CWM (Fre) Set of 18 volumes
Entretiens - 1954 Vol. 6 of CWM (Fre) 533 pages 2009 Edition
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Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.

Entretiens - 1954


septembre




Le 22 septembre 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre I de Les Bases du Yoga, « Calme, Paix, Équanimité ».

Douce Mère, qu’est-ce que c’est que Sat-Purusha ?

Le Purusha, ce que c’est dans l’être? La connaissance. L’être conscient.

Quelle est cette vraie création supramentale?

Vraie création, cela veut dire la nouvelle création supramentale, celle que l’on veut faire ici. Quand on parle d’un nouveau monde transformé, c’est la création supramentale.

Que veut dire « véhémence râjasique » ?

Véhémence? C’est ça, véhémence, c’est violence. C’est une excessive ardeur; et râjasique, c’est l’élément superactif et violent, c’est l’élément turbulent dans l’être. Rajasique, c’est le caractère de tous les emportements et tous les enthousiasmes, et toutes les violences et toutes les passions, et suractivités aussi, par opposition au tamas qui est inerte, et au sattva qui est équilibré. Cela, c’est l’élément superactif et violent.

Mère, maintenir sa conscience haute, est-ce que ça veut dire essayer d’avoir des pensées plus hautes?

Ça, c’est plutôt une conséquence qu’un fait. Quand on maintient sa conscience à un degré supérieur, naturellement elle sert de filtre pour les pensées et n’amène que les pensées d’ordre supérieur. Mais c’est plutôt une conséquence qu’un fait. Maintenir sa conscience dans un état supérieur, c’est l’élever au-dessus des niveaux inférieurs dans l’être, c’est la maintenir dans la lumière, dans la paix, dans la connaissance et dans l’harmonie supérieures; c’est-à-dire, placer sa conscience aussi haut que l’on peut dans son être, là où on est libéré de tous les mouvements inférieurs. Alors, naturellement, si la conscience est là, les pensées qu’elle reçoit sont des pensées d’un ordre supérieur. Et la pensée n’est qu’une forme d’activité de la conscience, ce n’est pas l’étoffe de la conscience. Il y a une conscience sans pensée, il y a un état de conscience très supérieur où il n’y a pas de pensées. C’est une conscience qui peut avoir une connaissance très parfaite des choses, sans que ce soit exprimé en pensées et en mots. La pensée est seulement une forme d’activité.

« Le silence est plus facilement établi par un influx d’en haut. » « D’en haut » veut dire, Douce Mère?

Des régions supérieures de la conscience. N’est-ce pas, si vous vous ouvrez aux régions supérieures de la conscience, et que la force descende du haut, tout naturellement elle établit un silence dans les régions inférieures, parce qu’elles sont dominées par cette puissance supérieure qui descend. Cela vient des régions supérieures du mental ou d’au-delà, même du Supramental. Alors, quand cette force et cette conscience descendent et entrent dans les consciences d’un plan inférieur, ces consciences deviennent naturellement tranquilles, parce qu’elles sont comme envahies, comme inondées par cette lumière supérieure qui les transforme.

En fait, c’est même la seule façon d’établir un silence constant dans son mental. C’est de s’ouvrir à des régions supérieures et de laisser cette conscience supérieure, cette force, cette lumière, descendre constamment dans le mental plus inférieur et prendre possession de lui. Et là, quand c’est comme cela, ce mental inférieur peut rester constamment tranquille et silencieux, parce que c’est cela qui agit, et qui remplit tout l’être. On peut agir, écrire et parler sans que le mental soit actif, avec cette force venant d’en haut, pénétrant dans le mental et se servant de lui, et le mental lui-même devient simplement un instrument pacifique. Et en fait, c’est la seule façon d’établir le silence; parce qu’une fois que ça, c’est établi, le silence est établi, le mental ne bouge plus, il agit seulement sous l’impulsion de cette force quand elle se manifeste en lui. C’est comme un champ très tranquille, très silencieux, et quand la force vient, elle met en mouvement et se sert des éléments, et elle s’exprime à travers le mental sans que le mental s’agite. Il reste très tranquille.

