Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.
Si l’on prend un repas copieux, comment se fait-il que le sommeil soit troublé par des cauchemars?
Parce qu’il y a une connexion très étroite entre le rêve et l’état de l’estomac. On a fait des observations et on a remarqué que suivant ce que l’on mange, les rêves sont d’une nature ou d’une autre, et que si la digestion est difficile, cela tourne toujours en cauchemar, de ces cauchemars qui n’ont pas de réalité mais enfin qui sont tout de même des cauchemars et qui sont désagréables : le genre tigre, chat, etc. Ou alors il vous arrive des choses comme... par exemple, on court un très grand danger et il faut se dépêcher, s’habiller vite et sortir, et puis on ne peut plus s’habiller, on n’arrive plus à mettre ses affaires, on ne trouve plus rien, et si l’on veut mettre des souliers, jamais ils n’entrent dans les pieds, et si l’on veut aller très vite quelque part, les jambes ne marchent plus, elles sont paralysées et on est là à faire des efforts formidables pour avancer, et on ne peut pas bouger. C’est ce genre de cauchemars, cela vient de l’estomac qui ne marche pas.
Pourquoi le tabac et l’alcool abolissent-ils la mémoire et la volonté?
Pourquoi? Parce qu’ils le font! Il n’y a pas de raison morale. C’est un fait. Il y a un poison dans l’alcool, il y a un poison dans le tabac ; et ce poison entre dans les cellules et détériore les cellules. L’alcool ne s’élimine pour ainsi dire jamais, il s’accumule dans une certaine partie du cerveau, et alors après l’accumulation, ces cellules ne fonctionnent plus du tout — il y a des gens, d’ailleurs, qui en deviennent fous, c’est ce que l’on appelle le delirium tremens, qui est le résultat d’avoir avalé trop d’alcool que l’on n’absorbe pas, qui reste comme ça, concentré dans le cerveau. Et même, c’est si radical qu’il y a des pays — en France, par exemple — qui produisent du vin... Le vin a un pourcentage d’alcool très petit : je crois que c’est de quatre ou cinq pour cent, un très petit pourcentage. Et ces gens-là, parce qu’ils le produisent, boivent du vin comme on boit de l’eau. Ils boivent leur vin pur, et au bout d’un certain temps ils sont malades. Ils ont des dérangements du cerveau. J’en ai connu comme ça, le cerveau était dérangé, ne fonctionnait plus. Et le tabac, la nicotine est un poison très sérieux. C’est un poison destructeur des cellules. J’ai dit que c’était un poison lent parce qu’on ne le sent pas immédiatement sauf quand on fume pour la première fois et que ça vous rend très malade — et ça devrait vous faire comprendre que ce n’est pas à faire. Seulement, les gens sont tellement bêtes qu’ils croient que c’est une faiblesse et ils continuent, jusqu’à ce qu’ils s’habituent au poison; et le corps n’a plus de réaction, il se laisse détruire sans réagir : vous abolissez la réaction.
C’est la même chose physiquement que moralement. Quand vous faites quelque chose que vous ne devez pas faire et que votre psychique vous dit de sa petite voix très tranquille de ne pas le faire, et puis que vous le faites tout de même, au bout d’un certain temps il ne vous dit plus rien, et vous n’avez plus du tout de réactions intérieures à vos mauvaises actions, parce que vous avez refusé d’écouter la voix quand elle vous parlait. Et alors, naturellement, vous allez de mal en pis et vous dégringolez dans le trou. Eh bien, pour le tabac, c’est la même chose; les premières fois, le corps réagit violemment, il vomit, il vous dit : « Je n’en veux pas! à aucun prix ! » Vous l’obligez avec votre stupidité mentale et vitale, vous le contraignez à le faire, il ne réagit plus, et alors il se laisse empoisonner petit à petit, jusqu’à ce qu’il se décompose — le fonctionnement se détériore, ce sont des nerfs qui sont affectés, ils ne transmettent plus la volonté parce qu’ils sont affectés, ils sont empoisonnés. Ils n’ont plus la force de transmettre la volonté. Et à la fin, les gens se mettent à trembler, ils ont des mouvements nerveux. Il y en a — il n’y a pas besoin d’aller très loin pour en trouver. Et ils sont comme ça exclusivement parce qu’ils ont fait des excès : ils ont bu et ils ont fumé. Et quand ils prennent un objet, ils tremblent (geste). Voilà ce que l’on gagne à faire ça.
Certaines personnes ont un corps bien développé, mais malgré ça ils sont très nerveux. Alors...?
