CWM (Fre) Set of 18 volumes
Entretiens - 1954 Vol. 6 of CWM (Fre) 533 pages 2009 Edition
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Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.

Entretiens - 1954


janvier




Le 27 janvier 1954

Douce Mère, la formation du corps d’une personne exprime-t-elle son caractère?

Non. Seulement c’est le caractère lui-même qui n’est pas simple, c’est-à-dire que le caractère d’une personne n’est pas l’expression de son être véritable, mais le résultat de bien des choses. Par exemple, l’atavisme peut s’exprimer, c’est-à-dire ce qui vient du père, de la mère, de la combinaison des deux qui peut avoir un résultat différent; de ce qui les a précédés — les antécédents, grands-pères, arrière-grands-pères, etc.; puis du milieu dans lequel les gens ont vécu quand ils étaient tout petits et qu’ils n’avaient pas d’indépendance du tout. Cela influe considérablement sur le caractère. Et ce caractère influe sur la formation physique. Alors, on ne peut pas dire, en voyant quelqu’un, quelle est exactement sa vraie nature. On peut dire sa tendance, on peut dire ses difficultés, on peut dire ses possibilités, mais c’est seulement à mesure que la croissance de la conscience se fait et que le développement devient volontaire et organisé, que le corps peut commencer à exprimer le vrai caractère de la personne.

Et quand le corps est déformé par des maladies?

Ce peut être un accident, n’est-ce pas. Les accidents sont le résultat de bien des choses; en fait, c’est le résultat du conflit des forces dans la nature, un conflit entre les forces de croissance et de progrès, et les forces de destruction. Quand il y a un accident — un accident qui produit des conséquences durables —, c’est toujours le résultat d’une victoire plus ou moins partielle des forces adverses, c’est-à-dire des forces de désintégration, de désorganisation. Cela dépend.

Il y a des enseignements, comme ceux de la théosophie, par exemple, qui ont pris le karma dans un sens tout à fait superficiel et humain et qui vous disent : « Oh! vous avez subi cet accident parce que, dans une vie antérieure, vous avez fait une mauvaise action quelconque, alors cela retombe sur vous sous forme d’accident. » Ce n’est pas exact, ce n’est pas du tout exact. Ça, c’est une justice humaine; ce n’est ni le genre de justice de la Nature, ni le genre de justice du Divin.

Naturellement, la formation du corps est très importante en ce sens que si, par exemple, on est constamment sous l’influence d’une dépression, d’un pessimisme, d’un découragement, d’un manque de foi et de confiance dans la vie, tout cela entre, pour ainsi dire, dans la Matière, et alors certaines gens, quand il y a une possibilité d’accident, ne la manquent jamais. Chaque fois qu’il peut leur arriver quelque chose, ils l’attrapent, soit une maladie, soit un accident. Vous avez tout un champ d’observation ici — c’est toujours aux mêmes qu’il arrive des accidents. Il y en a d’autres qui font la même chose, ils ont autant de chances d’avoir un accident, mais ils ne sont pas touchés. Si vous observez leur caractère, vous verrez que les uns ont une tendance au pessimisme et qu’ils s’attendent plus ou moins à ce que quelque chose de désagréable leur arrive — ça leur arrive. Ou alors ils ont peur. Nous savons que la peur amène toujours ce que l’on craint. Si vous avez peur d’un accident, c’est comme un aimant qui attire l’accident à vous. De cette façon, on peut dire que c’est le résultat du caractère. Et c’est la même chose pour les maladies. Il y a des gens qui peuvent se promener parmi les malades et dans les endroits où il y a des épidémies, ils n’attrapent jamais de maladies. Il y en a d’autres, il suffit qu’ils passent une heure avec quelqu’un de malade, ils attrapent la maladie. Ça aussi, ça dépend de ce qu’ils sont au-dedans d’eux-mêmes.

Et les enfants aussi, est-ce la même chose?

