Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.
Suite de la lecture de Les Éléments du Yoga, chapitre VII, « L’Ouverture psychique ».
Douce Mère, quand on te voit dans les rêves, est-ce que c’est toujours un rêve symbolique?
Non, pas nécessairement. Ce peut être un fait. Cela veut dire qu’au lieu de voir physiquement, on voit ou dans le physique subtil ou dans le vital ou dans le mental. Mais on voit quelque chose de moi : par exemple, si j’envoie une force ou une pensée ou un mouvement, une action à quelqu’un, dans son atmosphère cela prend ma forme, dans sa conscience mentale cela prend ma forme. Alors il voit ça. C’est un fait. J’ai envoyé quelque chose et il le voit. Ce n’est pas moi tout entière (là, l’interprétation est fausse la plupart du temps), mais c’est quelque chose de moi.
Mais cela a toujours quelque signification, non, Mère?
Certainement cela a une signification. Cela a même, la plupart du temps, un but très précis : ou c’est que je veux faire quelque chose, ou c’est que je veux dire quelque chose à quelqu’un, ou c’est que je veux changer quelque chose dans cette personne, ou que je veux lui donner une connaissance nécessaire, ou bien que je veux mettre quelqu’un en garde contre quelque chose — le mettre en garde, lui dire de faire attention — ou bien je viens pour répondre à une question quelquefois.
Rêves symboliques... Les rêves symboliques sont généralement très cohérents, on se souvient de tout, du moindre détail ; c’est plus vivant, plus réel, plus intense que la vie matérielle, et c’est assez rare. Quand on revient d’un rêve symbolique, on se souvient de tout, de tous les détails, et on a l’impression qu’on a vécu pendant ce temps-là d’une vie beaucoup plus intense et beaucoup plus vraie que la vie physique. Et cela vous laisse une impression très profonde. Ça, ça n’arrive pas très souvent. Généralement cela arrive quand c’est très nécessaire.
Quelqu’un a-t-il des rêves à raconter?
Ce serait intéressant. Je pourrais vous donner un exemple. Si vous avez un rêve à raconter, je pourrais vous l’expliquer.
Douce Mère, moi, j’ai un rêve.
Ah! toi. Voyons ton rêve!
Un jour, quand tu donnais une bénédiction, j’allais à toi, tu m’embrassais et me tenais dans tes bras pendant très longtemps.
Et puis? C’est tout?
Tu me disais quelque chose, mais...
Ça, tu ne t’en es pas souvenu!
Non.
(Un autre enfant) Mère, parfois on te voit pleurer dans les rêves.
Hein? Je pleure?
Toi, pleurer!
Moi, je pleure? (rires)
Oui.
Tiens, tiens!... C’est au moment où on est très triste soi-même, non?
Peut-être!
Ça, c’est très symbolique. Ça veut dire exactement... non, je te le dirai à toi. Mais d’une façon générale, ça veut dire ceci, c’est que chaque fois que l’on est malheureux, eh bien, c’est une souffrance ajoutée à la souffrance collective du Divin.
C’est par un état de compassion profonde que le Divin agit dans la Matière, et cette compassion profonde se traduit dans la Matière par, justement, cette douleur psychique dont on a parlé ici. On a lu cela ce soir. Ça, c’est comme quand on renverse quelque chose, c’est la même chose, mais on le renverse comme ça (Mère joint les mains, puis les ouvre en offrande).
Eh bien, l’état de compassion du Divin se traduit dans la conscience psychique par une douleur qui n’est pas égoïste, une douleur qui est l’expression de l’identification par sympathie avec la douleur universelle. Dans les Prières et Méditations, j’ai dit cela (l’une des dernières), j’ai longuement décrit une expérience où je dis : ... des larmes les plus douces qui ont coulé de ma vie, parce que ce n’était pas sur moi que je pleurais 11 , n’est-ce pas. Eh bien, c’est cela. N’est-ce pas, les êtres humains souffrent toujours pour des raisons égoïstes, humainement. Même, par exemple (je l’ai expliqué plusieurs fois), quand ils perdent quelqu’un qu’ils aiment et qu’ils souffrent, et qu’ils pleurent, ce n’est pas sur l’état de la personne qu’ils pleurent, parce que la plupart du temps, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent et davantage, ils ne savent pas quel est l’état de la personne, ils ne peuvent même pas savoir si cette personne est heureuse ou malheureuse, si elle. souffre ou si elle est en paix, mais c’est sur le sentiment de séparation qu’ils éprouvent eux-mêmes, parce qu’ils aimaient avoir cette personne près d’eux et qu’elle est partie. Par conséquent, toujours à la racine d’une douleur humaine, il y a un retour sur soi, plus ou moins conscient, plus ou moins... comment dire... avoué, mais c’est toujours ça. Même quand on pleure sur la misère d’une autre personne, il y a toujours