CWM (Fre) Set of 18 volumes
Entretiens - 1954 Vol. 6 of CWM (Fre) 533 pages 2009 Edition
French

Translations

ABOUT

Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.

Entretiens - 1954


juillet




Le 28 juillet 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre IV de La Mère.

Comment est-ce que l’argent se manifeste dans d’autres plans?

Quels autres plans? Il a dit vital et physique, n’est-ce pas, que c’est une force qui se manifeste dans le plan vital et dans le plan physique. Les forces vitales ont une très grande influence sur l’argent.

(Après un silence) N’est-ce pas, quand on pense à de l’argent on pense à des billets de banque, ou à des pièces de monnaie, ou à des richesses quelconques, des choses précieuses. Mais cela, c’est seulement l’expression physique d’une force que l’on peut manier vitalement et qui, quand on la possède et qu’on la contrôle, amène presque automatiquement ces expressions plus matérielles de l’argent. Et cette chose-là est une sorte de puissance. (silence) C’est une puissance d’attraction pour certaines vibrations très matérielles, et qui a une capacité d’utilisation qui augmente sa puissance — qui fait comme un exercice physique, n’est-ce pas —, cela augmente cette puissance par l’utilisation.

Par exemple, si vous avez le contrôle de cette force, c’est une force qui, dans le monde vital, a une couleur qui varie entre le rouge, un rouge sombre extrêmement puissant de couleur, et un or foncé qui n’est pas brillant ni très clair. Eh bien, cette force-là, quand on la fait mouvoir, circuler, sa puissance augmente. Ce n’est pas une chose que l’on peut accumuler et garder sans agir. C’est une force qui doit toujours circuler. Les gens, par exemple, qui sont des avares et qui accumulent tout l’argent et tous les biens qu’ils peuvent attirer vers eux, ils laissent cette force sans utiliser son pouvoir de mouvement; et ou bien elle s’échappe, ou alors elle s’engourdit et elle perd de sa puissance.

La vraie manière d’être dans le courant de cette force de l’argent, c’est justement ce qui est écrit là : un sens d’absolue impersonnalité, le sens que ce n’est pas une chose que vous possédez, qui est à vous, mais que c’est une force que vous pouvez manier pour la diriger là où elle doit aller afin de faire son œuvre la plus utile. Et c’est par ces mouvements, par cette action constante que le pouvoir augmente — le pouvoir d’attraction, un certain pouvoir d’organisation aussi. C’est-àdire que même quelqu’un qui n’aurait aucun moyen physique, qui ne serait pas dans des conditions matérielles où il pourrait manier matériellement l’argent, s’il est en possession de cette force, il peut la faire agir, la faire circuler, et si jamais il le juge nécessaire, recevoir d’elle autant de pouvoir qu’il en a besoin, sans que, extérieurement, il n’y ait ni aucun signe, ni aucune raison pour que l’argent s’approche de cette personne. Elle peut se trouver dans des conditions tout à fait contraires aux richesses habituelles, et pourtant manier cette force et avoir toujours à sa disposition tous les biens nécessaires pour continuer à faire son action.

Par conséquent, c’était comme cela, n’est-ce pas : cette lettrelà était écrite à quelqu’un qui voulait aller dans le monde pour rassembler de l’argent pour l’œuvre de Sri Aurobindo, et cette personne elle-même n’avait pas de moyens du tout. Et alors elle avait commencé par dire à Sri Aurobindo : « Mais comme moi je n’ai pas de moyens, les gens n’auront pas confiance en moi, et je ne pourrai rien avoir. » Et Sri Aurobindo lui avait répondu à peu près ceci, que ce n’est pas la force extérieure dans sa forme la plus matérielle qui est nécessaire, c’est le maniement de cette force intérieure qui fait que l’on obtient le contrôle sur l’argent partout où il est : qu’il soit dans des établissements publics, ou qu’il soit chez les individus, on obtient le contrôle sur lui et l’on peut, par un certain mouvement, lorsqu’il est nécessaire, attirer ce qu’il faut.

Douce Mère, de quelle manière est-ce que les forces de l’argent ont quitté le Divin?

Hein?

De quelle manière est-ce que les forces de l’argent ont quitté le Divin?

C’est justement le mot de ta question que je ne comprends pas. De quelle façon, de quelle manière les forces de l’argent...?

... ont quitté le Divin?

