CWM (Fre) Set of 18 volumes
Entretiens - 1954 Vol. 6 of CWM (Fre) 533 pages 2009 Edition
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Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.

Entretiens - 1954


février




Le 3 février 1954

« Certaines initiations antiques affirmaient que le nombre des sens que l’homme peut développer est non de cinq mais de sept, et dans certains cas spéciaux, même de douze. À certaines époques, certaines races humaines ont, par nécessité, développé plus ou moins parfaitement l’un ou l’autre de ces sens supplémentaires. Par une discipline appropriée et tenace, ils sont à la portée de tous ceux qui sont sincèrement intéressés par ce développement et ses conséquences. Parmi les facultés dont il est souvent parlé, il y a celle, par exemple, d’élargir sa conscience physique, de la projeter hors de soi pour la concentrer sur un point défini, et obtenir ainsi la vision, l’audition, l’odorat, le goût et même le contact à distance. »

(Éducation, « L’Éducation vitale »)

Quels sont les noms de ces douze sens?

Les noms? Dans la tradition chaldéenne, ils étaient en chaldéen. En d’autres traditions, c’était dans un autre langage; en Égypte, cela s’écrivait avec des hiéroglyphes. Chaque système a donné ses noms. J’avais une liste des noms — pas seulement des noms, mais aussi de ce qu’ils représentaient, quel genre de sens cela représentait —, mais il y a fort longtemps, je ne me souviens plus. Comme je l’ai dit là, c’est dans le domaine des choses qui se voient, qui se sentent, qui se font à distance par une projection concentrée de la conscience. Par exemple, on se trouve dans une chambre et, par suite d’une maladie ou d’un accident, on ne peut pas bouger. Après cette chambre, il y a une autre chambre; après cette autre chambre, il y a une espèce de pont; après ce pont, il y a un escalier qui descend ; et cet escalier descend dans un grand atelier qui est au milieu d’un jardin. Alors, la personne qui est couchée dans la chambre a envie de savoir ce qui se passe dans l’atelier. On concentre sa conscience et puis on la prolonge, pour ainsi dire (vraiment c’est comme si on la prolongeait, presque matériellement, comme ça), et on fait tout le chemin, et puis on arrive dans l’atelier. Si on le fait convenablement, on voit ce qu’il y a dans l’atelier, on peut entendre ce qui s’y passe, quoique soi-même on ne soit pas dans l’atelier : le corps est couché dans un lit, dans une chambre, mais c’est la conscience qui est projetée. C’est une conscience physique. Ce n’est pas un état intérieur, parce qu’on voit physiquement, on entend physiquement — s’il y a des gens dans la chambre, on les voit, et s’ils parlent on les entend parler. Naturellement, ce n’est pas dès le premier jour que l’on réussit; cela demande une discipline très rigoureuse. Cela correspond un peu (un peu) à cette capacité qui s’est développée chez les Indiens peaux-rouges du fait de leur vie. Je ne sais pas maintenant, mais alors ils appliquaient l’oreille par terre, et ils avaient l’oreille tellement fine qu’ils pouvaient entendre des pas à plus d’un mille de distance. Ils entendaient les pas de ceux qui marchaient à plus de deux ou trois kilomètres de distance, simplement en mettant l’oreille par terre. Ou bien le chien qui, si on lui donne à sentir quelque chose, retrouvera la piste de cette odeur, pourra la suivre avec son nez. Eh bien, c’est une espèce de supersens, c’est-à-dire un sens arrivé à un degré d’intensité et de raffinement tel qu’il peut justement sentir ce que le sens ordinaire ne sent pas, voir à distance, réellement voir, voir physiquement à distance, à travers les murs. On dit que les aveugles développent un sens qui leur fait sentir à distance un contact. Ils ne voient pas, ils marchent dans l’obscurité comme dans la nuit noire; mais ils ont une espèce de sens du contact à distance, du contact matériel qui fait que, longtemps avant de toucher un objet, ils savent — par exemple, s’il y a un meuble sur leur chemin, longtemps avant de se cogner contre le meuble, ils ont le toucher à distance de ce meuble-là.

Chez les enfants, le mental n’est pas développé quand ils sont petits. Est-ce la même chose pour le vital?