un mélange. Il y a un mélange, mais dès que le psychique est mêlé à la douleur, il y a un élément de « compassion renversée » (c’est ce que j’ai essayé d’expliquer tout à l’heure) qui se produit dans l’être, et si on peut démêler les deux, se concentrer là-dessus, sortir de son ego et s’unir à cette compassion renversée, par là on peut arriver au contact avec la grande Compassion universelle qui est une chose immense, vaste, calme, puissante, profonde, d’une paix parfaite et d’une douceur infinie. Et c’est cela que j’entends quand je dis que si on sait juste aller approfondir sa douleur, aller tout au fond, dépasser la partie qui est égoïste et personnelle, et aller plus profondément, on peut ouvrir la porte d’une grande révélation. Ce n’est pas qu’il faut chercher la douleur pour la douleur, mais quand elle est là, quand elle vient sur vous, toujours, si on arrive à dépasser l’égoïsme de sa douleur — apercevoir d’abord quelle est la partie égoïste, qu’est-ce qui vous fait souffrir, quelle est la raison égoïste de votre souffrance, et puis dépasser ça et aller au-delà, vers quelque chose d’universel, vers un principe profond —, alors on entre dans cette Compassion infinie, et là, vraiment, c’est une porte psychique qui s’ouvre. Alors, si l’on me voit verser des larmes, si, à ce moment-là, on essaye de s’unir complètement, n’est-ce pas, d’entrer dans ces larmes — qu’on se fond là-dedans —, ça peut ouvrir la porte. On peut ouvrir la porte et avoir toute l’expérience, qui est une expérience très unique, et qui vous laisse une marque très profonde dans la conscience. Généralement ça ne s’efface jamais. Même si la porte se referme, si on redevient ce que l’on est dans ses mouvements ordinaires, ça, ça reste derrière et on peut s’y rapporter dans des moments de concentration intense; on peut s’y rapporter et on sent encore cette immensité d’une douceur infinie, d’une grande paix et qui comprend tout, mais pas intellectuellement, qui compatit à tout, qui peut tout embrasser, et alors tout guérir.
Naturellement la chose est toujours la même, il faut... il faut sincèrement vouloir être guéri, parce que, autrement, ça ne marche pas. Si on veut avoir l’expérience seulement pour avoir l’expérience et puis que la minute d’après on revienne à ce que l’on était avant, ça ne marche pas. Mais si sincèrement on veut guérir, si on a une vraie aspiration pour surmonter l’obstacle, pour monter — monter au-dessus de soi-même, pour laisser tomber tout ce qui vous tire en arrière, pour rompre les limites, pour se clarifier, se purifier de tout ce qui est sur le chemin, si, vraiment, on a la volonté intense de ne plus retomber dans les erreurs passées, de surgir de l’obscurité et de l’ignorance, de monter dans la lumière, dépouillé de tout ce qui est trop humain, trop petit, trop ignorant — alors ça agit. Ça agit, ça agit fortement. Ça agit parfois d’une façon définitive et totale. Mais il ne faut pas qu’il y ait quelque chose qui s’accroche aux mouvements, qui ne dise rien à ce moment-là, qui se cache, et puis qui après montre son nez et dit : « Oui, oui! c’est très bien, ton expérience, à mon tour maintenant! » Alors là, je ne réponds de rien, parce que quelquefois, comme une réaction, ça devient pire. C’est pour cela que je reviens toujours à la même chose, que je dis toujours la même chose :
Il faut être vraiment sincère, vraiment.
Il faut être prêt, s’il y a quelque chose qui est accroché, profondément accroché, à l’arracher complètement, sans que ça laisse de traces. C’est pour cela que quelquefois on fait la même faute et on la répète, jusqu’à ce que la souffrance soit assez grande pour imposer une sincérité totale. Il ne faut pas essayer ce moyen-là, il est mauvais. Il est mauvais parce qu’il détruit beaucoup de choses, il gaspille beaucoup d’énergies, il répand des vibrations mauvaises. Mais si on ne peut pas faire autrement, eh bien, c’est dans l’intensité de la souffrance qu’on peut trouver la volonté de la sincérité parfaite.
Et il y a un moment — dans la vie de chacun il y a un moment où cette nécessité de sincérité parfaite vient comme un choix définitif. Il y a un moment dans la vie individuelle, il y a aussi un moment dans la vie collective quand on fait partie d’un groupe, un moment où le choix doit se faire, où la purification doit s’accomplir. Quelquefois ça devient très sérieux, c’est presque une question de vie et de mort pour le groupe : il faut qu’il fasse un progrès décisif... s’il veut survivre.
(silence)
Pas d’autres rêves?
(La première enfant) Douce Mère, tu n’as pas donné l’explication de mon rêve!