Douce Mère, comment vider la conscience de son contenu mélangé?

Par l’aspiration, le rejet des mouvements inférieurs, l’appel d’une force supérieure. Si l’on n’accepte pas certains mouvements, naturellement, quand ils sentent qu’ils ne peuvent pas se manifester, petit à petit ils diminuent en force et ils arrêtent de se produire. Si l’on se refuse à exprimer tout ce qui est d’une nature inférieure, petit à petit, la chose elle-même disparaît, et la conscience se vide des choses inférieures. C’est par le refus de la manifestation — je veux dire, non pas seulement dans l’action, mais aussi dans la pensée, dans le sentiment. Quand les impulsions, les pensées, les émotions viennent, si on se refuse à les manifester, si on les écarte et que l’on reste dans un état d’aspiration intérieure et de calme, alors, petit à petit, elles perdent leur force et elles cessent de venir. Alors la conscience se vide de ses mouvements inférieurs.

Mais, par exemple, quand il vient des pensées qui ne sont pas désirables, si vous les regardez, si vous les observez, si vous vous plaisez à les suivre dans leurs mouvements, jamais elles ne cesseront. La même chose quand vous avez ou des sentiments ou des sensations qui ne sont pas désirables : si vous vous occupez d’eux, si vous vous concentrez sur eux, ou si même vous les regardez avec une certaine indulgence, ils ne cesseront jamais. Mais si vous vous refusez absolument à les recevoir et à les manifester, au bout d’un certain temps, cela cesse. Il faut être patient, et très obstiné.

Dans une grande aspiration, si vous pouvez vous mettre en contact avec quelque chose de supérieur, quelque influence de votre être psychique ou quelque lumière d’en haut, et que vous arriviez à la mettre en contact avec ces mouvements inférieurs, naturellement ils s’arrêtent plus vite. Mais avant même de pouvoir, par l’aspiration, attirer ces choses-là, vous pouvez déjà, par un refus très obstiné et très patient, vous pouvez empêcher ces choses de se manifester en vous. Quand il vient des pensées que vous n’aimez pas, si simplement vous les écartez et vous ne vous occupez pas d’elles du tout, au bout d’un certain temps elles ne viendront plus. Mais il faut le faire d’une façon très obstinée et très régulière.

Tu avais dit qu’il faut savoir qu’on n’est rien, etc., sans la Grâce divine. Alors pourquoi faire tant d’efforts pour savoir qu’on n’est rien?

Pourquoi faire tant d’efforts? Dans quel sens? Vous voulez faire les efforts pour une raison personnelle? C’est pour votre satisfaction personnelle que vous voulez faire les efforts? C’est comme les gens qui disent : « Mais si ce n’est pas moi qui travaille et si ce n’est pas mon travail, comment est-ce que je peux travailler? » C’est la même chose, et pourtant c’est comme ça. Si vous sentez comme ça, cela veut dire que vous avez encore besoin, un grand besoin, de votre ego, et que si votre ego vous était retiré tout d’un coup, vous ne pourriez plus rien faire. Si vous avez besoin d’un mobile personnel pour faire quelque chose, cela veut dire que, n’est-ce pas, vous êtes encore entièrement dans votre ego. Tant que c’est nécessaire, on y reste. Seulement, alors, il ne faut pas s’imaginer qu’on peut aller vite. Cela prend très longtemps, quelquefois plusieurs existences, quelquefois un grand nombre d’existences. Si vous avez besoin de raisons personnelles pour faire les choses, il n’y a qu’à attendre que ça vous passe, et que vous compreniez que ce n’est pas pour une raison personnelle qu’il faut faire les choses.