On ne peut pas dire. C’est une question morale. Il ne faudrait pas juger le problème d’un point de vue moral, dire que ce sont « les bons enfants » qui sont toujours en bonne santé et à qui il n’arrive rien, et que ce sont « les méchants » à qui il arrive les accidents et qui attrapent les catastrophes. Ce n’est pas exact. Parce que, comme je le disais, la logique de la Nature n’est pas une logique humaine et son sens de la justice (si elle en a) n’est pas un sens humain. Pour elle, il y a très peu de ce que nous appelons bon et mauvais. On pourrait dire plutôt qu’il y a ce qui est constructif et ce qui est destructif, ce qui est progressif et ce qui est rétrograde. Ça, c’est très important. Et alors, il y a ce qui est lumineux, solaire, heureux, souriant, et ce qui est morne, terne, misanthrope, mécontent — ce qui vit dans une grisaille. Ce sont ceux-là qui attrapent toutes les choses désagréables. Ceux qui rayonnent (ils peuvent rayonner sans que ce soit un rayonnement spirituel, ce peut être seulement un rayonnement de bon sens, d’équilibre, de confiance intérieure, de joie de vivre), ceux qui portent en eux la joie de vivre, ceux-là sont en harmonie avec la Nature et, étant en harmonie avec la Nature, généralement ils évitent les accidents, ils sont immunisés contre les maladies, et leur vie se développe agréablement, autant qu’il est possible dans le monde tel qu’il est. Alors?

« Couramment, on rencontre la croyance que les brillants esprits sont dans des corps chétifs. »

(La Mère, Éducation, « L’Éducation physique »)

Je n’ai pas compris!

Ça, c’étaient les vieilles idées du siècle dernier. Ce n’est plus maintenant à la mode, mais à la fin du siècle dernier, on croyait toujours que plus les gens étaient chétifs et malingres, plus leur esprit était brillant, plus ils étaient intelligents! Certains même expliquaient que le développement de leur intelligence venait du fait qu’ils n’étaient pas capables de jouir de leur corps — parce qu’ils étaient tout à fait incapables de vivre pleinement, alors toute leur attention s’était tournée vers leur esprit et c’est comme ça que leur intelligence s’était développée. Il y avait même un temps où il était à la mode d’avoir l’air un peu maladif. Les poètes, par exemple, prenaient des airs... Un artiste, il fallait qu’il soit un peu chétif pour donner l’impression qu’il brûlait de l’esprit! Mais c’est passé. Ça a passé même avant que vous ne soyez nés, je crois. C’était l’époque romantique, la fin du siècle dernier. Des hommes comme Musset, par exemple — je ne sais pas si vous avez jamais vu le portrait de Musset, mais enfin il avait un air sentimental et maladif, et il accentuait cela par son costume autant qu’il pouvait... On pensait que cela donnait l’air artistique et poétique. Mais maintenant c’est tout à fait passé de mode. On est pour le bon équilibre physique, la bonne santé, le corps solide et tout ce que donne la culture physique des petits.

J’ai lu une histoire par un romancier français très connu (c’était un roman), qui se passait aux temps préhistoriques, à l’âge de pierre, où l’homme vivait dans les cavernes, se vêtait de peaux de bêtes et chassait pour manger et se défendre. Alors, il se trouvait que, par un accident quelconque, un enfant était né boiteux, ou enfin déformé, ou bossu, ou quelque chose comme ça. Et généralement, dans ce temps-là (on le raconte, je ne sais pas), on détruisait les enfants mal formés parce que c’était un encombrement. Mais, pour une raison quelconque, sa mère l’avait caché et il avait vécu. Et alors, ce garçon qui n’avait aucun moyen de chasser, par exemple, ni de faire tous les travaux que ses compagnons faisaient, avait commencé à développer son intelligence et il était devenu le premier poète, parce qu’il exprimait par sa parole ce que les autres faisaient avec leurs gestes. Eh bien, ce sont justement des idées comme cela qui sont à l’origine de ce sentiment que, pour avoir un esprit, il ne faut pas avoir de corps, et que, plus on est malade, plus on est intelligent. C’est assez fâcheux !

Il est vrai qu’il y a une certaine indépendance. Je crois vous avoir raconté la dernière fois qu’il y avait un poète français appelé Sully Prudhomme qui se mourait d’une très grave maladie — une maladie très douloureuse et très grave —, et c’est à ce moment-là qu’il écrivait ses plus beaux poèmes et qu’il disait à ses amis les plus belles choses. Son esprit était très indépendant de son corps. Mais enfin, ce n’est pas une règle absolue.

Chez les enfants, le psychique est toujours « devant eux », non?

Pas toujours. Le psychique est plus « en avant » que plus tard quand ils grandissent et que le mental se développe, mais on ne peut pas dire que dans tous les enfants on sente le psychique. Et on ne peut pas juger d’après ce qu’il y a ici, parce que la condition d’admission, pour moi, quand on m’amène des enfants, est celle-ci : si je vois le psychique à la surface, je les prends, mais s’ils sont déjà voilés par toutes sortes d’activités déformées, je ne les prends pas. Alors ceux que vous avez ici sont une exception. C’est une crème. C’est un choix.