Il n’y a pas d’explication, mon enfant. Tu as vu quelque chose dont tu n’es pas consciente dans ton être matériel, c’est tout. Les Forces sont là, toujours, pleines de tendresse, d’amour, d’aide, de... mais on ne s’en aperçoit pas parce qu’on est dans une conscience trop étroite, trop petite. Il n’y a pas besoin d’explication, ça ne s’explique pas. C’est un fait. Si tu veux, il y a une expérience, il y a un fait, il y a quelque chose qui se passe — il y a aussi la traduction dans ton cerveau. Quand tu te réveilles, c’est une sorte d’interprétation de ton rêve dont tu te souviens. C’est très rare qu’on soit conscient au moment où l’expérience se produit et qu’on soit conscient de l’expérience telle qu’elle est. Pour cela, il faut être très éveillé durant la nuit, très éveillé dans son sommeil. Généralement ce n’est pas le cas. Il y a une partie de l’être qui a une expérience; quand cette partie de l’être qui était sortie du corps rentre dans le corps, ramène l’expérience, le cerveau reçoit un contact de cette expérience, le traduit par des images, des mots, des idées, des impressions, des sentiments, et quand on se réveille, on attrape quelque chose de ça, et avec ça on fait un « rêve ». Mais ce n’est qu’une transcription de quelque chose qui s’est passé — qui a une analogie, une similarité, mais qui n’était pas exactement ce que l’on reçoit comme rêve.
Dans ton expérience de la nuit, qui a produit le rêve, tu es entrée en contact avec ces Forces qui sont toujours à envelopper, à aider, à soutenir, à... n’est-ce pas, qui sont pleines d’amour et de tendresse, et qui aident et qui accueillent tous ceux qui viennent — qui en fait est là partout à travailler tout le temps. Alors tu as pris conscience de ça. Dans ton réveil, ça s’est traduit par les images que tu connais, c’est-à-dire qu’on vient me trouver, que l’on reçoit une bénédiction, et alors comme il y avait une impression nouvelle — celle du contact avec cette Force qui enveloppe, et qui aide —, ça t’a donné l’impression que je t’enveloppais avec mes bras et que je t’embrassais. Ça s’est traduit comme ça. Le fait est là ; la traduction est celle de ton cerveau.
Il y a des gens qui me font faire des choses très drôles la nuit! J’ai entendu toutes sortes d’histoires extraordinaires. Mais c’est toujours la même chose : il y a un fait derrière, ils sont entrés en contact ou avec une émanation ou avec une force ou avec une action, comme je le disais tout à l’heure, mais alors, dans leur cerveau, ça s’est traduit par des images qui sont quelquefois très surprenantes! Mais ça, c’est leur traduction. Pour moi, quand ils me racontent cela, ça me donne le tableau exact de l’état de leur conscience mentale, vitale et physique. Rien que la déformation de la traduction suffit pour que je sache quel est l’état de leur mental. Et je ne peux pas leur dire : « Ce n’est pas moi », parce que c’était moi! Seulement ils ont changé ça à leur manière, qui est quelquefois étonnante! Enfin, dans le cas présent, l’image est très bonne.
Voilà, mes enfants, quelque chose d’autre?
Douce Mère, la semaine dernière j’ai eu un rêve.
Eh bien, dis-le!
C’était un après-midi après l’orage et je me trouvais au bord de la mer. La mer s’était retirée très loin et il y avait un village où j’ai vu des chevaux en pierre. C’étaient quatre chevaux, peut-être, en pierre noire, et au-dessus d’eux il y avait un cheval blanc, en marbre peut-être, et cela brillait avec beaucoup de couleurs.
C’était quand la mer s’est retirée?
C’était local ou général? Je veux dire : c’était une mer quelconque ou c’était la mer ici? Tu étais sur la plage ici?
C’était au Terrain de Tennis.
Oh! tu voyais du Terrain de Tennis?
Oui. Je pouvais voir le phare aussi.
Le phare.
Quatre chevaux noirs et un cheval blanc.
Le nombre n’est pas sûr.
Ah!
Le cheval blanc, c’était un seulement.
Nécessairement.
Peut-être que cela concerne l’avenir de Pondichéry. C’est dommage que tu ne te souviennes pas du nombre. Ça aurait pu donner une indication. Il y avait eu une sorte de tempête?
Oui, l’orage.
Et la mer s’est retirée après?
Ah! c’est symbolique.
Le ciel était très clair alors.
Oui, oui. Après l’orage le ciel s’éclaircit.
Je ne peux pas dire d’une façon définitive parce qu’il manque des renseignements. Mais enfin, cela concerne peut-être l’avenir de Pondichéry. On verra ça.
Mais tu peux dire l’avenir de Pondichéry sans le rêve!
Sans le rêve? (rires) Ah!
Eh bien, pour le moment nous sommes dans l’orage! On verra quand la mer se sera retirée. (rires)
(Un autre enfant) J’avais un rêve où je suis allé pour la bénédiction et vous m’avez donné trois fleurs : « Honnêteté mentale », l’autre, « Soumission », et la dernière, je crois, « Mental tranquille ».
C’est très bien. C’est très nécessaire! (rires)
C’est un fait. Il n’y a qu’à le prendre comme ça et faire un effort pour avoir un mental tranquille, que ce mental tranquille se soumette et qu’il devienne parfaitement honnête. C’est très bien, c’est un programme, et après se concentrer là-dessus.
Voilà, mes enfants, c’est tout?
Je crois que nous allons finir.
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