Par exemple, ce n’est pas pour une raison personnelle qu’il faut vouloir la perfection, ce n’est pas pour une raison personnelle qu’il faut vouloir l’union avec le Divin, ce n’est pas pour une raison personnelle qu’il faut vouloir la transformation supramentale. Si c’est pour votre bien propre et pour une raison personnelle, eh bien, suivez votre chemin; je vous dis, cela vous mènera là-bas, après un certain nombre de vies. N’est-ce pas, il y a un état où on ne peut même pas comprendre que l’on puisse exister sans une raison personnelle. Tant que c’est comme ça... Si moi, n’est-ce pas, je vous enlevais tout d’un coup votre conscience personnelle et votre raison personnelle, vous n’existeriez plus. Alors, il faut attendre tranquillement que vous puissiez réaliser en vous-même que ce n’est pas la vraie cause des choses.

Il n’y a rien à faire qu’à attendre?

Hein? Rien à faire qu’à attendre? Pour moi!... C’est moi qui passe mon temps à attendre que vous soyez prêts! (Mère rit)

C’est un problème très délicat, parce que, pendant très longtemps, si l’on ne sent pas, si l’on n’a pas cette aspiration personnelle de se perfectionner, cette aspiration personnelle d’entrer en relation avec le Divin, cette aspiration personnelle de réaliser la conscience supramentale, eh bien, on dit comme vous venez de faire : « Alors à quoi ça sert de faire quoi que ce soit? Il n’y a qu’à rester tranquille. » Eh bien, tant que c’est comme ça, et tant que vous n’avez pas développé en vous une conscience suffisante pour que ça puisse être autrement, il n’y a rien à dire, et rien à faire; je n’ai qu’à attendre.

Attendre veut dire des existences?

Oui.

Pour quelques-uns, cela peut aller plus vite; si tout d’un coup quelque chose se retourne au-dedans d’eux, et s’ils ont une expérience — ne serait-ce que l’expérience d’une identification avec le psychique —, alors, tout d’un coup ils comprennent. L’identification avec le psychique, cela veut dire une identification avec la Conscience divine. Alors, immédiatement ils comprennent; ils comprennent et ça fait même rire. On a l’impression d’avoir été si ridicule. (Mère rit)

Ce sens de sa personne, cela devient comme une cage, comme une prison qui vous enferme, qui vous empêche d’être vrai, de savoir vraiment, de pouvoir vraiment, de comprendre vraiment. C’est quelque chose comme si on vous mettait dans une coquille bien dure, là, et que vous soyez obligé de rester là-dedans.

Ça, c’est la première sensation que l’on a. Après, on commence à taper contre la coquille pour casser ça. Quelquefois ça résiste très longtemps. Mais enfin, quand on commence à sentir ça, que ce que l’on croyait être soi-même, la personne qui fait les choses, et pour laquelle on les fait, la personne qui existe et qui fait que vous êtes vous-même, n’est-ce pas, quand vous passez de ça à la conscience que ça, c’est une prison qui vous empêche d’être vraiment vous-même, alors vous avez fait un grand progrès, et il y a un espoir. On se sent étouffé, écrasé, tout à fait enfermé dans une prison sans air, sans lumière et sans ouverture, et alors, on commence à pousser du dedans, pousser, pousser, pousser, pour que ça se casse.

Et le jour où ça se casse, le jour où ça s’ouvre, tout d’un coup, on entre dans la conscience psychique. Et alors, on comprend. Et alors, vraiment, si on a le sens de l’humour, on rit; on se rend compte de sa stupidité.

Mère, tu avais dit un jour qu’avant de pouvoir s’identifier avec le Divin, il faut d’abord devenir un individu.

Oui, eh bien, c’est exactement cela. Vous êtes dans la période où on devient un individu. Et tant qu’on est dans la période dans laquelle on devient un individu, eh bien, il faut attendre que cette période soit passée, c’est-à-dire, que vous soyez devenu un individu conscient. Parfaitement. C’est cela.