Quitté? La force de l’argent appartient à un monde qui a été créé déformé. C’est une chose qui appartient au monde vital ; et il le dit, n’est-ce pas, il dit qu’il appartient aux mondes vital et matériel. Et alors de tout temps, de tout temps, cela a été sous le contrôle des forces âsouriques; et ce qu’il faut faire, c’est justement le reconquérir aux forces âsouriques.

C’est pour cela que dans le temps, tous les gens qui voulaient faire un yoga, ou suivre une discipline, disaient qu’il ne fallait pas toucher à l’argent, parce que c’était une chose — disaient-ils — diabolique, ou âsourique, ou enfin tout à fait contraire à la vie divine. Mais l’univers tout entier, dans toute sa manifestation, est le Divin même et, par conséquent, Lui appartient entièrement; et c’est sur ce terrain-là qu’il dit que les forces de l’argent appartiennent au Divin. Il faut les reconquérir pour les Lui donner. Elles ont été sous l’influence des forces âsouriques : il faut les reconquérir afin de les mettre à la disposition du Divin pour qu’Il puisse s’en servir pour Son œuvre de transformation.

(long silence)

Douce Mère, ce sont les hommes qui ont fait l’argent. Alors comment est-ce une puissance divine?

Hum! (riant) C’est comme si tu me disais : c’est un homme et une femme qui font un autre homme, alors comment est-ce qu’il peut être d’essence divine? C’est exactement la même chose! Toute la création est faite extérieurement par des choses extérieures, mais derrière cela, il y a les forces divines. Ce que les hommes ont inventé — des papiers ou des pièces de monnaie ou des objets —, tout cela, ce sont simplement des moyens d’expression, ce n’est pas autre chose que cela. Je viens de le dire tout de suite, ce n’est pas la force elle-même, c’est son expression matérielle, telle que les hommes l’ont créée. Mais c’est une pure convention. Par exemple, il y a des pays où l’on échange des petits coquillages à la place de l’argent. Il y a même des pays où... quelqu’un a écrit l’histoire comme ceci : dans le Nord, la richesse, c’est d’avoir des hameçons pour pêcher; et l’homme riche, c’est celui qui a la plus grande quantité d’hameçons. Vous savez ce que c’est que des hameçons? Les petits crochets de fer avec lesquels on attrape les poissons, et qu’on met au bout d’un fil. Alors celui qui est multimillionnaire, c’est celui qui a des quantités considérables d’hameçons!

C’est une pure convention. Ce qui est derrière, c’est cette force dont je parle, n’est-ce pas, et alors elle se manifeste de toutes les manières. Par exemple, même l’or, n’est-ce pas... Les hommes ont donné une certaine valeur à l’or, parce que de tous les métaux c’est celui qui se détériore le moins. Il se conserve presque indéfiniment. Et c’est pour cela, il n’y a pas d’autre raison que cela. Mais c’est une pure convention. La preuve, c’est que chaque fois que l’on a découvert une nouvelle mine d’or, et qu’on l’a exploitée, la valeur de l’or est descendue. Ça, ce sont simplement des conventions entre êtres humains. Mais ce qui fait la force de l’argent, ce n’est pas cela, c’est la force qui est derrière. Comme je le disais tout à l’heure, c’est une force qui est capable d’attirer et d’employer n’importe quoi, toutes les choses matérielles et... Alors cela s’emploie suivant une convention. Maintenant, il est entendu que les richesses sont représentées par des bouts de papier qui deviennent très sales, et sur lesquels on a imprimé quelque chose. C’est tout à fait dégoûtant, c’est juste bon pour allumer du feu, le plus souvent. Mais c’est considéré comme une grande fortune. Pourquoi? Parce que c’est une convention. Mais celui qui est capable, justement, d’attirer cela et de l’utiliser pour le bien, pour augmenter le bien de ce monde, le bien et le bien-être dans le monde, celui-là manie la force de l’argent, c’est-à-dire, la force qui est derrière l’argent.

