose, n’est-ce pas —, alors tu commenceras à voir d’une façon plus précise, et petit à petit à distinguer entre les différentes catégories de choses. Tu pourras savoir quelle chose est ceci, quelle chose est cela, etc., si ça vient de toi, si ça vient du dehors, si c’est sur un plan matériel, ou sur un autre plan. Tout ça, ça s’apprend par une très tranquille observation, mais très aiguë, n’est-ce pas; parce qu’il y a de toutes petites nuances, très petites, entre les différentes choses; et quand on s’habitue à distinguer ces nuances, alors on peut discerner exactement ce que c’est.
C’est toujours la même chose. Il faut être très tranquille, très attentif, autant que possible calmer la tête; parce que dès qu’elle commence à bouger, le phénomène se déforme.
En tout cas, d’une façon très générale, cela prouve que la vision intérieure commence à se développer, ou est développée.
(silence)
Plus rien? Tu as une autre question?
À propos du film qu’on nous a montré, quelle est la place de la souffrance dans la création de l’art?
Du film?
On a vu que par la douleur...
Ho, ho, ho, ho... le film de Berlioz?
Sa musique était mûrie par la douleur...
Oui, oui, alors quelle place? D’où cela vient?
La souffrance, quelle aide ça peut donner dans la création en art?
Quelle aide cela peut donner? Cela dépend des gens. Il y a des gens que cela aide très puissamment. Moi, je considère que cet homme-là est une des plus pures expressions de la musique. Que c’est presque... je pourrais dire que c’est une incarnation de la musique, de l’esprit musical. Malheureusement, son corps était un peu frêle; c’est-à-dire qu’il n’avait pas cette assise que donne le yoga, par exemple. Alors ça le secouait trop, et ça le rendait trop émotif, nerveux, agité, émotif. N’est-ce pas, ça, c’était une grosse faiblesse. Mais au point de vue création, j’ai toujours eu l’impression — et l’autre jour c’était très fort —, que vraiment il était en rapport avec l’esprit de la musique, n’est-ce pas, le sens musical lui-même, et que cela entrait en lui avec une telle force que cela le bouleversait; mais vraiment, vraiment, c’était comme une incarnation de la musique.
L’opinion que c’était la douleur qui l’avait rendu créateur, c’est une opinion purement humaine; ce n’est pas vrai. Ce qui est au contraire très remarquable, c’est — en retournant la chose —, c’est qu’il n’y avait pas de douleur physique qui ne se traduisait instantanément en musique en lui; c’est-à-dire que l’esprit musical était beaucoup plus fort que la douleur humaine, et chaque coup qu’il recevait de la vie — et comme il était justement trop sensible pour avoir la force de résister, il était secoué —, tout de même, instantanément cela se traduisait en musique. C’est une chose très rare.
Les gens — tous les créateurs —, généralement il leur faut un peu de... comment dire... de temps et de tranquillité pour pouvoir recommencer à créer. Tandis que lui, c’était spontané. Le coup de la douleur amenait l’expression musicale instantanément. Vraiment, n’est-ce pas, pour lui, toute la vie commençait avec la musique, finissait avec la musique. C’était la musique, et c’était une... il avait une telle sincérité et une telle intensité exclusive dans son attachement pour la musique, que j’ai l’impression que l’esprit musical se traduisait à travers lui.
Ce n’est peut-être pas la plus belle musique qui ait été écrite, à cause de cette espèce de faiblesse de ce que l’on appelle ici l’âdhâra 23 . Il était... sa formule physique était un peu trop faible. Mais au point de vue musical, c’est très beau, c’est très beau. (silence) Et malgré sa puissance, il avait une très grande simplicité. C’est une sorte de limpidité de lignes, ce qu’il a écrit, avec naturellement une connaissance technique très grande. Son pouvoir d’orchestration était très, très remarquable. Quand on peut orchestrer quelque chose pour six cents exécutants, c’est une science aussi compliquée que les mathématiques les plus compliquées; et en fait, c’est très proche.
