Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.
Cet Entretien est basé sur le chapitre V de La Mère.
Douce Mère, quelle est la différence entre un serviteur et un travailleur?
Je ne pense pas qu’il y en ait beaucoup; c’est à peu près la même chose. Peut-être l’attitude n’est pas tout à fait la même, mais il n’y a pas beaucoup de différence. Dans le serviteur, il semble y avoir quelque chose de plus : c’est la joie de servir. Le travailleur, il a seulement la joie du travail. Mais le travail que l’on fait comme un service, apporte encore une joie de plus. Que veut dire « amour-propre » ? Je crois qu’amour-propre est un terme aimable pour vanité. Amour-propre, cela veut dire que l’on s’aime soi-même plus que toute autre chose; et dans ce qu’il veut dire, n’est-ce pas, ce sont justement ces réactions de la vanité qui est vexée quand on n’est pas apprécié à sa juste valeur, quand on ne reçoit pas les éloges que l’on pense mériter, ou les récompenses que l’on croit que l’on a gagnées, et quand on ne vous fait pas des compliments pour tout ce que vous faites. Enfin, tous ces mouvements sont de mécontentement, parce qu’on ne reçoit pas ce que l’on espérait recevoir, ce que l’on pense mériter recevoir.
Douce Mère, qu’est-ce qu’une « identification dynamique » ?
C’est le contraire d’une identification passive et inerte. C’est une identification pleine d’énergie, de volonté, d’action, d’enthousiasme; tandis que l’on peut s’identifier dans une sorte de torpeur.
Vous avez écrit, dans Paroles d’Autrefois, que nous légitimons toutes nos faiblesses quand nous manquons de confiance en nous. Quelle en est la raison?
Hum! Alors? Nous légitimons toutes nos faiblesses? Ce n’est pas positivement manquer de confiance en soi, c’est manquer de confiance en ce que la Grâce divine peut faire de vous. Légitimer ses faiblesses, c’est une espèce de paresse et d’inertie.
Eh bien, quand on ne veut pas faire un effort pour se corriger, on dit : « Oh, c’est impossible, je ne peux pas le faire, je n’ai pas la force, je n’ai pas l’étoffe, je n’ai pas les qualités requises, je ne pourrai jamais faire cela. » C’est tout simplement une paresse, c’est pour ne pas faire l’effort nécessaire. Quand on vous demande de faire un progrès : « Oh, c’est au-delà de mes moyens, je suis un pauvre être, je ne peux rien faire! » C’est tout. C’est presque de la mauvaise volonté. C’est une paresse extrême, un refus de faire un effort. On accepte tous ses défauts et toutes ses incapacités pour ne pas avoir à faire l’effort nécessaire pour les surmonter. On dit : « Je suis comme ça, je ne peux pas être autrement! » C’est un refus de laisser la Grâce divine travailler en vous. C’est une légitimation de votre mauvaise volonté.
Quelqu’un là a une question? Ou il n’y en a pas?
Douce Mère, ici Sri Aurobindo a écrit : « Vous saurez, verrez et sentirez que vous êtes une puissance formée par elle, d’elle-même, extériorisée pour le jeu... » Quel jeu ?
On appelle l’univers le jeu du Divin.
Pourquoi?
Pourquoi? C’est une façon de parler! Tu trouves que ce n’est pas un jeu amusant? Il y a beaucoup de gens comme ça (rires), qui trouvent que le jeu n’est pas amusant. Mais enfin, c’est une façon de parler. On dit d’une façon — sans penser que c’est joyeux —, on dit « jeu des forces »; c’est le mouvement, l’interaction. Les activités sont des jeux de forces. Alors on peut le prendre dans ce sens-là. Mais, n’est-ce pas, cela veut dire que la Force divine, la Conscience divine s’est extériorisée pour créer l’univers, et tout le jeu des forces dans l’univers. C’est cela que ça veut dire, ce n’est pas autre chose. Je ne veux pas dire forcément jouer au Playground ! Cela peut vouloir dire beaucoup d’autres choses.
(Se tournant vers les autres enfants) Rien? Toi non plus?
