Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.
Douce Mère, qu’est-ce qu’une « résistance aiguë » ?
Aiguë? On emploie « aigu » dans un sens figuré. Aigu, c’est une chose pointue, n’est-ce pas, et peut-être cela veut-il dire une résistance agressive, pointue, qui s’enfonce comme une griffe.
Je n’ai pas bien compris la réponse à cette question-ci : « Est-ce que le pouvoir de l’aspiration varie suivant les sâdhaks et selon leur nature? »
Ah! oui.
N’est-ce pas, je crois que la question était mal posée. Je crois que celui qui posait la question voulait dire « l’effet de l’aspiration », et il a mis « le pouvoir ». C’est-à-dire que l’aspiration dans n’importe qui a le même pouvoir. Mais l’effet de cette aspiration diffère. Parce que l’aspiration c’est l’aspiration : si vous avez de l’aspiration, en elle-même elle a un pouvoir. Seulement cette aspiration appelle une réponse, et cette réponse, l’effet, qui est l’effet de l’aspiration, dépend de chacun, parce que cela dépend de sa réceptivité. On peut avoir une très intense aspiration et une très faible réceptivité. Je connais beaucoup de gens comme ça. Ils disent : « Oh! mais j’aspire tout le temps et puis je ne reçois rien. » C’est impossible qu’ils ne reçoivent rien, en ce sens que la réponse est sûre de venir. Mais ce sont eux qui ne reçoivent pas. La réponse vient, mais ils ne sont pas réceptifs, alors ils ne reçoivent rien.
Il y a des gens, n’est-ce pas, qui ont beaucoup d’aspiration. Ils appellent la Force. La Force vient sur eux, même les pénètre, et ils sont tellement inconscients qu’ils ne le savent pas! Ça, c’est une chose très fréquente. C’est leur état d’inconscience qui fait qu’ils ne sentent même pas la Force qui entre en eux. Elle entre en eux, et elle fait du travail. J’ai connu des personnes qui étaient petit à petit transformées et qui étaient si inconscientes qu’elles ne s’en apercevaient même pas. La conscience vient après — très longtemps après. Tandis qu’il y a des gens qui sont plus passifs, pour ainsi dire, plus ouverts, plus attentifs, et même si un tout petit peu de Force vient, ils s’en aperçoivent immédiatement et l’utilisent pleinement.
Quand vous avez une aspiration, une aspiration très active, votre aspiration va faire son travail. Elle va appeler la réponse à ce à quoi vous aspirez. Mais si, après, vous commencez à penser à autre chose, ou si vous n’êtes pas attentif ou si vous n’êtes pas réceptif, vous ne vous apercevez même pas que votre aspiration a reçu une réponse. C’est très fréquent. Alors les gens vous disent : « J’aspire et puis je ne reçois rien, je n’ai pas de réponse! » Si, vous avez une réponse, mais vous ne vous en apercevez pas, parce que vous continuez à être actif, comme ça, comme un moulin qui tourne tout le temps.
Douce Mère, est-ce que le Purusha ne commet pas des erreurs comme la Prakriti?
Cela dépend du point de vue... Je ne sais pas!
Mère, s’il y a une partie dans la nature qui ne s’ouvre pas, quel est le moyen d’aspirer pour que cette partie s’ouvre?
Vous pouvez aspirer pour que cette partie s’ouvre — que la partie qui est ouverte aspire à ce que l’autre partie s’ouvre. Cela s’ouvrira au bout d’un certain temps; il faut continuer, persister; il n’y a que cela à faire. Il y a quelque chose qui ne veut pas, une résistance aiguë, comme ça, qui ne veut pas. C’est comme un enfant têtu : « Je n’en veux pas, je resterai ce que je suis, je ne bougerai pas »... Il ne dit pas « je suis satisfait de moi », parce qu’il n’ose pas. Mais la vérité est qu’il est très satisfait de soi, il ne bouge pas.
Mais quand on veut aspirer, il faut savoir quelle est cette partie, n’est-ce pas?
Ah! oui, mais si on est sincère, on le saura. Si on se regarde sincèrement, on est sûr de savoir. C’est seulement quand on fait l’autruche qu’on ne sait pas : on ferme les yeux, on met la tête de l’autre côté, on ne regarde pas et on dit : « Ça n’existe pas. » Mais si on se regarde bien en face, on sait très bien où c’est — caché quelque part dans un coin, bien comme ça, tourné sur soi-même, concentré, serré. Mais alors, quand vous allez, et puis que vous mettez la lumière comme ça, droit sur ça, oh! ça fait mal tout d’un coup, hein!
Mère, la réceptivité dépend de quoi?