Non, le vital est beaucoup plus développé que le mental. Tu sais, j’ai dit là que les choses se cristallisaient 1 , c’est-à-dire que cela prend une forme, et une forme de plus en plus précise et de plus en plus fixe (plus la forme est précise, plus elle est fixe). Chez les enfants, c’est beaucoup plus comme de l’eau; ce n’est pas encore dans une forme très concrète et très précise. C’est pour cela, d’ailleurs, que l’on peut avoir une grande action sur eux, parce que c’est encore souple, ce n’est pas cristallisé : on peut le remarquer, ça a quelque chose de malléable, comme si l’on moulait du beurre; tandis que, dès qu’ils arrivent à l’âge de vingt à vingt-cinq ans, la disposition spéciale, la tournure du caractère est fixée et, à ce moment-là, au lieu d’empêcher que les défauts se produisent, il faut commencer à les réparer. C’est une autre chose. Si l’on veut donner une éducation qui empêche que les mauvaises habitudes soient prises ou que des mauvais plis soient poursuivis, une éducation qui constamment amène l’enfant dans le droit chemin (celui que l’on veut qu’il suive), eh bien, quand ils sont petits, c’est possible, quand ils deviennent plus grands, ça devient dur. On ne peut pas changer l’empreinte facilement. Quelquefois même, il faut casser pour pouvoir changer : ceux qui ne sont pas progressifs, qui sont fixés, et qui restent fixés, qui tiennent de toutes leurs forces à leurs petites habitudes. Tandis que les petits sont souples, on peut changer leur opinion, on peut les faire progresser, leur donner le sens que, le lendemain, on doit faire mieux que la veille.

Les mauvaises habitudes, par exemple de ne pas garder les choses en ordre, est-ce dû au vital?

Cela dépend. Par exemple, les enfants qui n’ont pas d’ordre, qui ne peuvent pas garder leurs affaires soigneusement, qui les perdent ou les abîment, cela a trois raisons. Le plus souvent, c’est un enfant qui manque de vitalité. Quand il est comme ça, quand il ne peut pas garder ses affaires soigneusement et quand tout est en désordre autour de lui, c’est toujours le signe d’un manque de vitalité; il n’a pas une vitalité suffisante pour prendre de l’intérêt à ces choses extérieures. La seconde raison, c’est qu’il manque d’intérêt dans la vie matérielle, la vie des choses, et qu’il n’a pas de discipline, qu’il ne se discipline pas lui-même. Par exemple, les enfants, quand ils se déshabillent, jettent tous leurs vêtements à droite et à gauche; ou bien, quand ils ont joué, ils laissent leurs jouets traîner; quand ils ont écrit et fait leurs devoirs, tout est là en pagaille : le porte-plume d’un côté, le cahier de l’autre, le livre d’un troisième, et puis tout cela se perd. Malheureusement, c’est le cas de l’immense majorité des enfants ici, à l’école; ils perdent tout; j’ai retrouvé des livres qui étaient en bouillie parce qu’ils avaient passé toute la nuit sur un pot de fleur et qu’il avait plu le matin! Quand on l’a pris, c’était comme de la soupe. Mais c’est rare. Les crayons aussi, j’ai une collection de porte-plume et de crayons qui ont été ramassés, qui étaient perdus. Ça, ce sont les natures absolument indisciplinées, les gens qui n’ont pas de méthode — et intérieurement ils n’ont aucune méthode. Et par-dessus le marché, ils méprisent les choses — et, comme le dit Sri Aurobindo, ils ne sont pas dignes d’en avoir. Les gens qui ne savent pas s’occuper avec soin des affaires, ne méritent pas d’en avoir. Sri Aurobindo a écrit plusieurs fois à ce sujet dans ses lettres. Il a dit : si vous ne savez pas prendre soin des choses matérielles, vous n’avez pas le droit d’en avoir. Cela prouve une espèce d’égoïsme et de confusion dans l’être humain, et ce n’est pas bon signe. Et puis, alors, plus tard, quand ils deviennent grands, il y a ceux qui ne peuvent pas garder une armoire en ordre, un tiroir en ordre. Extérieurement, ils peuvent être dans une chambre qui a l’air très propre et très en ordre, et puis, vous ouvrez un tiroir, ou vous ouvrez une armoire, c’est un champ de bataille! Tout est mélangé. Vous trouvez toutes les choses ensemble; rien n’est classé. Ça, ce sont les gens qui ont une pauvre petite tête où les idées sont dans le même état que leurs objets matériels. Ils n’ont pas organisé leurs idées. Ils n’ont pas mis d’ordre. Ils vivent dans une confusion cérébrale. Et c’est un signe certain, je n’ai jamais rencontré d’exception à cette règle : les gens qui ne savent pas garder leurs affaires en ordre, leurs idées sont en désordre dans leur tête, toujours. Elles cohabitent, les idées les plus opposées sont mises ensemble — et non par une synthèse supérieure, n’en croyez rien : simplement par un désordre et une incapacité d’organiser leurs idées. Vous n’avez pas besoin de parler même dix minutes avec quelqu’un si vous pouvez entrer dans sa chambre et ouvrir les tiroirs de ses meubles et voir son armoire — vous savez dans quel état ils sont, n’est-ce pas!