Mère, tu avais dit : « Il y en a très peu, un sur un million peut-être, qui soient conscients réellement. »

Oh, si tu prends l’humanité la plus large, certainement; et la plus grande masse de l’humanité ne deviendra jamais un individu, ce sera toujours une masse amorphe qui est toute mélangée de l’un et de l’autre, là, comme ça... Devenir un individu, c’est ce que Sri Aurobindo appelle devenir vraiment un homme mental. Eh bien, si vous avez lu Le Cycle Humain, vous verrez que ce n’est déjà pas si facile de devenir un homme vraiment mental, qui pense par lui-même, qui est libre de toutes les influences extérieures, qui est une individualité, qui existe, qui a sa réalité; ce n’est déjà pas si facile.

Mais, par une sorte de Grâce, il se peut qu’avant d’être devenu un individu, si on a au-dedans de soi une aspiration, si on sent le besoin de s’éveiller à quelque chose qui voudrait plus, qui voudrait mieux, qui sent que c’est tout petit d’être un individu, quelque chose qui vraiment cherche au-delà des limites ordinaires, eh bien, même avant de devenir un individu, on peut tout d’un coup avoir l’expérience d’un contact avec son psychique qui vous ouvre toutes les portes. Elles se referment après, mais une fois qu’elles se sont ouvertes, on ne l’oublie jamais. Le souvenir vous reste très vivant; et cela aide. Cela devrait vous arriver ici.

Douce Mère, l’identification avec le psychique, et le psychique qui vient en avant, c’est la même chose?

C’est-à-dire que le premier pas c’est l’identification, et puis, une fois que l’on peut garder cette identification, alors le psychique gouverne le reste de la nature et de la vie. Il devient comme le maître de l’existence. Alors, c’est cela que l’on appelle un psychique qui vient en avant. C’est lui qui gouverne, qui dirige, qui organise même la vie, organise la conscience, organise les différentes parties de l’être. Quand c’est comme ça, le travail va très vite. Très vite, enfin... relativement très vite.

Dans la conscience humaine, toutes les choses sont très lentes. Quand on mesure le temps qu’il faut pour réaliser quelque chose au temps moyen d’une existence humaine, c’est interminable. Mais heureusement qu’il y a un moment où l’on échappe à cette notion-là, où l’on commence à ne plus sentir selon la proportion humaine. Dès que l’on est vraiment en rapport avec le psychique, on perd cette espèce d’étroitesse et d’angoisse aussi, et qui est tellement mauvaise, cette angoisse : « Il faut faire vite, il faut faire vite, on n’a pas beaucoup de temps, il faut se dépêcher, on n’a pas beaucoup de temps. » On fait les choses très mal, ou on ne les fait plus du tout. Mais dès que l’on a un contact avec le psychique, ça, ça s’en va ; on commence à être un peu vaste, et calme, et paisible, à vivre dans une éternité.

Douce Mère, pourquoi sommes-nous tellement attachés à notre ego ?

Comme j’ai dit tout à l’heure, probablement parce que vous en avez encore beaucoup besoin, non? Pour devenir un être individualisé, conscient, on a besoin de son ego, c’est pour cela qu’il est là. Il n’y a que quand on a suffisamment réalisé son individualité propre, qu’on est devenu un être indépendant, conscient, qui a sa réalité propre, alors on n’a plus besoin de l’ego, à ce moment-là. Et à ce moment-là, on peut faire des efforts pour se débarrasser de lui. Malheureusement, la plupart des gens, dès qu’ils sont devenus une individualité propre, ils ont tellement le sens de leur importance et de leur capacité, qu’ils ne pensent même plus du tout à se débarrasser de leur ego. Mais ça, c’est une autre chose.

