CWM (Fre) Set of 18 volumes
Entretiens - 1954 Vol. 6 of CWM (Fre) 533 pages 2009 Edition
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Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.

Entretiens - 1954


décembre




Le 29 décembre 1954

Cet Entretien est basé sur le chapitre III de Les Bases du Yoga, « En difficulté ».

Alors? (À une enfant) Pas de questions? (À une autre) Tu as une question?

Douce Mère, pourquoi dit-on que ceux qui ont les plus grandes capacités pour le yoga, le plus souvent ont aussi les plus grandes difficultés?

Pourquoi c’est comme ça ? (silence) Parce qu’il faut avoir une nature très forte, très riche, avec une grande puissance intérieure pour avoir une grande capacité de yoga ; et les natures très fortes ont aussi des difficultés très fortes.

Les gens neutres, ternes, sans importance, généralement ils vont leur petit chemin sans être très dérangés. Mais ils ne peuvent pas faire grand-chose, leur chemin est très petit et très court; ils arrivent au bout très vite. Ils ne peuvent pas grandchose. Mais les gens qui ont une forte nature, ils ont aussi de fortes difficultés. Parce qu’il est absolument impossible, dans ce monde, d’être sans difficultés. Tant que le monde est ce qu’il est, et que l’on participe à ce monde, on participe nécessairement à ses difficultés.

Ce n’est que par un effort très continu que l’on peut arriver à surmonter ses difficultés; et encore, il semble impossible de se couper complètement de la solidarité avec le reste du monde. Par conséquent, une parfaite pureté, une parfaite perfection semblent impossibles tant que le monde n’est pas arrivé au moins à un certain degré de perfection. Même l’ascète, le solitaire qui va s’asseoir dans une cave, ou sous un arbre, dans la jungle, il ne peut pas complètement se libérer de cette solidarité avec le reste du monde. L’air qu’il respire est plein de toutes les vibrations du monde, la nourriture qu’il mange, quelle qu’elle soit, même si elle est réduite au minimum, contient les vibrations du monde et, par conséquent, il suffit qu’il existe pour qu’il ait une solidarité avec les difficultés du monde.

C’est d’ailleurs pour cela que le chemin est si long. Même sans avoir aucune autre considération que celle de ce que l’on absorbe constamment au-dedans de soi en respirant et en se nourrissant, toutes ces choses, il faut constamment les transformer à mesure qu’on les absorbe. C’est une alchimie continue, où l’on absorbe un certain genre de vibrations contenant tous les désordres possibles, et il faut transmuer cela en quelque chose qui est prêt à recevoir la lumière d’en haut. Et ce travail est perpétuel, et perpétuellement renouvelé. Alors il est impossible d’exister dans ce monde, dans le monde tel qu’il est, et de devenir parfait sans que le monde lui-même ne fasse un grand progrès.

(long silence)

Alors? Il n’y a pas de questions aujourd’hui?

Mère, est-ce que la vie de l’individu dépend de l’expérience que veut avoir son être psychique?

Beaucoup!

Justement je parlais de ça aujourd’hui avec quelqu’un, et je disais ceci, que, si l’on peut devenir pleinement conscient de son être psychique, en même temps on apprend, forcément, la raison de son existence actuelle et l’expérience que cet être psychique veut faire; et au lieu de la faire à moitié consciemment et plus qu’à moitié inconsciemment, on peut raccourcir cette expérience, et ainsi on peut aider son être psychique à faire en un nombre restreint d’années des expériences qui lui prendraient peut-être plusieurs existences à faire. C’est-à-dire que l’aide est réciproque. Le psychique, quand il a une influence sur la vie extérieure, y amène la lumière, l’ordre, et la tranquillité, et la joie du contact divin. Mais aussi l’être physique, la conscience du corps, si elle s’identifie à la conscience psychique et, par là, apprend quel est le genre de l’expérience que l’être psychique veut faire, peut lui faire faire ces expériences en un nombre très restreint d’années, et non seulement gagner du temps mais gagner des vies pour l’être psychique. C’est une aide réciproque.

C’est cela, en somme, en quoi consiste le yoga. Le yoga vous aide à devenir tout à fait conscient de votre destin, c’est-à-dire de votre mission dans l’univers, et non seulement au moment présent, mais ce que cela était dans le passé, et ce que cela sera dans l’avenir. Et à cause de cette connaissance, vous pouvez rassembler par une concentration de la conscience toutes ces expériences en un temps très limité et gagner des vies, faire en quelques années ce qui pourrait prendre un nombre assez considérable de vies à faire. L’être psychique va progressivement à travers toutes ces expériences vers sa pleine maturité et sa complète indépendance — libération — dans le sens qu’il n’a plus besoin de la vie. S’il veut revenir dans le monde physique, il y revient parce qu’il a quelque chose à y faire et qu’il choisit librement d’y revenir. Mais jusque-là, jusqu’à cette libération, il est obligé de revenir pour avoir toutes les expériences dont il a besoin. Eh bien, s’il se trouve qu’une fois l’être physique est suffisamment développé et conscient et a une suffisante bonne volonté pour pouvoir prendre pleinement conscience de l’être psychique, il peut au même moment créer toutes les circonstances, les expériences extérieures nécessaires pour que l’être psychique atteigne à sa maturité dans cette vie-là.