C’est généralement... Peut-être ont-ils une structure vitale très faible : ils peuvent être nerveusement faibles, avoir un système nerveux faible; peut-être est-ce cela, c’est peut-être un accident de naissance; mais c’est peut-être aussi une faiblesse mentale, parce qu’il est vrai que le corps sain vous donne des nerfs solides, mais il est encore beaucoup plus important d’avoir la pensée saine pour avoir les nerfs solides — si votre pensée n’est pas saine, si vos sentiments et vos pensées sont de mauvaise qualité si l’on peut dire, vos nerfs deviennent très mauvais, encore pires. Par exemple, ceux qui ont toutes sortes d’imaginations malsaines, ceux qui aiment les lectures malsaines, qui aiment les conversations malsaines (il y en a beaucoup, il y en a énormément), eh bien, ils peuvent perdre tout contrôle de leurs nerfs, ils peuvent devenir extrêmement nerveux, et avoir pourtant un corps qui est en très bon état et très sain. Les conversations malsaines et les lectures malsaines, je pourrais vous dire que c’est ce qu’il y a de pire, et quand vous faites vraiment la sâdhanâ, que vous essayez vraiment de faire des progrès, vous vous apercevez que, lorsque vous prononcez des mots inutiles, ne serait-ce que très peu, immédiatement il y a un énorme malaise qui vous prend comme ça, on se sent comme si tous les nerfs de la tête étaient tirés, et puis il y a quelque chose qui tourne ici, qui vous fait mal, et on sent un grand vide là-dedans et on a mal au cœur, comme si l’on avait mangé quelque chose de très mauvais — seulement pour quelques mots prononcés inutilement. C’est d’ailleurs l’indication sûre, dès que le malaise commence, on sait qu’il faut arrêter : « Maintenant, c’est fini. » Seulement, la plupart des gens sont tellement inconscients qu’ils ne s’en aperçoivent même pas, et avec leur volonté dévoyée, ils obligent leur système à faire ce qu’il ne doit pas faire. Alors le système est plus ou moins docile, obéit et continue à se détériorer lentement, comme ça, sans même donner de réactions visibles.
Je n’ai pas compris ce passage du texte : « Pour tous ceux qui aspirent au progrès, la continence est donc de règle. Mais spécialement pour ceux qui veulent se préparer à la manifestation supramentale, cette continence doit être remplacée par une abstinence totale, obtenue non par coercition et suppression, mais par une sorte d’alchimie intérieure, grâce à laquelle les énergies généralement utilisées dans l’acte procréateur sont transmuées en énergies de progrès et de transformation intégrale. » (Les Quatre Austérités et les Quatre Libérations)
Je n’ai pas compris ce passage du texte : « Pour tous ceux qui aspirent au progrès, la continence est donc de règle. Mais spécialement pour ceux qui veulent se préparer à la manifestation supramentale, cette continence doit être remplacée par une abstinence totale, obtenue non par coercition et suppression, mais par une sorte d’alchimie intérieure, grâce à laquelle les énergies généralement utilisées dans l’acte procréateur sont transmuées en énergies de progrès et de transformation intégrale. »
(Les Quatre Austérités et les Quatre Libérations)
C’est une chose assez connue des disciplines yoguiques en Inde quand on commence à être conscient de ses énergies et à en avoir le contrôle. N’est-ce pas, vous connaissez la théorie des différents « centres » où se concentrent les énergies? Généralement on dit qu’il y en a cinq. Mais le vrai nombre est de sept et même de douze. Mais enfin, ces centres-là sont des centres d’accumulation d’énergie, des énergies qui commandent certaines activités. Ainsi, il y a une accumulation d’énergie au centre sexuel — une grande accumulation d’énergie — et ceux qui ont le contrôle de ces énergies arrivent à les maîtriser et à les soulever, et ils les mettent ici. (Mère désigne le centre de la poitrine), et ici, c’est le centre des énergies de progrès. C’est ce qu’on appelle le siège d’Agni, mais ce sont les énergies de progrès, la volonté de progrès qui sont là. Alors les énergies qui se concentrent dans le centre sexuel, on les tire en haut et on les met là, et elles augmentent considérablement, au point que le centre sexuel devient absolument tranquille, paisible, immobile.