Par contre, il y avait quelqu’un (je vous dirai qui après) qui avait dans sa chambre des centaines de livres, d’innombrables feuilles de papier, des cahiers et toutes sortes de choses, et alors, vous entriez dans la chambre et vous voyiez partout des livres, des papiers — un amoncellement, c’est tout plein. Mais si vous aviez le malheur de changer un seul petit bout de papier de place, il le savait immédiatement et vous disait : « Qui est-ce qui a touché à mes affaires? » Vous, quand vous arrivez, vous voyez tant de choses que vous ne vous y reconnaissez pas. Et chaque chose avait sa place. Et c’était si conscient que, je vous dis, si l’on déplaçait un papier — par exemple, un papier où il y avait des notes, ou une lettre ou quelque chose que l’on enlevait de là pour le mettre là avec l’idée que l’on mettait de l’ordre —, il vous disait : « Vous avez touché à mes affaires; vous avez déplacé et mis du désordre dans mes affaires. » Ça, c’était Sri Aurobindo! C’est-à-dire qu’il ne faut pas confondre l’ordre avec la pauvreté. Naturellement, si vous avez une douzaine de livres et un nombre très restreint de choses, il est plus facile de les garder en ordre, mais ce qu’il faut réussir, c’est à mettre de l’ordre — et un ordre logique, un ordre conscient, intelligent — dans une quantité innombrable de choses. Cela demande une capacité d’organisation.

Évidemment, si quelqu’un est très malade, ne dispose d’aucune force, c’est différent. Et encore même là, il y a des limites; j’ai connu des malades qui pouvaient vous dire : « Ouvrez-moi ce tiroir et dans le coin de gauche au fond, vous trouverez telle chose sous telle autre chose »; il ne pouvait pas bouger et la prendre lui-même, mais il savait très bien où c’était. Mais à part cela, l’idéal est d’avoir de l’organisation, comme celle que l’on fait, par exemple, dans les bibliothèques où l’on arrive à avoir des centaines de milliers de livres et où tout est classé — naturellement ce n’est pas fait par une seule personne —, mais c’est un travail où chaque chose est tellement bien classée que, malgré tout, si vous apportez une fiche et que vous disiez : « Je veux ce livre », un quart d’heure après vous l’avez, ou cinq minutes après. Voilà l’organisation. Et pourtant, il y en a des couloirs pleins. Mais ça, c’est le résultat d’un travail accompli par un grand nombre de gens et d’une organisation professionnelle. Eh bien, pour soi-même, il faut que ses propres affaires — et en même temps ses propres idées — soient organisées de la même manière et que vous sachiez exactement où sont les choses et que vous puissiez aller tout droit les trouver, parce que votre organisation est logique. C’est votre propre logique — ça peut ne pas être la logique du voisin, pas nécessairement, c’est votre propre logique —, mais votre organisation étant logique, vous savez exactement où est une chose et, comme je vous l’ai dit, si cette chose est déplacée, vous le savez immédiatement. Et ceux qui peuvent faire cela, généralement ce sont des gens qui peuvent mettre de l’ordre dans leurs idées, et qui peuvent mettre aussi de l’organisation dans leur caractère, et qui finalement peuvent gouverner leurs mouvements. Et puis, si l’on fait un progrès, on arrive à gouverner sa vie physique : on commence à avoir un contrôle sur ses mouvements physiques. Si l’on prend ce bout-là de la vie, vraiment elle devient intéressante. Si l’on vit dans une confusion, un désordre, un chaos intérieur, extérieur, où tout se mélange et où l’on n’est conscient de rien, et on est maître encore moins des choses, ce n’est pas une vie. Ce n’est pas vivre, c’est être dans une mer d’inconscience, être ballotté par les vagues, pris par des courants, jeté contre des roches, repris par une autre vague qui vous jette contre un autre rocher; et puis on continue, comme ça, avec des bleus et des coups et des bosses. Et alors, quoi que l’on vous demande (Pourquoi est-ce comme ça ? — Je ne sais pas. — Pourquoi as-tu fait ça ? — Je ne sais pas. — Pourquoi penses-tu comme ça ? — Je ne sais pas. — Pourquoi as-tu fait ce mouvement-là ? — Je ne sais pas.), toutes les réponses, c’est : « Je ne sais pas. »