En français, on appelle cela « argent ». « Argent », c’est aussi le nom d’un métal blanc qui est un petit peu plus, un peu plus joli et un peu plus durable que d’autres métaux, qui s’oxyde moins et qui s’abîme moins. Alors on appelle cela de l’argent. Et puis, par amplification, tout ce qui est biens, on l’appelle aussi de l’argent. C’est du papier, c’est de l’or, ce sont quelquefois simplement des choses écrites... Parce qu’il y a des fortunes considérables qui sont seulement des chiffres écrits sur du papier, même pas ces papiers qui circulent, simplement des livres! Il y a des fortunes qui sont des fortunes immenses, qui gouvernent le monde, et qui sont simplement écrites sur des papiers, comme ça, avec quelques écritures et quelques conventions entre hommes. La fortune peut augmenter, tripler, quadrupler et décupler, ou alors elle peut être réduite à rien. On vend de tout, on vend du coton, on vend du sucre, on vend du blé, on vend du café, on vend n’importe quoi, mais il n’y a rien! Il n’y a ni coton, ni sucre, ni blé, ni rien. C’est tout sur du papier! Et alors vous achetez pour des millions de coton : vous n’avez pas un bout de coton comme ça ! Mais c’est écrit sur le papier. Et alors, quelquefois, après, vous revendez. Si le prix du coton a augmenté, vous gagnez une fortune; s’il a diminué, vous perdez une fortune. Et vous n’avez avec vous ni argent, ni coton, ni rien, rien que du papier! (rires) C’est entièrement une convention.

Comment se fondre dans la Conscience divine l’ego séparatif de soi?

Comment se fondre dans la Conscience divine?

Comment faut-il se fondre l’ego séparatif de soi dans la Conscience divine?

Hein? « se fondre »?

... l’ego séparatif de soi...

Je ne comprends pas ce que tu veux dire. « Fondre? »

... dans la Conscience divine...

Oui, c’est bien ce que je veux dire... Comment se dissoudre, tu veux dire se dissoudre dans le Divin, et perdre son ego ?

D’abord il faut le vouloir. Et puis il faut aspirer d’une façon très persévérante, et il faut, chaque fois que l’ego se manifeste, il faut lui donner une tape sur le nez (Mère se tape sur le nez), jusqu’à ce qu’il ait reçu tant de tapes qu’il est fatigué d’en recevoir et il abandonne la partie.

Mais généralement, au lieu de lui donner une tape sur le nez, on légitime sa présence. D’une façon presque constante, quand il se manifeste, on se dit : « Après tout, il a raison. » Et dans la plupart des cas, on ne sait même pas que c’est l’ego, on croit que c’est soi-même. Mais la première condition, c’est de trouver essentiel de ne plus avoir d’ego. Il faut vraiment comprendre que l’on n’en veut pas. Ce n’est pas si facile. Ce n’est pas si facile... Parce qu’on peut bien, dans la tête, remuer des mots, dire : « Je ne veux plus d’ego, je ne veux plus être séparé du Divin. » Tout cela, ça se passe là-dedans, comme ça. Mais ça reste là, ça n’a pas beaucoup d’effet sur la vie. La minute suivante, on fait un acte purement égoïste, n’est-ce pas, et on le trouve tout à fait naturel. Cela ne vous choque même pas.

Il faut d’abord commencer à comprendre vraiment ce que cela veut dire. La première façon... N’est-ce pas, il y a beaucoup d’étapes. D’abord, il faut essayer de ne pas être égoïste. Ce qui est tout à fait autre chose, n’est-ce pas... Si vous prenez les mots anglais, vous comprenez la différence. En anglais, n’est-ce pas, il y a le mot « selfish », et puis il y a aussi le mot « egoism ». L’ego — « ego » — cela existe en anglais, et « selfish ». Et cela fait deux choses différentes; et en français, ils ne font pas cette différence. Ils disent : « Je ne veux pas être égoïste », n’est-ce pas. Mais ça, c’est une toute petite chose, toute petite! Les gens, quand ils cessent d’être égoïstes, ils croient qu’ils ont fait des progrès formidables! Mais c’est une toute petite chose. C’est simplement, oh, c’est simplement avoir le sens du ridicule. Vous n’imaginez pas comme c’est ridicule, les gens égoïstes!

Quand on les voit pensant tout le temps à eux, ramenant tout à eux, gouvernés simplement par leur petite personne, se mettre au centre de l’univers et tâcher d’organiser tout l’univers, y compris Dieu, autour d’eux-mêmes, comme si c’était la chose la plus importante dans l’univers! Ça, si l’on pouvait simplement s’objectiver, n’est-ce pas, comme on se regarde dans un miroir, se voir être, c’est si grotesque! (riant) Cela suffit pour vous... On sent tout d’un coup qu’on devient, oh! si absolument ridicule!