La pratique ordinaire pour maîtriser ces énergies est d’arriver à « dérouler » la kundalinî qui est lovée en bas de l’épine dorsale et à faire remonter les énergies par l’épine dorsale jusqu’aux différents centres, et de réveiller les centres, les ouvrir, les éveiller et les mettre en mouvement l’un après l’autre jusqu’au sommet de la tête, et alors, partir au-dessus. Et quand on arrive à cela (c’est la première pratique), quand on a déroulé la kundalinî, la maîtriser, la conduire et la développer — la conduire dans tous les centres, éveiller tous ces centres. Une fois que l’on a fait cela, on est maître du fonctionnement. Une fois que l’on est maître du fonctionnement, au lieu de laisser les énergies aux endroits où on ne les désire pas, on les tire et on les met aux endroits où elles sont utiles, et on les utilise comme ça, pour le progrès, pour la transformation.
Tout cela est le résultat de pratiques éclairées, assidues, très patientes; on ne fait pas « comme ça », en pensant à autre chose ou en s’amusant. Ce sont des disciplines. Naturellement, une fois que l’on est maître du fonctionnement, ça devient très intéressant. Mais ça ne se fait pas du jour au lendemain sans que l’on fasse ce qu’il faut.
Une fois, tu avais dit que l’amour humain était tordu et enlaidi par les hommes. Qu’était l’amour dans son origine?
Quoi?
L’amour humain.
Humain? Tiens, je ne l’ai pas dit? C’est l’Amour. Quand il devient un amour humain, il est comme je l’ai dit. L’Amour, dans son origine, est l’Amour divin. L’Amour dans l’homme, c’est-à-dire l’amour devenu humain, est tordu, déformé. Ce n’est que l’Amour divin qui est pur.
Quel est l’usage des sens pour se cultiver?
La culture par les sensations? C’est très à la mode.
C’est très à la mode. Maintenant, dans les écoles, on invente des disciplines pour développer le pouvoir d’observation des enfants, la rapidité de décision, de choix, la capacité de mesurer avec les yeux, l’appréciation, tout cela. On fait toutes sortes de jeux pour les enfants maintenant, pour leur apprendre tout cela. On peut aussi développer le sens de l’ouïe, le sens de l’odorat, le sens de la vue — tout cela peut se développer méthodiquement. Si, au lieu de juste vivre dans sa sensation — c’est « agréable ou désagréable », c’est « plaisant ou déplaisant » et toutes sortes de choses qui sont parfaitement inutiles —, si l’on arrive à calculer, à mesurer, à comparer, à noter, à étudier en détail toutes les vibrations... N’est-ce pas, les êtres humains vivent comme des aveugles, constamment, absolument inconscients, et ils se précipitent dans les sensations et dans les réactions, toutes les impulsions, et alors c’est « agréable », c’est « désagréable », c’est « plaisant », c’est « déplaisant », tout cela. Qu’est-ce que c’est, tout cela ? Quel sens est-ce que ça a ? Rien. On doit arriver à apprécier, à calculer, à juger, à comparer, à noter, à savoir exactement et scientifiquement toute la valeur des vibrations, les relations des choses entre elles, à étudier, tout, tout — par exemple, étudier toutes les sensations par rapport aux réactions qu’elles produisent, à suivre le mouvement de la sensation vers le cerveau, puis suivre le mouvement de réponse du cerveau vers les sensations. Et alors on arrive à contrôler complètement sa volonté, sa sensation, au point que s’il y a quelque chose que l’on ne veut pas sentir, il suffit, avec sa volonté, de faire une coupure : on ne sent plus. Il y a beaucoup de disciplines comme ça. Il y en a pour des années d’existence, et si on le fait bien, on ne perd pas une minute et on est tout à fait intéressé. On n’a plus le temps d’avoir des impulsions, ça vous enlève les impulsions. Quand on devient scientifique dans ces études, on n’est plus comme un bouchon : une vague qui vous envoie ici, une vague qui vous envoie là. Il y a un mouvement de la Nature qui passe... la Nature, oh! ce qu’elle s’amuse avec les hommes! mon Dieu, quand on voit ça, oh! vraiment il y a de quoi se révolter. Je ne comprends pas comment ils ne se révoltent pas... elle fait passer une vague de désir, et ils sont tous comme des moutons à courir vers leurs désirs; elle fait passer une vague de violence, ils sont encore comme d’autres moutons à vivre dans la violence, et ainsi de suite, de tout. La colère, elle fait comme ça, « plof », et tout le monde se met en colère. Elle n’a qu’à faire un geste — un geste de son caprice — et les foules humaines suivent. Ou alors ça passe de l’un à l’autre, comme ça, ils ne savent pas pourquoi. On leur demande : « Pourquoi? » — « Non, tout d’un coup je me suis senti en colère. Tout d’un coup, j’ai été pris d’un désir. »
Oh! c’est honteux !
Bonne nuit.
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