Que veut dire « vous préserver de toutes souillures provenant de la perversion de l’ego » ?
Perversion de l’ego ?
(Après un silence) Une perversion, c’est tout ce qui sort de la Vérité et de la Pureté divines. De la minute où vous vivez dans l’ignorance et le mensonge, vous vivez dans la perversion; et le monde tout entier est bâti avec l’ignorance et le mensonge à l’heure qu’il est. Alors cela veut dire que si vous restez dans la conscience ordinaire, vous êtes nécessairement dans la perversion de l’ego.
Mère, ici il est dit : « Même si l’idée du travailleur distinct est forte en vous, et que vous sentiez que c’est vous qui agissez, cependant il faut le faire pour elle. » Par exemple, l’étude des sports que nous faisons, il faut penser que c’est pour le Divin?
Mais oui...
Comment?
Ce n’est même pas très difficile. Vous pouvez le faire d’abord comme une préparation pour vous rendre capable de recevoir les forces divines, et ensuite, comme un service, pour que vous aidiez à construire toute l’organisation de l’Ashram. Vous pouvez le faire non pas en vue d’un gain personnel, mais en vue de vous rendre prêt à accomplir l’Œuvre divine. Cela me paraît même assez indispensable si vous voulez profiter pleinement de la circonstance. Si vous gardez le point de vue ordinaire, eh bien, vous vous trouverez toujours dans des conditions qui ne sont pas tout à fait satisfaisantes, et incapable de recevoir toutes les forces que vous pouvez recevoir.
Mère, si par exemple, dans le saut en longueur, on fait l’effort de sauter à une distance de plus en plus grande, comment est-ce qu’on fait l’Œuvre divine?
Hein? Pardon, ce n’est pas pour le plaisir de faire un saut en longueur, c’est pour rendre votre corps plus parfait dans son fonctionnement, et par conséquent un instrument plus apte à recevoir les forces divines et à les manifester.
Mais tout, tout ce que l’on fait dans cet endroit-ci doit être fait dans cet esprit-ci, autrement vous ne profitez même pas de l’occasion qui vous est donnée, des circonstances qui vous sont données. Je vous ai expliqué l’autre jour, n’est-ce pas, que la Conscience est là, pénétrant toutes choses et essayant de se manifester dans tous les mouvements. Mais si vous, de votre côté, vous vous dites que l’effort que vous faites, le progrès que vous faites, vous le faites afin de vous rendre plus capable de recevoir cette Conscience et de la manifester, le travail, naturellement, se fera beaucoup mieux et beaucoup plus vite. Et cela me paraît même tout à fait élémentaire, pour dire la vérité; je suis étonnée que cela puisse être autrement! Parce que votre présence dans un Ashram, organisé comme il est organisé, n’aurait pas de sens si ce n’était pas pour cela. À quoi cela servirait-il? Il y a des quantités d’universités, d’écoles dans le monde qui sont très bien organisées.
Mais si vous êtes ici, c’est pour une raison spéciale. C’est parce que, ici, il y a une possibilité d’absorption de conscience et de progrès qu’il n’y a pas ailleurs. Et si vous ne vous mettez pas en état de recevoir cela, eh bien, vous perdez la chance qui vous est donnée.
Tiens, c’est une chose que je n’avais jamais dite, parce qu’elle me paraissait si évidente qu’il n’était pas du tout nécessaire de la dire.
Comme ça, Mère, on sait qu’on doit faire tout cela. Mais quand on le fait, alors l’intention est différente!
Non, mais... (silence) Qu’est-ce que vous croyez, d’une façon générale? C’est par une espèce de chance, ou de hasard — ou simplement parce que les parents sont ici —, que par hasard vous vous y trouvez, ou quoi? Je ne sais pas! (riant) Que vous pourriez aussi bien être ici qu’ailleurs, ou bien?
Vous êtes tous assez grands pour avoir pensé un peu, et réfléchi. Vous ne vous êtes jamais demandé : « Pourquoi suis-je ici? » Est-ce que vous vous êtes demandé cela ? Ou est-ce que c’est une chose qui... Moi, je croyais que vous deviez le prendre comme une chose toute... que c’était entendu, tout naturel ! Alors, je ne vous l’ai jamais dit. Tiens, cela m’intéresserait de savoir. (À une enfant) Tu as pensé à ça, toi?