Mais pourquoi y a-t-il des enfants gourmands?

Oh! mon Dieu! gourmand, ce n’est pas un péché! Il y a des enfants gourmands. Peut-être ont-ils une mauvaise digestion et ils ont toujours envie de manger. Ils ne profitent pas de ce qu’ils mangent. Tout l’être extérieur est plein de difficultés de tous genres, chez tout le monde — chez les enfants aussi. Tu pourrais me dire avec beaucoup plus de raison : « Pourquoi y a-t-il des enfants si cruels? » Ça, c’est l’une des choses les plus effarantes... Mais c’est de l’inconscience. C’est parce qu’ils ne se rendent même pas compte qu’ils font souffrir. Et généralement, si l’on prend soin de leur faire comprendre — par exemple, par l’expérience —, alors ils comprennent. Les enfants qui maltraitent les animaux (il y en a beaucoup), mais c’est parce qu’ils ne savent même pas que les animaux sentent comme eux. Quand on leur fait comprendre que quand ils pincent, qu’ils tirent les poils des bêtes et leur donnent des coups, ça leur fait mal, et au besoin qu’on leur montre sur eux-mêmes comment ça fait mal, alors ils ne le font plus!

Il y en a qui sont particulièrement méchants. Ceux-là sont sous une influence perfide. Et quelquefois, cela se montre dès l’enfance, et ils le sont toute leur vie, à moins qu’ils ne se convertissent, ce qui n’est pas facile.

Il y a une sorte d’association entre le physique et le psychique, et entre le mental et le vital. Un être mental est très souvent un être très vital. Un être psychique est très souvent un être physique. Les enfants — justement parce qu’ils ont cette conscience psychique en avant, comme cela — vivent aussi tout à fait dans leur corps. Tandis que, dès que l’on commence à développer le mental, le goût de l’association se développe aussi, avec tout ce que cela comporte de déformations. Les gens qui font des distinctions très sévères entre les hommes et les femmes (je ne sais pas pourquoi, parce qu’ils se valent), disent que l’homme est mental et vital, et que la femme est physique et psychique. Il y a quelque chose de vrai. Mais naturellement, cela comporte toutes les exceptions et toutes les complications possibles. Ce sont des simplifications arbitraires. En fait, le physique a une simplicité, et même une bonne volonté (qui n’est pas toujours très éclairée, il s’en faut), mais enfin une simplicité et une bonne volonté qui le mettent plus en rapport avec le psychique que les passions du vital ou les prétentions du mental. Et c’est probablement pour cela aussi que, chez les enfants, le psychique peut être là plus à son aise, moins heurté constamment par des contradictions mentales ou vitales.

Comment peut-on savoir que l’être psychique est en avant ou non?

Qui? Soi-même?... Ça ne se sent pas, non? Tu ne le sens pas? Je ne dis pas un petit enfant, parce qu’il n’a aucun moyen de contrôle et d’observation, il manque de la capacité d’observation. Mais enfin, quand on n’est plus bébé, on ne sent pas? Ça ne fait pas une différence?... (L’enfant approuve de la tête) Ah!... Il n’y en a pas un qui osera me dire que cela ne fait pas une différence quand le psychique est là, quand on se sent meilleur en soi-même, quand on est plein de lumière, d’espoir, de bonne volonté, de générosité, de compassion pour le monde et que l’on voit la vie comme un champ d’action, de progrès, de réalisation — cela ne fait pas une différence avec les jours où on est ennuyé, ronchonnant, où tout paraît laid, désagréable, méchant, où l’on n’aime personne, où l’on a envie de tout casser, où l’on se met en colère, où l’on se sent mal à l’aise, sans force, sans énergie, sans joie? Cela fait une différence, non?

Cela peut faire une différence, mais on ne comprend pas que le psychique est quelque chose d’autre.

Naturellement, si personne ne vous a jamais enseigné ce qu’est le psychique, ce qu’est le vital, vous ne pouvez pas mettre de notion sur la chose. Vous pouvez dire : « Aujourd’hui, je suis dans un bon état; hier, je ne l’étais pas. » J’ai vécu jusqu’à vingt-quatre ans sans savoir rien de toutes ces choses, et pourtant je distinguais bien ces mouvements. Je ne mettais pas ces mots parce que personne ne me les avait enseignés et je n’avais jamais rien lu, mais je sentais très bien la différence d’après les moments, et dans quel état de conscience je me trouvais.