Je me souviens, j’ai lu en français — c’était une traduction — une phrase de Tagore qui m’a beaucoup amusée. Il parlait d’un petit chien. Il disait... il a comparé cela à quelque chose... Je ne me souviens plus des détails, mais ce qui m’a frappée c’est ceci : le petit chien qui est assis sur les genoux de sa maîtresse et qui s’imagine qu’il est le centre de l’univers! Cela m’a beaucoup frappée. C’est vrai! Je connaissais un petit chien comme ça. Mais il y en a beaucoup comme ça, presque tous sont comme ça. N’est-ce pas, ils veulent que tout le monde s’occupe d’eux, et en fait, ils réussissent très bien. Parce que quand il y a un petit chien, comme quand il y a un petit enfant — c’est la même chose à peu près —, tout le monde s’occupe d’eux.

Vous n’avez pas remarqué que quand il arrive un enfant qui est haut comme ça, tout le reste s’arrête? Les gens, auparavant, pouvaient parler, dire des choses intéressantes, s’occuper de choses un peu élevées; mais dès qu’il y a un petit enfant, tout le monde commence à faire des sourires, à faire le bébé, à essayer de le faire parler, à s’occuper de lui. On ne peut pas amener un enfant sans que tout le monde essaye de le tripoter, de le prendre, de le faire parler. Alors, naturellement, l’enfant se sent comme le centre de l’univers! C’est tout à fait naturel.

Pour un petit chien, c’est la même chose; pour un petit chat, c’est la même chose. C’est une sorte de... c’est une déformation très inférieure d’une sorte de besoin de protéger quelque chose qui est plus petit que soi. Et ça, c’est une des formes, c’est une des premières formes de manifestation non égoïste de l’ego. Il se sent si confortable quand il peut protéger quelque chose, s’occuper de quelque chose qui est beaucoup plus petit, beaucoup plus faible que soi, qui est presque à votre merci, presque — même tout à fait — à votre merci, qui n’a aucun pouvoir de résister. Et alors, vous vous sentez bon et généreux, parce que vous ne l’écrasez pas.

Ça, c’est la première manifestation de générosité dans le monde. Mais tout cela, quand on peut voir derrière, et un peu au-dessus, cela vous guérit d’être égoïste, parce que vraiment c’est ridicule. C’est vraiment ridicule!

Alors il y a un long, long, long chemin à faire, avant de fondre son ego dans le Divin.

Fondre son ego dans le Divin ! Mais d’abord on ne peut pas fondre son ego dans le Divin avant d’être complètement individualisé. Savez-vous ce que cela veut dire d’être complètement individualisé? Capable de résister à toutes les influences extérieures?

Il y a quelques jours, j’ai reçu une lettre de quelqu’un qui m’a dit qu’il hésitait beaucoup à lire des livres, de la littérature ordinaire, par exemple des romans ou des pièces de théâtre, parce que sa nature avait une tendance presque insurmontable à recevoir les empreintes des personnages de ces livres, et à recommencer à vivre dans le sentiment, dans la pensée de ces personnages-là, les caractères de ces personnages. Il y a beaucoup plus de personnes que l’on ne croit qui sont comme cela. Ils lisent un livre, et pendant le temps qu’ils le lisent, ils sentent en eux toutes sortes d’émotions, de pensées, de désirs, d’intentions, de plans, même d’idéals. Ils sont tout simplement absorbés par la lecture du livre. Ils ne s’en sont pas même aperçus, parce que, sur un individu, au moins quatre-vingtdix-neuf parties de son caractère sont faites de beurre tendre, immangeable naturellement, mais sur lequel, si on presse le pouce, cela fait une empreinte.

Alors tout est un « pouce » : une pensée exprimée, une phrase lue, un objet regardé, une observation de ce qu’un autre fait, et puis la volonté du voisin... Et toutes ces volontés, n’est-ce pas, quand on les voit, elles sont toutes là, comme ça, entremêlées (Mère fait des mouvements de doigts qui s’entrecroisent), chacune essayant d’avoir le dessus et faisant une espèce de conflit perpétuel dedans, dehors... Cela entre et cela sort des gens comme ça, n’est-ce pas, comme des courants électriques. On ne s’en aperçoit pas du tout, et c’est un conflit perpétuel de toutes les volontés qui essayent de s’exprimer; et c’est la plus forte qui réussira. Mais comme il y en a beaucoup, et que l’on est seul à lutter contre un grand nombre, ce n’est pas facile.