Ici, je ne vous laisse pas vous endormir. Je vous fais souvenir de temps en temps de la vraie chose. Mais vous êtes tous très jeunes, n’est-ce pas, et il faut un certain nombre d’années, de formation intensive intérieure, pour devenir un être pensant par lui-même, conscient de sa volonté propre, et conscient de son caractère propre, de sa raison d’être dans la vie, indépendant de la masse humaine. Il faut un certain temps. Il y a des enfants qui commencent très petits. Si l’on commence très petit, quand on a vingt ans, on peut être tout à fait formé. Mais il faut commencer très petit, et consciemment, très consciemment, il faut commencer avec un sens d’observation de tous les mouvements en soi, de leur relation avec les autres, de — justement —, de son degré d’indépendance, d’individualité propre, de savoir d’où viennent les impulsions, d’où viennent les mouvements : si c’est une contagion du dehors, si c’est quelque chose qui surgit du dedans de vous-même. Il faut une étude très approfondie de tous les mouvements en soi pour arriver à simplement cristalliser un être un peu conscient, un peu conscient. Mais quand on vit d’une façon fluide, n’est-ce pas, qu’on ne sait même pas ce qui se passe au-dedans de soi, qu’on a des sortes d’impressions vagues, et que, n’est-ce pas, si on s’interroge, au moins quatrevingt-dix-neuf fois sur cent, si on se demande : « Pourquoi j’ai pensé comme ça ? Pourquoi j’ai senti comme ça ? », même : « Pourquoi ai-je fait comme ça ? », alors la réponse est presque toujours la même : « Je ne sais pas. C’est venu comme ça, c’est tout. » C’est-à-dire qu’on n’est pas conscient du tout.

Est-ce que vous êtes capable de savoir, quand vous êtes avec les autres, ce qui vient de vous et ce qui vient des autres? Dans quelle mesure leur façon d’être, leurs vibrations propres, agissent sur vous? Vous ne vous en apercevez pas du tout. Vous vivez dans une sorte de conscience approximative, à moitié éveillée, à moitié endormie, en quelque chose de très vague, où vous arrivez à tâtonner, comme ça, pour attraper les choses. Mais une notion précise, claire, exacte de ce qui se passe en vous, pourquoi cela se passe en vous? Et alors, ça : les vibrations qui vous viennent de dehors et celles qui viennent du dedans de vous? Et alors, n’est-ce pas, ce qui peut venir des autres, changeant tout ça, donnant une orientation autre? Vous vivez dans une sorte de fluidité floue. Il y a certaines petites choses, tout d’un coup, qui se cristallisent dans votre conscience, vous les avez juste attrapées pour une minute; et c’est juste clair, comme ça, comme s’il y avait un projecteur, juste quelque chose qui passe sur l’écran, qui devient clair pendant une seconde : la minute d’après, tout est devenu comme ça, vague, imprécis, mais vous ne vous en apercevez pas, parce que vous ne vous êtes même pas posé la question, parce que vous vivez ainsi. Ça s’arrête là ; ça commence là, et ça finit là. Voilà tout. Vous faites de jour en jour, de minute en minute les choses que vous faites, comme ça... Ça se trouve être comme ça.

Ça viendra. Ça viendra. Sûrement ça viendra. Je ne vais pas vous laisser comme ça. Vous secouer un petit peu... je vais vous secouer un petit peu. Je ferai ce qu’il faut pour cela.

Voilà.

Douce Mère, quel est l’effet d’une aspiration qui vient de la véhémence râjasique?

L’effet d’une aspiration...? Eh bien, elle vous enlève la tranquillité, c’est le premier effet. Cela vous rend agité, nerveux, impatient, et mécontent quand vous n’obtenez pas immédiatement ce que vous avez demandé; et généralement, aussi véhément dans le désespoir et le mécontentement que dans l’aspiration, avec un sens véhément de votre impuissance.

Alors c’est le désir?

Ce n’est pas tout à fait la même chose. Il n’est pas question de désir, il est question d’aspiration. Mais les aspirations peuvent être comme cela. Le désir c’est tout à fait autre chose. Le désir, c’est quelque chose qui agit d’une façon tout à fait horizontale.