Mais vous, ici, après tout ce que vous avez entendu et tout ce que vous avez lu, et tout ce que je vous ai enseigné, vous devriez être au courant de tous les mouvements au-dedans de vous et pouvoir mettre une petite étiquette : c’est celui-ci, c’est celui-là.

Savez-vous les jours où vous êtes en bonne santé et les jours où vous êtes malade? Physiquement. Est-ce que vous le savez?

Physiquement, oui.

Physiquement, tout à fait sûr? Quand vous vous réveillez le matin, pouvez-vous savoir si, aujourd’hui, l’équilibre est bon ou s’il n’est pas bon?

Ça change avec le jour.

C’est vrai, ça change tout le temps. Même dans la journée. Mais quand vous venez de vous réveiller, quand vous êtes juste réveillé, quand vous commencez votre journée, est-ce que vous commencez votre journée tous les jours de la même manière?

Non.

Ah! Il y a des jours où il vous semble que tout est harmonieux, et il y a des jours où vous êtes comme avec des rouages qui grincent. Ça grince au-dedans de vous, ça ne tourne pas rond. Eh bien, c’est quelque chose comme cela. Si vous observez cela physiquement, pour votre corps, après vous pouvez l’observer pour vos sensations, vos sentiments (l’espèce d’impression intérieure), et puis observer votre cerveau, si le cerveau est clair ou s’il est fumeux. Hein?

Oui.

Alors c’est la même chose.

Dans quelle partie de l’être se développe le pouvoir d’observation?

Je pense que le pouvoir d’observation se développe dans toutes les parties de l’être. Vous pouvez avoir un pouvoir d’observation mental, un pouvoir d’observation vital, un pouvoir d’observation physique. Quand vous observez les idées, par exemple, le cours des idées, la logique des idées, ce n’est pas tout à fait le même pouvoir d’observation que lorsque vous regardez un camarade faire de l’athlétisme et que vous voyez s’il fait ses mouvements correctement. C’est-à-dire que la capacité d’attention est là dans les deux cas, mais elle s’exerce dans un domaine différent. On ne peut pas dire que ce soit une partie de l’être qui observe les autres; c’est dans chaque partie de l’être la faculté d’observation qui se développe, c’est-à-dire la faculté de concentration et d’attention. Parce qu’il ne faut pas confondre la capacité d’observation avec la capacité de discernement. Le discernement est une capacité intellectuelle. Il y entre déjà quelque chose comme un jugement, ce que l’on appelle en anglais « discrimination » : vous pouvez faire la différence entre l’origine d’une chose et l’origine d’une autre, et les valeurs réciproques des choses. Mais cela, ce doit être basé sur une observation correcte. Le pouvoir d’observation vient d’abord, le discernement suit.

Y a-t-il un pouvoir d’observation dans le psychique?

Plus que ça ! Il y a la capacité de vision directe des choses. C’est comme un miroir dans lequel se reflètent toutes choses, quelles qu’elles soient. Mais justement les enfants, en général, quand ils ne sont pas déformés, ils ont cela très bien, une grande sensibilité, par exemple, à l’atmosphère des personnes qui les approchent. Il y a des enfants, sans raison apparente, qui se précipitent sur quelqu’un, une personne, et qui s’éloignent avec horreur d’une autre. Pour vous, les deux personnes sont également gentilles ou pas gentilles, vous ne faites aucune différence. Mais dans un cas, l’enfant immédiatement est attiré par une personne, et dans l’autre, vous avez beau essayer, il pleurera, il criera, ou il s’enfuira, mais il ne veut rien avoir à faire avec elle, et cela, c’est la traduction, dans une conscience d’ignorance, d’un phénomène psychique de vision de la qualité psychique de la personne qui est là.

Certaines personnes peuvent se concentrer très vite, tandis que d’autres ne le peuvent pas.

Peut-être sont-ils nés comme ça, pour une raison quelconque, ou peut-être ont-ils pratiqué, même sans savoir qu’ils pratiquaient. Oui, il y a des enfants qui, très jeunes, sont très attentifs, et d’autres qui sont toujours dispersés. Mais cela fait partie de la composition des êtres. Il n’y en a pas deux qui soient pareils. Certains sont nés avec un grand pouvoir d’attention, et d’autres ne l’ont pas.

On peut l’augmenter?

On peut le développer, on peut, et il n’y a pas de limites au développement. Et il est même tout à fait indispensable de le développer.









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