(long silence)

Les gens qui se promènent pendant la nuit dans le domaine inférieur du vital, est-ce qu’ils souffrent beaucoup après la mort?

Pas nécessairement plus que ceux qui ne se promènent pas. Parce que par le fait qu’ils se promènent, ils sont un petit peu plus armés, ils ont un petit peu l’habitude de ce monde-là, ce n’est pas pour eux un domaine tout à fait inconnu; ils y sont allés déjà et, par exemple, ils ont pu avoir assez d’expériences désagréables et apprendre comment on se défend. Il est vrai que, généralement, la seule défense que l’on ait dans ces cas-là, c’est de se reprécipiter dans son corps, et que c’est justement la chose que l’on ne peut plus faire. Mais ils ont tout de même un petit peu d’expérience. Tandis que ceux qui y vont sans le savoir, et qui n’ont jamais eu cette conscience-là, quand ils sont précipités dans ce monde-là, c’est être précipité dans un inconnu tout à fait désagréable, avec une inconscience totale des moyens de se défendre. Je crois que ceux qui ont des rêves, ce qu’ils appellent des rêves, et qui en sont conscients, sont dans une situation beaucoup plus favorable; même si les rêves ne sont pas d’une très belle qualité, ils sont dans une condition beaucoup plus favorable que ceux qui sont tout à fait inconscients. Parce qu’une fois qu’on a quitté son corps, que l’on soit conscient ou que l’on soit inconscient, que l’on soit développé ou que l’on ne soit pas développé, on sort toujours dans le même domaine, pour commencer; à moins que l’on ne soit un yogi qui peut faire de soi-même ce qu’il veut, mais ça, n’est-ce pas, c’est un cas tellement rare qu’on ne peut pas en tenir compte. Tous les gens, quand ils sortent de leur corps, ils sont précipités dans un domaine du vital inférieur qui n’a rien de particulièrement agréable.

Et encore, tiens, c’est curieux, encore quelque chose dont je parlais aujourd’hui : la chose la plus importante, dans ce caslà, c’est le dernier état de conscience que l’on a eu quand tous les deux étaient joints — quand l’être vital et le corps étaient encore réunis. Alors, le dernier état de conscience, on peut dire le dernier désir, ou le dernier espoir, ou la dernière aspiration, ont une importance colossale pour le premier choc que l’on a avec le monde invisible. Et là, la responsabilité des gens qui entourent le mourant est beaucoup plus grande qu’ils ne le croient. S’ils peuvent l’aider à entrer dans sa conscience la plus haute, alors ils lui rendront le plus grand service qu’ils peuvent lui rendre. Mais généralement, ce qu’ils font, c’est de s’agripper à lui tant qu’ils peuvent, et de le tirer vers eux avec un égoïsme farouche; ce qui fait que, n’est-ce pas, au lieu de pouvoir s’en aller dans une conscience un peu haute qui le protégera dans sa sortie, il est agrippé par les choses matérielles, et c’est une bataille intérieure terrible pour se libérer à la fois de son corps et de ses attachements.

Au fond, n’est-ce pas (je dis à très peu d’exceptions près, si peu qu’on ne peut guère en parler), l’humanité tout entière vit dans une ignorance totale — ignorance totale de la manière de vivre —, non pas des choses de l’univers, mais simplement de la connaissance la plus élémentaire pour vivre. On ne sait pas vivre. On fait tout le temps des choses que l’on ne devrait pas faire, et je ne parle pas de satisfaire des désirs et tout ça, je dis simplement la vie de chaque minute, le mouvement de chaque instant. Parce qu’on est dans un état d’ignorance totale, on fait justement le contraire de ce qu’on devrait faire pour obtenir le résultat que l’on veut obtenir. On tâche de se diriger vers un but quel qu’il soit — cela peut être un but égoïste, cela peut être un but désintéressé, cela peut être un but matériel, cela peut être un but spirituel, mais on veut se diriger quelque part —, et on fait juste le contraire de ce qu’il faut pour y aller, tout le temps. Et si vous êtes seulement un tout petit peu attentif et que vous êtes capable de vous regarder, à n’importe quelle minute, quelle que soit la chose que vous avez à faire, arrêtez-vous le quart d’une seconde, et regardez-vous et dites-vous : « Est-ce que je sais ce que j’ai à faire? » Si vous êtes sincère, vous verrez que vous ne le savez pas du tout. Vous le faites automatiquement, instinctivement, par habitude, ou bien, n’est-ce pas, avec une impulsion quelconque; mais savoir : « Est-ce que c’est ça qu’il faut faire? Est-ce que c’est comme ça que ça doit être fait? », je ne crois pas qu’une fois sur mille vous pouvez répondre.