Et alors, on est ballotté comme un bouchon sur les vagues de la mer... Un jour on veut ceci, le lendemain on veut cela ; à un moment on est poussé de ce côté-ci, à un autre moment on est poussé par là ; tantôt on lève le nez au ciel, tantôt on est enfoncé dans le trou... Et puis voilà l’existence que l’on a !

D’abord il faut devenir un être conscient, cohésif, individualisé, qui existe en lui-même, par lui-même, indépendamment de tout son entourage, qui peut entendre n’importe quoi, lire n’importe quoi, voir n’importe quoi, que cela ne change pas. Il ne reçoit du dehors que ce qu’il veut recevoir; il refuse automatiquement tout ce qui n’est pas conforme à son plan, et rien ne peut laisser une empreinte sur lui à moins qu’il n’accepte de recevoir l’empreinte. Alors on commence à être une individualité. Quand on est une individualité, on peut en faire don.

Parce que, à moins qu’on ne possède quelque chose, on ne peut pas le donner. D’abord il faut être, et puis après, on peut se donner.

Tant que l’on n’est pas, on ne peut rien donner. Et pour que l’ego séparatiste, comme tu dis, disparaisse, il faut pouvoir se donner entièrement, totalement, sans restriction. Et pour pouvoir se donner, il faut d’abord exister. Et pour exister, il faut être individualisé.

Si votre corps n’était fait rigide comme il est — parce que c’est d’une rigidité terrible, n’est-ce pas —, eh bien, si tout cela n’était pas si fixe, si vous n’aviez pas une peau, là, comme ça, solide, si vous étiez extérieurement l’expression de ce que vous êtes vitalement et mentalement, ce serait pire que des méduses gélatineuses! Cela se fondrait l’un dans l’autre, comme ça... Oh! quel gâchis ça ferait! C’est pour cela qu’on a été obligé d’abord de donner une forme qui est très rigide. Après, on s’en plaint. On dit : « Le physique est fixe, il est ennuyeux ; il manque de plasticité, il manque de souplesse, il manque de cette fluidité qui fait que l’on peut se fondre, justement, dans le Divin. » Mais c’était tout à fait nécessaire, parce que sans cela, si simplement vous sortiez de votre corps (la plupart d’entre vous ne peuvent pas le faire parce que l’être vital est à peine plus individualisé que le physique), si vous sortiez de votre corps, et que vous alliez dans le monde vital, vous verriez là toutes les choses qui s’entremêlent, qui se mélangent, qui se divisent, toutes sortes de vibrations, de courants de forces qui vont, viennent, luttent, essayent de se détruire, s’accaparent, s’absorbent, se rejettent, et tout ça... Mais c’est très difficile de trouver une personnalité là-dedans. Ce sont des forces, ce sont des mouvements, ce sont des désirs, ce sont des vibrations.

Il y a des individualités, il y a des personnalités. Mais ce sont des puissances. Les gens qui sont individualisés, dans ce monde-là, ce sont ou des héros ou des diables.

Et alors, mentalement... (silence) Si seulement vous devenez conscient de votre mental physique en lui-même... Il y a des gens qui ont appelé cela une place publique, parce que tout y entre, traverse, passe, vient... Toutes les idées vont, elles entrent par ici, elles sortent par là, il y en a ici, il y en a là, et c’est une place publique, pas très bien organisée, parce que généralement des idées se rencontrent, se choquent, il y a des accidents de toutes sortes. Mais là, on se rend compte : « Qu’est-ce que je peux appeler mon mental? » ou : « Qu’est-ce qui est mon mental? »

Il faut des années de travail, d’organisation, de sélection, de construction, très attentives, très soignées, très raisonnables, très cohésives, pour arriver à se former simplement, oh! simplement cette petite chose : sa propre manière de penser.

On croit qu’on a sa propre manière de penser. La preuve, cela dépend totalement des gens avec qui l’on parle, ou des livres que l’on a lus, ou de l’humeur dans laquelle on se trouve. Cela dépend aussi de si vous avez une bonne ou mauvaise digestion, cela dépend de si vous êtes enfermé dans une chambre où il n’y a pas suffisamment de ventilation, ou si vous êtes en plein air, cela dépend de si vous avez devant vous un beau paysage, cela dépend de s’il y a du soleil ou s’il pleut! Vous ne vous rendez pas compte, mais vous pensez toutes sortes de choses tout à fait différentes suivant des tas de choses qui n’ont rien à faire avec vous-même!