Cela dépend d’abord de la sincérité : que vraiment on veuille recevoir, et puis... oui, je crois que les facteurs principaux, c’est sincérité et humilité. Il n’y a rien qui vous ferme plus que la vanité. Quand on est satisfait de soi, on a cette espèce de vanité de ne pas vouloir admettre qu’il vous manque quelque chose, que vous faites des fautes, que vous êtes incomplet, que vous êtes imparfait, que vous êtes... Il y a quelque chose dans la nature, hein, qui se raidit comme ça, qui ne veut pas admettre — c’est cela qui vous empêche de recevoir. Il n’y a qu’à faire l’expérience, d’ailleurs. Si, par un effort de volonté, on arrive à faire admettre, même à une toute petite partie de l’être, que « eh bien, oui, je me trompe, je ne devrais pas être comme ça, et je ne devrais pas faire ça, et je ne devrais pas sentir comme ça, oui, c’est une faute », si vous arrivez à lui faire admettre cela, d’abord, comme je l’ai dit tout à l’heure, ça commence par faire très mal, mais quand on tient ferme comme ça, jusqu’à ce que ça ait admis, immédiatement c’est ouvert — et c’est ouvert, c’est étrange, il y a un flot de lumière qui entre, et alors on se sent si content après, si heureux, qu’on se demande : « Pourquoi, pour quelle stupide raison ai-je résisté si longtemps? »
Mais quand on est tellement satisfait de soi, est-ce que l’on peut aspirer tout de même?
On n’est pas d’un seul morceau, n’est-ce pas! Il y a quelque chose dans l’être qui peut aspirer. Mais il y a toujours dans l’être quelque chose qui est conscient, justement de ce qui ne va pas — quelquefois vaguement, d’une façon imprécise — mais enfin suffisamment conscient aussi, qu’après tout, on n’est pas parfait, n’est-ce pas, ça pourrait être mieux que ce n’est — ça suffit, cette partie-là peut aspirer.
Quel est le travail du Purusha et de la Prakriti?
Ah! je vais être encore obligée de faire dire que je ne sais pas. (Mère se tourne vers Nolini) Nolini, expliquez ça ! (rires) Moi, je n’y comprends rien du tout, cela ne correspond pas à une expérience intérieure pour moi, je n’ai jamais eu cette expérience-là ; par conséquent, je ne peux pas en parler.
(Nolini) Si Mère dit que Mère ne sait pas, alors je dois dire que je suis ignorant! (rires)
La conception indienne, je la sais théoriquement, et il suffit de lire des livres pour la savoir — ce n’est pas cela que j’appelle « savoir ». Je ne peux vous parler que des choses dont j’ai eu l’expérience. Eh bien, cela ne correspond pas à quelque chose en moi. Je n’ai pas eu cette expérience-là. J’ai eu très bien l’expérience d’un témoin qui regarde les choses, tout à fait détaché de tout, et qui sait tout et qui ne bouge pas, qui laisse tout faire et qui... j’ai eu aussi l’expérience d’une volonté qui décide. Naturellement, tout le monde a l’expérience d’une force qui bouge — la force dans la Nature, dans son obscurité, et tout cela — tout le monde a cette expérience-là. Mais quant à faire une coupure comme ça, et appeler l’un Purusha, masculin, et l’autre Prakriti, féminin, non, je m’y refuse; je m’y suis toujours refusée et je m’y refuserai toujours. Et c’est pour cela que j’aime mieux ne pas en parler.
Cela me paraît une transcription asiatique, ou peut-être plus spécialement indienne, je ne sais pas, de la conception chaldéenne d’un Dieu masculin, solitaire : n’est-ce pas, le Dieu chrétien. C’est pour moi quelque chose qui provient (excusez-moi) d’une mentalité masculine un peu dévoyée. Voilà ma façon de sentir sur le sujet. Maintenant, si vous ne me l’aviez pas demandé, je ne vous en aurais jamais parlé!
Mère, tu as dit justement que tu avais l’expérience de ce témoin qui ne bouge pas, alors ça, c’est Purusha !
Ah! je ne sais pas. (rires) Purusha, si vous voulez. Mais je ne l’ai pas trouvé particulièrement masculin! N’est-ce pas, ce qui... ce à quoi j’objecte, c’est l’élément mâle et l’élément femelle. Eh bien, je trouve que ce n’est pas vrai, et je dirai toujours : CE N’EST PAS VRAI. Il y a un élément qui est comme cela, et il y a un élément qui est comme ceci. (Mère tourne sa main d’un côté et de l’autre) Il y a une activité qui est comme cela, et il y a une activité qui est comme ceci. Mais pourquoi diable voulez-vous que l’un soit masculin et l’autre féminin? Ce n’est pas comme ça ! Ça, ce masculin... féminin... c’est un truc de la Nature, elle a arrangé ça ici, comme ça. Alors, n’est-ce pas... je vais vous dire : quand on descend de haut en bas, eh bien, tout là-haut on n’a aucune notion de « masculin et féminin » et toute cette histoire; à mesure que vous descendez et que vous arrivez ici, ça commence à devenir quelque chose de réel. Alors vous vous dites : « Tiens, tiens! c’est comme ça que la Nature a arrangé les choses. » Bon! Mais ce que je dis, c’est que ces conceptions-là (ces conceptions justement qui font de l’un un élément masculin, de l’autre un élément féminin), c’est une conception qui est venue d’en bas, c’est-à-dire qui est sortie du cerveau de l’homme qui, pour lui, ne peut pas penser autrement que « homme » et « femme » — parce qu’il est encore un animal. Voilà ! Et c’est comme cela que je sens — je l’ai toujours senti, je l’ai dit depuis le commencement et je le répéterai jusqu’au bout, et si vous ne voulez pas me l’entendre dire, ne m’en parlez pas! (rires) Voilà.
Bonne nuit.
Home
The Mother
Books
CWM
French
Share your feedback. Help us improve. Or ask a question.