Et alors, quand vient le problème de vouloir aider quelqu’un... Si vous avez de la bonne volonté et que vous voulez aider quelqu’un — vous ne savez pas vous aider vous-même pour commencer, mais enfin, vous n’êtes pas égoïste —, à un moment donné, vous voulez aider quelqu’un, et alors c’est là : « Qu’est-ce qu’il faut que je fasse? » Vous n’en savez rien du tout. « De quoi a-t-il besoin? » Je veux dire, non pas seulement du fait matériel, mais du sentiment qu’il faut avoir, de la pensée qu’il faut que vous ayez, du mot qu’il faut dire. Si vous faites simplement un pas en arrière, vous vous regardez, mais vous n’en savez rien; vous le faites comme ça, au petit bonheur, au hasard, avec l’espoir que cela réussira, mais la connaissance n’est pas là. Sans parler, naturellement... je ne parle pas des gens qui ne savent rien du tout et qui, quand ils se trouvent même avoir un enfant, ne savent même pas ce qu’il faut faire pour le tenir propre et le garder en bonne santé. Je ne parle même pas de ce genre d’ignorance, parce que ça, tout le monde le reconnaît. J’ai connu, n’est-ce pas, une quantité innombrable de mères qui n’avaient pas la moindre idée de ce qu’il fallait faire pour garder leurs enfants en bonne santé. Je ne parle même pas de ça. Parce que ça, si on lit un livre, si on travaille un petit peu, si on étudie, on peut au moins avoir un minimum de connaissance.

Je parle simplement d’un petit degré de plus : moralement, votre relation morale, psychologique avec les gens. Vous vous trouvez avec quelqu’un qui est en difficulté. Est-ce que vous savez ce qu’il faut lui dire? Est-ce que vous savez même la source, l’origine de sa difficulté? ce qui se passe en lui? Vous pouvez deviner, vous pouvez imaginer, vous pouvez déduire, vous pouvez raisonner, mais vous ne savez pas!

Avoir cette certitude, la connaissance, la connaissance, savoir : « C’est ça » — on ne l’a pas! « Est-ce que c’est ça, est-ce que c’est comme ça ? Et si je fais comme ça, est-ce qu’il va arriver ça ? Et si je fais comme ça, est-ce que c’est ça qui va arriver? » Et vous allez, vous pouvez continuer pendant des heures, à hésiter, à tâtonner, à vous demander... Et c’est justement cela que Sri Aurobindo a écrit dans son dernier article 28 qui a paru dans le Bulletin. Il a dit : Si vous voulez être prêt pour la descente du Supramental, il faut d’abord que votre mental d’ignorance et d’incapacité soit remplacé par un Mental de Lumière, qui voit et qui sait. Et c’est le premier pas. Avant que ce pas-là soit franchi, on ne peut pas avancer. Ce n’est pas pour vous décourager que je vous dis ça, mais c’est pour les gens qui s’imaginent que l’on n’a qu’à dire : « Oh, je veux la Lumière supramentale », et puis que ça vient comme ça, comme quand on dit : « Je veux avaler un verre d’eau », et on l’avale. Pas si facile! Voilà.

Alors quelqu’un a une question? Non?

Alors vendredi, qui est mon jour de lecture, c’est le 31. Le 31, c’est le veille du 1er. Étant la veille du 1er, généralement, il y a fort longtemps — vous étiez tout petits, peut-être que vous n’étiez même pas là —, je lisais la prière à minuit, juste quand on passait d’une année à l’autre. Maintenant c’est trop tard, nous sommes des gens qui nous fatiguons beaucoup dans la journée, et qui avons besoin de dormir tranquilles.

(Les enfants réclament tous à Mère de lire à minuit)

Non, non, je ne le ferai pas. (rires) Seulement, à ce momentci, à cette heure-ci, au lieu de lire n’importe quoi, je vous lirai la « Prière 1955 », et vous écouterez. Et s’il y en a qui veulent poser des questions, je vous répondrai, et nous finirons notre année comme ça... pas jusqu’à minuit! (rires) Nous finirons notre année comme ça. Voilà. Voilà mes enfants. C’est tout?

Au revoir!









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