J’ai connu un musicien qui n’était pas du tout son égal, mais qui était un très bon musicien, et il composait. Il a composé des opéras, des opéras-comiques, et de la musique de... pas de la musique de concert... Devant une feuille de papier, n’est-ce. pas, il avait une grande feuille de papier, et puis alors il mettait les noms des différents instruments; et en face de chacun, simplement, il écrivait, comme ça, ce qu’il devait jouer. C’était un ami, n’est-ce pas, je le voyais travailler. C’était comme s’il écrivait des équations, comme ça. Quand c’était fini, il n’y avait qu’à donner cela à un orchestre; cela faisait une chose magnifique. Quelquefois même... L’autre, vous avez remarqué, il jouait sur le piano, n’est-ce pas, son thème; il jouait quelques notes, ce n’était rien, cela avait l’air de deux ou trois notes, comme ça : c’était son thème. Et sur ce thème, alors, tout de suite il se mettait à écrire. Mais lui, quelquefois il ne jouait même pas le thème au piano, il écrivait directement. C’est une structure cérébrale spéciale. Il y a d’autres gens qui composaient exclusivement sur le piano et il fallait que quelqu’un d’autre écrive pour eux. Il fallait qu’un autre fasse ce travail de donner les différentes notes et comment organiser les notes pour reproduire l’harmonie qui était faite. Mais cet homme dont je parle, il y avait les grands musiciens, comme Saint-Saëns, par exemple, des musiciens de son époque, qui lui donnaient leurs compositions pour qu’il les orchestre. Ils écrivaient cela, n’est-ce pas, comme on écrit pour le piano, pour deux mains; et il changeait cela en musique d’orchestre. Il orchestrait, simplement comme j’ai dit, comme ça, séparant les différents groupes d’instruments et mettant en face de chacun quelle était la partie qu’il devait jouer.
Mère, quand on entend de la musique, comment faut-il vraiment entendre?
Ça, si on peut être tout à fait silencieux, n’est-ce pas, silencieux et attentif, simplement comme si l’on était un instrument qui doit enregistrer — on ne bouge pas, et on n’est rien que quelque chose qui écoute —, si l’on peut être tout à fait silencieux, tout à fait immobile et comme cela, alors ça, ça entre. Et c’est seulement après, quelque temps après, que l’on peut s’apercevoir de l’effet, ou de ce que cela voulait dire, ou de l’impression que cela vous a créé.
Mais la meilleure façon d’écouter, c’est cela, c’est d’être comme un miroir immobile et très concentré, très silencieux. D’ailleurs on voit, n’est-ce pas, les gens qui aiment vraiment la musique — j’ai vu des musiciens écouter de la musique, des musiciens, des compositeurs ou des exécutants qui aimaient vraiment la musique, je les ai vus écouter la musique —, ils s’immobilisent complètement, ils sont comme ça, ils ne bougent plus. Tout, tout est comme ça. Et si l’on peut ne pas penser, alors c’est très bien, alors on a le plein profit... C’est un des moyens d’ouverture intérieure qui est le plus puissant.
(long silence)
C’est tout?
Mère, quand on reçoit un choc, une douleur quelconque, est-ce qu’il faut essayer de l’exprimer soit par la musique soit par la poésie, quand ce n’est pas spontané?
L’exprimer? Si on a le don; autrement, ce n’est pas la peine. Mais si on a le don, c’est bien.
Il y a différentes profondeurs dans ces chocs. Ils ne sont pas tous sur le même plan. Généralement, les gens reçoivent les chocs émotifs ou sentimentaux tout à fait sur la surface, et c’est pour cela qu’ils pleurent, qu’ils crient, quelquefois ils gesticulent... Enfin, ça, ce sont les chocs qui sont dans la croûte extérieure. Mais il y a une profondeur plus grande que l’on reçoit généralement silencieusement, mais qui éveille en vous une vibration créatrice et un besoin de formuler. Alors si l’on est poète, on écrit de la poésie, si l’on est musicien, on fait de la musique, si l’on est littérateur, on écrit une histoire, et si l’on est philosophe, on exprime son état, on décrit son état.