Et pour que cela devienne une pensée coordonnée, cohésive, logique, il faut un long, minutieux travail. Et puis, le plus beau de l’affaire, c’est que quand vous êtes arrivé à une belle construction mentale, bien faite, bien forte, bien puissante, la première chose que l’on vous dira, c’est : « Il faut briser cela pour que vous puissiez vous unir au Divin! » Mais tant que vous ne l’avez pas fait, vous ne pouvez pas vous unir au Divin, parce que vous n’avez rien à donner au Divin qu’une masse de choses qui ne sont pas vous-même. Il faut d’abord exister pour pouvoir se donner. Je redis ce que j’ai dit tout à l’heure.

Vraiment, dans l’état actuel du monde, la seule chose que l’on puisse donner au Divin, c’est son corps. Mais c’est ce qu’on ne Lui donne pas. Oui, on peut essayer de consacrer son travail. Mais encore, là, il y a tant d’éléments qui ne sont pas vrais!

Vous voulez fondre votre corps dans le Divin, hein? Essayez donc ! Comment est-ce que vous ferez cela ? Vous pouvez fondre votre mental, vous pouvez fondre votre vital, vous pouvez fondre toutes vos émotions, vous pouvez fondre toutes vos aspirations, vous pouvez fondre tout cela ; mais votre corps, comment est-ce que vous allez faire? Vous n’allez pas le faire fondre dans une marmite! (rires) Mais pourtant, c’est la seule chose dont vous puissiez avec certitude dire : « c’est », mettre un nom dessus, et encore, votre nom est une convention, mais enfin, vous êtes habitué à vous appeler par un certain nom... mettez : « Ça, c’est moi. » Vous vous regardez dans une glace, et quoique ce que vous étiez il y a vingt ans et ce que vous êtes maintenant, c’est très différent, c’est méconnaissable, mais enfin, il y a tout de même quelque chose qui fait que : « Oui, ça, c’est moi. » Hein? « Je suis Untel, Pierre, Louis, Jacques, André, n’importe quoi... »

(Après un silence) Et même cela, si on se regardait tous les sept ans, toutes les cellules sont changées, et c’est seulement par une espèce d’habitude que cela reste le même. Cela reste le même? Vous avez des photographies de quand vous étiez tout petits? Et les photographies que l’on a dix ans, vingt ans, trente ans après, c’est parce qu’on le veut bien qu’on se reconnaît; autrement, vraiment, on n’est pas la même chose... Quand on est grand comme ça, et que maintenant on est grand comme ça, cela fait une différence considérable! Alors, voilà...

Tout cela... ce n’est pas pour vous noyer que je vous dis tout cela. C’est seulement pour vous dire qu’avant de parler de fondre son ego dans le Divin, il faut d’abord savoir un peu ce que l’on est soi-même. L’ego est là. Sa nécessité, c’est que vous deveniez des êtres conscients, indépendants, individualisés — je veux dire, dans le sens indépendant; que vous ne soyez pas, n’est-ce pas, la place publique où tout s’entrecroise, que vous puissiez exister en vous-même. C’est pour cela qu’il y a un ego. C’est comme cela, pour cela aussi qu’il y a une peau, comme ça... quoique vraiment, même les forces physiques passent à travers la peau. Il y a une vibration qui va à une certaine distance. Mais enfin, c’est cela qui fait que l’on ne se fond pas l’un dans l’autre. Mais il faut que le reste soit comme cela aussi.

(Après un silence) Et puis après, alors, on offre tout cela au Divin. Il faut des années de travail. Il faut non seulement (silence) devenir conscient de soi-même, conscient dans tous les détails, mais il faut organiser ce que vous appelez « vous-même » autour du centre psychique, du centre divin de votre être, pour que cela fasse un être unique, cohésif, pleinement conscient. Et comme ce centre divin est lui-même déjà (Mère fait un geste d’offrande) entièrement consacré au Divin, si tout est organisé harmonieusement autour, tout est consacré au Divin. Et alors, quand le Divin le juge bon, quand le temps est venu, quand le travail d’individualisation est complet, alors le Divin donne la permission que vous laissiez votre ego se fondre en Lui, que vous n’existiez plus que pour le Divin.