Au fond, il n’y a qu’une seule vraie raison de vivre : c’est de se connaître. Nous sommes ici pour apprendre — pour apprendre ce que nous sommes, pourquoi nous sommes ici, et ce que nous avons à y faire. Et si nous ne savons pas ça, notre vie est tout à fait vide — pour nous et pour les autres.

Et alors, généralement, il vaut mieux commencer de bonne heure, parce qu’il y a beaucoup à apprendre. Si l’on veut apprendre la vie telle qu’elle est, le monde tel qu’il est, et puis vraiment savoir le pourquoi et le comment de la vie, on peut commencer tout petit, dès qu’on est petit, petit, petit — avant cinq ans. Et puis, quand on aura cent ans, on pourra encore apprendre. Alors c’est intéressant. Et on peut avoir tout le temps des surprises, apprendre toujours quelque chose que l’on ne connaissait pas, se trouver en présence d’une expérience que l’on n’avait pas eue, rencontrer un phénomène que l’on ignorait. C’est sûrement très intéressant. Et plus on sait, plus on s’aperçoit qu’on a tout à apprendre. Vraiment, je peux dire qu’il n’y a que les sots qui croient savoir. Ça, c’est un signe certain, quelqu’un qui vient vous dire : « Oh! je connais tout ça; oh! je sais tout ça », il est classé!

Tu as dit : « Chacun [...] dans son caractère, possède les deux tendances opposées qui sont comme la lumière et l’ombre d’une même chose 2 . » Pourquoi est-ce organisé ainsi? Ne peut-on pas posséder seulement la lumière?

Oui, si on élimine l’ombre. Mais il faut l’éliminer. Cela ne se fait pas tout seul. Le monde tel qu’il est, est un monde mélangé. Tu ne peux pas avoir un objet qui reçoive la lumière d’un côté sans que, de l’autre, il fasse de l’ombre. C’est comme ça, et au fond ce sont les ombres qui vous font voir les lumières. Le monde est comme ça, et pour n’avoir que la lumière, il faut justement faire toute la discipline nécessaire pour éliminer l’ombre. C’est ce que j’ai expliqué d’ailleurs plus loin; j’ai dit que cette ombre était comme un signe de ce que vous aviez à vaincre dans votre nature pour pouvoir arriver à réaliser ce que vous êtes venu faire. Si vous avez un rôle à remplir, une mission à remplir, vous aurez toujours en vous la difficulté principale qui vous empêchera de la réaliser, afin que vous ayez à portée de la main la victoire que vous devez remporter. Si vous aviez à lutter contre une difficulté qui est sur toute la terre, ce serait très difficile (il faut avoir une conscience très vaste et un très grand pouvoir), tandis que si vous portez dans votre propre nature, justement, l’ombre ou le défaut que vous devez vaincre, eh bien, c’est là, à portée de la main : vous voyez tous les jours les effets de cette chose et vous pouvez lutter contre elle directement, immédiatement. C’est une organisation très pratique.

Vous n’avez pas vu dans le Bulletin cette lettre de Sri Aurobindo, « The Evil Persona »? C’est dans le Bulletin. C’est très bien expliqué là 3 .









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