Maintenant, il y a une profondeur plus grande de douleur qui vous laisse dans un silence absolu, et qui ouvre les portes intérieures à des profondeurs plus grandes qui peuvent vous mettre en contact immédiat avec le Divin. Mais ça, ça ne s’exprime pas en mots. Cela vous change votre conscience; mais généralement, il se passe du temps avant que l’on puisse rien en dire.
Berlioz, lui, il était dans la seconde catégorie.
Voilà, c’est tout?
Mère, chaque dimanche vous jouez de l’orgue, n’est-ce pas, et vous jouez toujours bien. Mais quelquefois on sent que vous jouez mieux !
Hein?
Chaque fois vous jouez bien, il n’y a pas de doute, mais quelquefois on sent que vous jouez mieux !
Quelquefois on sent, quelquefois on ne sent pas, quelquefois on aime, quelquefois on n’aime pas, quelquefois on comprend, quelquefois on ne comprend pas, et quelquefois je joue bien, et quelquefois je joue mal ! (rires)
Cela dépend de beaucoup de choses, surtout de l’état dans lequel on se trouve soi-même. Cela peut dépendre beaucoup de la région qui veut s’exprimer dans la musique. Il y en a qui sont accessibles, il y en a qui sont plus difficiles à comprendre ou à recevoir; mais généralement, cela dépend presque exclusivement de la condition dans laquelle on est soi-même. Le jour où on est bien disposé, on aime ça ; le jour où on est mal disposé, on ne comprend pas. Il y a des jours où ça vous endort, il y a des jours où ça vous fait plaisir, il y a des jours où on a l’impression que ça vous ouvre un horizon, il y a des jours où on dit : « sais pas », « comprends pas ». Voilà. Cela dépend tout à fait de comment l’on est soi-même.
Mère, quand tu joues, est-ce que tu décides d’avance de quelle région la musique doit venir?
Le dimanche, quand tu joues, est-ce que tu décides d’avance de quelle région la musique doit venir?
Moi?
D’où est-ce que ça vient?
Avant de m’asseoir, je ne sais même pas quelles notes je vais jouer. Région? C’est toujours la même région. C’est pour cela que je peux parler avec quelque expérience de l’origine de la musique de Berlioz, parce que c’est une région qui m’est très connue, que je fréquente assidûment. Mais je ne sais pas du tout ce qui viendra. Rien du tout, rien... Je ne décide même pas quel est le sentiment, ou l’idée, ou l’état de conscience qui va s’exprimer, rien. Je suis comme une feuille blanche. Je viens m’asseoir, je me concentre une minute, et je laisse venir. Après, quelquefois, je sais. Pas toujours. Mais quand je l’entends pour la seconde fois ici, l’après-midi, le soir, alors ça, je sais : parce que ce n’est plus de moi, c’est quelque chose qui vient du dehors. Alors je sais bien comment c’est!
Mais un jour, Douce Mère, tu avais dit à tout le monde ce que tu allais jouer.
Oui, ce jour-là je savais ce que j’allais jouer. Cela peut arriver.
Il y a des fois où je sais, des fois où je ne sais pas. Seulement, il y a des fois où, si je disposais d’un orchestre de deux cents exécutants, ce serait très intéressant! Les moyens sont pauvres; c’est-à-dire que la musique que je perçois, qui vient à moi, s’exprimerait très bien comme... par ce que l’on nous a montré l’autre soir au cinéma. Cela aurait besoin de, n’est-ce pas, d’une expression de ce genre pour s’exprimer totalement. Alors il faut rassembler cela comme dans un compte-gouttes, et puis le donner goutte à goutte, comme ça. Alors, naturellement, c’est très réduit. Cela ne fait pas grand-chose. Il y en a la plus grande partie qui échappe.