Mais c’est le Divin qui prend cette décision. Il faut d’abord que vous ayez fait tout ce travail : devenir un être conscient, uniquement et exclusivement centré autour du Divin et gouverné par Lui. Et après tout cela, il y a encore un ego; parce que c’est l’ego qui sert à ce que vous soyez une individualité. Mais une fois que ce travail-là est parfait, qu’il est pleinement achevé, alors, à ce moment-là, vous pouvez dire au Divin : « Voilà, je suis prêt. Veux-Tu de moi? » Et le Divin, généralement, dit : « Oui. » Tout est fini, tout est accompli. Et vous devenez un véritable instrument pour l’Œuvre du Divin. Mais il faut d’abord que l’instrument soit bâti.

Vous croyez que l’on vous envoie à l’école, vous croyez que l’on vous fait faire de l’exercice, tout cela pour le plaisir de vous embêter? Oh, non! C’est parce qu’il est indispensable que vous ayez un cadre dans lequel vous puissiez apprendre à vous former vous-même. Si vous faisiez votre travail d’individualisation, de formation totale, par vous-même, tout seul dans un coin, on ne vous demanderait rien du tout. Mais vous ne le faites pas, vous ne le feriez pas, il n’y a pas un enfant qui le ferait, il ne saurait même pas comment faire, par où commencer. Si on n’apprenait pas à un enfant à vivre, il ne pourrait pas vivre, il ne saurait rien faire, rien. Je ne veux pas parler de détails dégoûtants, mais les choses les plus élémentaires, il ne les ferait pas convenablement si on ne lui apprenait pas à les faire. Par conséquent, il faut, pas à pas... C’est-à-dire que si chacun devait refaire toute l’expérience nécessaire pour la formation d’une individualité, il serait mort longtemps avant d’avoir commencé à exister. C’est cela le bénéfice, accumulé depuis des siècles, de ceux qui ont fait des expériences et qui vous disent : « Eh bien, si vous voulez aller vite, savoir en quelques années ce que l’on a mis des siècles à apprendre, faites ceci. Lisez, apprenez, étudiez, et puis, dans le domaine matériel, on vous apprendra à faire ceci comme ça, cela comme ça, cela comme ça (gestes). Une fois que vous saurez un peu, vous pourrez trouver votre propre méthode, si vous avez du génie. » Mais il faut d’abord se tenir sur ses jambes et savoir marcher. C’est très difficile à apprendre tout seul. C’est pour tout comme cela. Il faut se former. Par conséquent, on a besoin d’éducation. Voilà !

(À une enfant) Tu as quelque chose à demander, toi? Non? Il y a quelqu’un qui a quelque chose à demander?

Mère, la dernière fois tu avais dit qu’il y a souvent en nous un élément noir qui fait... qui nous suggère... qui nous fait faire des bêtises. Alors, tu as dit que quand on est conscient de cet élément, il faut l’arracher. Mais est-ce que l’arracher veut dire... Par exemple, quand on est conscient que cet élément vient nous faire faire une bêtise, alors, si par un effort de volonté on s’abstient de la faire, est-ce qu’on peut dire qu’on l’a arraché?

Qu’on ne fait pas les bêtises...?

... par effort de volonté. Par exemple, on ne fait pas cette action qu’on ne devrait pas faire.

Oui, oui.

Alors, est-ce qu’on peut dire qu’on a arraché l’élément qui était la cause?

On s’est assis dessus.

Alors comment l’arracher?

Pour cela, il faut d’abord devenir conscient de lui, n’est-ce pas, le mettre en face de soi, et couper les liens qui le rattachent à votre conscience. C’est un travail de psychologie interne, n’est-ce pas.