Dans votre conscience ordinaire, vous voulez quelque chose; vous n’avez pas du tout l’idée que vous aspirez à une chose qui est ou un progrès, ou une connaissance supérieure, ou une plus grande réalisation. Vous voyez dans un magasin un objet, et puis vous le voulez. Voilà. Ou il vous passe par la tête qu’il serait bon de manger une certaine chose, et puis vous la voulez. C’est ça, les désirs. C’est tout ce qui concerne les choses qui sont sur le même plan que vous. D’ailleurs, pour les désirs aussi, il y a des gens qui ont des désirs obstinés, véhéments, et puis il y a des gens qui ont des désirs fugitifs et sans force. Il y en a comme ça.

Mais la chose dont Sri Aurobindo parle là, c’est vraiment une aspiration, c’est quelqu’un qui aspire à la vie spirituelle, mais qui aspire avec une passion véhémente; et naturellement, cela dérange tout. Et d’ailleurs, le résultat qu’il obtient — même s’il obtient un résultat —, est très mélangé; et il est bourbeux, comme il dit, tout à fait impur, ordinaire. Il ne faut pas confondre ce qu’il appelle véhémence râjasique avec une intensité, parce qu’une intensité est une chose qui peut être très vaste, très calme, et très pure, et donner une puissance considérable à l’aspiration. Mais cela n’a rien à faire ni avec un mouvement râjasique, ni avec le désir.

Et par exemple, vous pouvez comprendre la chose comme cela : si vous avez une aspiration, tout d’un coup vous concevez la possibilité du progrès, n’est-ce pas, et vous avez une aspiration pour progresser; mais si un désir est mélangé à votre aspiration, vous aurez le désir de progresser pour les pouvoirs que cela vous donnera, ou l’importance que cela vous donnera, ou l’amélioration dans vos conditions de vie. Vous allez mélanger immédiatement toutes sortes de petites raisons très personnelles à votre aspiration. Et pour dire la vérité, il y a très peu de gens qui ont une aspiration très pure. Une aspiration, une volonté de progrès, et puis c’est tout; ça s’arrête là. Parce qu’on aspire au progrès et puis, voilà, n’allons pas plus loin. Nous voulons le progrès. Mais généralement, il se mélange à cela toutes sortes de désirs des conséquences du progrès. Et alors le désir vient, n’est-ce pas; cela rend... justement ce qu’il dit... une conscience qui est impure et bourbeuse, et là-dedans rien de supérieur ne peut venir. Il faut que cela soit complètement éliminé d’abord. Si l’on se regarde d’une façon très sincère, très droite et très sévère, on s’aperçoit bien vite qu’il y a très peu de choses, très peu de mouvements de la conscience qui ne soient pas mélangés à des désirs. Même ce que vous prenez pour un mouvement supérieur, il y a toujours — non, heureusement ce n’est pas toujours, mais le plus souvent —, il y a un désir qui est mélangé. Le désir du sens de son importance, ne serait-ce que cela, cette espèce de satisfaction de soi, d’être quelqu’un de supérieur.

C’est déjà quelque chose de beaucoup mieux que ceux qui veulent devenir des yogis pour épater le voisin et pour avoir de l’autorité sur les autres, et pour que les autres soient pleins d’admiration pour eux, et de respect. Combien de choses sont vraiment pures? Aspiration pure? Il faut être déjà arrivé à un niveau très supérieur, ce niveau dont j’ai parlé, où l’on peut se regarder avec un sourire, un sourire un peu ironique, et on a l’impression qu’on était si petit, si petit, si petit, si mesquin, si insignifiant, et si sot. Après cela, ça va mieux. Mais pendant combien de temps tous les mouvements sont toujours à retourner sur eux-mêmes! Vous partez dans une courbe, comme si vous vous élanciez vers elle, devant cet univers, et vous retournez sur vous-même, espérant une petite conséquence, une petite satisfaction, une toute petite satisfaction, ne serait-ce que votre propre estime : « Oh, comme j’ai eu une belle aspiration. »

Voilà.









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