Voilà, maintenant je crois que c’est fini. Plus rien d’important, d’intéressant, d’urgent? (Regardant une enfant qui cherche dans son texte) Aïe! elle a encore son nez dans son livre!
Ici, je n’ai pas compris...
Pas compris! Il y a beaucoup de choses que tu n’as pas comprises! (rires)
« Ce qui vous arrive est un essai de la conscience de se fixer dans cette libération. »
Alors, qu’est-ce que tu n’as pas compris?
« Ce qui vous arrive est un essai de la conscience... »
Sri Aurobindo répond, c’est toujours la même chose, il répond à quelque chose que la personne qui a écrit la lettre... une expérience qu’elle a eue, ou quelque chose qu’elle a décrit. Il répond à cela, et il dit : « Ça, c’est... », l’explication de ce qui s’est passé. Alors, cela ne veut pas dire autre chose que ce que ça dit. C’est une explication. Quelle était l’expérience? Il ne dit le pas. Comprends pas, hein?
Mère, il y a dans notre être beaucoup d’éléments, n’est-ce pas, dont nous ne sommes pas conscients.
Oui, beaucoup!
Est-ce qu’il peut y avoir des parties qui servent le Divin sans que nous en soyons conscients?
Oui! oui! En fait, il y en a qui sont toujours, non seulement à la recherche, mais dans une intense aspiration, et on n’en est pas conscient. L’être psychique est comme ça, et il est là, toujours. Mais on ne s’en aperçoit que très rarement. C’est tellement voilé, n’est-ce pas. J’appelais cela tout à l’heure une croûte extérieure. C’est vraiment comme une croûte. C’est quelque chose de dur, compact, et qui n’a pas de transparence, qui ne laisse pas passer les vibrations, et l’on vit tellement constamment làdedans que l’on ne s’aperçoit même pas qu’il y a autre chose. Mais il y a, il y a même tout au fond de l’être — surtout pour ceux qui sont prédestinés, bien entendu, mais enfin —, un être qui non seulement veille au destin, non seulement aspire à l’identification avec le Divin, mais a le pouvoir de gouverner les circonstances de la vie, et, en fait, les organise en dépit de la volonté extérieure qui très souvent se révolte et ne veut pas des circonstances telles que cette conscience intérieure — qui est toute clairvoyante —, telle qu’elle les a organisées elle-même. Et c’est seulement longtemps après, quand on prend conscience d’elle et qu’on regarde en arrière sa vie, que l’on s’aperçoit que tout cela était merveilleusement organisé par une clairvoyance totale de ce qu’il fallait, pour vous mener là, juste là où vous deviez aller!
Le plus souvent les choses que l’on prenait pour des accidents, ou pour des infortunes, ou même pour des malheurs, ou même pour des chocs du destin, pour des attaques de forces adverses, tout cela, presque tout sans exception, c’était un plan merveilleusement perspicace et admirablement exécuté pour vous mener juste là où vous deviez aller, par le plus court chemin.
Naturellement, ce n’est pas toujours absolu. Parce que cela dépend de l’importance de l’individu par rapport à l’importance des circonstances environnantes. C’est pour cela que j’ai dit au commencement : tout être prédestiné. Ce que je veux dire par « prédestiné », c’est un être qui est venu sur terre pour accomplir une mission précise, et qui, naturellement, sera aidé dans l’accomplissement de cette mission. Cela peut être une mission très modeste, mais c’est une mission précise qu’il devait accomplir sur la terre. Eh bien, tous ces êtres-là, leur vie est organisée comme ça ; mais quatre-vingt-dix-neuf fois et demie sur cent, ils ne s’en aperçoivent pas, et ils se révoltent, ou ils se lamentent, ou... Et puis, surtout, ils ont très grande pitié d’euxmêmes et de leurs propres difficultés, de leurs propres misères, de leurs propres souffrances, et ils se caressent gentiment : « Oh, mon pauvre petit, comme tu es malheureux ! » Mais c’est leur être intérieur qui a tout fait.
Voilà.
Au revoir, mes enfants.
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