On peut voir, quand on s’étudie très attentivement... Par exemple, si l’on s’observe, on voit qu’un jour on est très généreux. Mettons cela, c’est facile à comprendre. Très généreux : généreux dans ses sentiments, généreux dans ses sensations, généreux dans ses pensées et même généreux matériellement; c’est-à-dire que l’on comprend les fautes des autres, les intentions, les faiblesses, même les mouvements qui sont vilains — on voit tout cela, et on se sent plein de bons sentiments, de générosité. On se dit : « Bien... chacun fait aussi bien qu’il peut! » — comme ça. Un autre jour — ou peut-être même le moment suivant —, on apercevra en soi une sorte d’aridité, de fixité, quelque chose qui est âpre, qui juge sévèrement, qui va jusqu’à en vouloir, qui a de la rancune, qui voudrait que celui qui a mal fait soit puni, qui a presque des sentiments de vengeance : juste l’opposé de cela. Un jour on vous fait du mal, vous dites : « Bon, il ne savait pas... » ou : « Il ne pouvait pas faire autrement... » ou : « C’était sa nature... » ou : « Il ne pouvait pas comprendre! » Le lendemain — ou peut-être une heure après —, vous dites : « Il faut qu’il soit puni! Il faut que ça retombe sur lui! Il faut qu’il sente qu’il a mal fait! » avec une sorte de rage; et on veut prendre les choses, on veut les garder pour soi, on a tous ces sentiments de jalousie, d’envie, d’étroitesse, n’est-ce pas, juste l’opposé de l’autre sentiment. Cela, c’est le côté d’ombre. Et alors, au moment où on le voit, n’est-ce pas, si on le regarde, si on ne dit pas : « C’est moi », si on dit : « Non, c’est l’ombre de moi-même, c’est cet être qu’il faut rejeter en dehors de moi », on met la lumière de l’autre partie, on tâche de les confronter; et avec cette connaissance et cette lumière de l’autre, on n’essaye pas beaucoup de convaincre, parce que c’est très difficile, mais on l’oblige à se tenir tranquille — d’abord à s’éloigner, ensuite on le rejette bien loin pour qu’il ne puisse plus revenir —, avec une grande lumière sur lui. Il y a des cas où c’est possible de changer, mais c’est très rare. Il y a des cas où l’on peut mettre sur cet être, ou sur cette ombre, mettre dessus une lumière tellement intense que cela le transforme, et qu’il se change en ce qui est la vérité de votre être.

Mais ça, c’est une chose rare. Cela peut se faire, mais c’est une chose rare. Mais d’habitude, la meilleure chose, c’est de dire : « Non, ça, ce n’est pas moi. Je n’en veux pas! Je n’ai rien à faire avec ce mouvement-là, ça n’existe pas pour moi, c’est quelque chose qui est contraire à ma nature. » Et alors, à force d’insister et de le repousser, finalement on se sépare de lui.

Mais il faut d’abord être suffisamment lucide et sincère pour voir l’opposition au-dedans de soi. Généralement, l’on ne fait pas attention à ces choses-là. On passe d’un extrême à l’autre. N’est-ce pas, on peut dire, prendre des mots très simples : un jour on est bon, le lendemain on est méchant. Et cela paraît tout à fait naturel. Ou même, quelquefois, une heure on est bon et l’heure suivante on est méchant; ou bien, quelquefois, toute la journée on est bon, et tout d’un coup on devient méchant, une minute très méchant, d’autant plus méchant qu’on a été bon! Seulement on ne l’observe pas, on a des pensées qui vous traversent l’esprit, des choses violentes, mauvaises, haineuses, comme ça... On n’y fait pas attention généralement. Mais c’est cela qu’il faut attraper! Dès que cela se manifeste, il faut l’attraper comme ça (geste), avec une poigne très solide, et puis le tenir, le tenir en face de la lumière et dire : « Non! Toi, je-ne-teveux-pas! Je-ne-te-veux-pas! Je n’ai rien à faire avec ça ! Tu vas t’en aller d’ici, et tu ne reviendras pas! »

(Après un silence) Et c’est une chose, une expérience qu’on peut avoir quotidiennement, presque... Quand on a de ces mouvements de grand enthousiasme, de grande aspiration, que l’on devient tout d’un coup conscient du but divin, de l’élan vers le Divin, de ce désir de participer à l’Œuvre divine, que l’on sort de soi-même dans une grande joie et une grande force, et puis, quelques heures après, on est misérable pour une toute petite chose; on a un retour sur soi, si mesquin, si étroit, si vulgaire, on a un désir si plat... Et tout ça, ça s’est évaporé, comme si ça n’existait pas. On est très habitué aux contradictions; on n’y fait pas attention, et c’est pour cela que tout ça, ça voisine confortablement. Il faut d’abord les découvrir, et justement empêcher que cela se mélange dans la conscience : les départager, séparer l’ombre de la lumière. Après, on peut se débarrasser de l’ombre.

Voilà, maintenant il est temps. Rien d’urgent à demander? Non?

Douce Mère...

Ah!

... entre la préférence mentale et les insistances vitales, lesquelles sont les plus dangereuses pour le yoga ?

Celles que l’on a ! (rires)









Let us co-create the website.

Share your feedback. Help us improve. Or ask a question.

Image Description
Connect for updates