Je t’ai dit, Douce Mère, l’autre jour!
Justement, mais tu peux le répéter. (À une autre) Et toi? Est-ce que tu y as pensé? Ou est-ce que tu le prends comme ça. « Parce que papa et maman sont là, alors je suis là ! » (rires) (À une autre) Et toi?
Quand tu nous as donné Aux Enfants de l’Ashram, après ça, j’ai compris.
Ah, tu as compris! Pas avant ça ?
Je n’ai pas pensé avant.
Mais quel âge avez-vous, en moyenne, là ? Quinze ans? seize ans? dix-sept ans? vingt ans? Non? Ce n’est pas comme ça ? Le groupe rouge, cela va de quinze à vingt ans, non? Il y en a de plus jeunes?
Non.
Mais on commence à penser à treize ans! On commence à penser, à se poser des questions, on se demande même : « Qu’est-ce que c’est que la vie? et pourquoi vit-on? » Et encore plus quand on se trouve dans un endroit comme celui-ci, qui n’est pas un endroit tout à fait ordinaire : « Pourquoi y est-on, et à quoi cela sert-il d’y être, et pour quelles raisons y est-on? » Hein? Vous ne pensez pas? Vous ne pensez pas? J’en connais deux ou trois, je sais qu’ils y pensent, parce qu’ils me l’ont dit. Mais (riant) les autres? Vous ne vous êtes jamais posé de questions, non?... Personne ne dit mot! (rires)
(À un enfant) Alors, toi, tu n’as jamais pensé? Tu y as pensé! (Personne ne répond) Ah! ils ne veulent rien dire! Bon, n’en parlons plus alors! (rires)
C’est tout? Ça suffit?
Mère, ce qui est intéressant, c’est ceci : qu’est-ce qu’il y a en nous qui fait que nous sommes ici?
Ah! ça, c’est intéressant! Qu’est-ce qui fait que vous êtes ici? Eh bien, c’est à chacun de le trouver. Tu as trouvé, toi? Non, pas encore? Tiens, ça c’est une autre question très intéressante.
Si vous... (silence) Si vous vous êtes demandé cela, vous avez bien dû aller chercher la réponse quelque part, au-dedans; parce qu’elle est au-dedans de vous, la réponse. « Qu’est-ce qu’il y a en nous qui fait que nous sommes ici? » La réponse est au-dedans. Il n’y a rien au-dehors. Et si vous allez assez profond, vous trouverez une réponse très claire... et une réponse intéressante. Si vous allez assez profond, dans un silence assez complet de toutes les choses extérieures, vous trouverez au-dedans de vous cette flamme, dont je parle souvent, et dans cette flamme vous verrez votre destin. Vous verrez l’aspiration de siècles qui s’est concentrée petit à petit, pour vous mener à travers des naissances innombrables vers le grand jour de la réalisation. Cette préparation qui s’est faite pendant des millénaires, et qui va arriver à son aboutissement.
Et comme vous serez allé très profondément pour trouver cela, toutes vos incapacités, toutes vos faiblesses, tout ce qui nie en vous, et qui ne comprend pas, tout cela, vous sentirez que ce n’est pas vous-même, c’est simplement comme un vêtement qui va plus ou moins bien, et que vous avez mis pour l’occasion. Mais vous comprendrez que, pour que vous soyez vraiment capable de profiter pleinement de l’occasion, pour faire ce que vous vouliez faire, ce que vous aspiriez à faire depuis si longtemps, il faut que petit à petit vous ameniez la lumière, la conscience, la vérité dans tous ces éléments obscurs du vêtement extérieur, afin que vous puissiez comprendre intégralement pourquoi vous êtes ici. Et non seulement que vous le compreniez, mais que vous soyez capable de le faire. Il y a des siècles que cela se prépare en vous, pas dans ça... (Mère se pince la peau de l’avant-bras) ça, c’est tout à fait récent, n’est-ce pas... mais dans votre vrai vous-même. Et il y a des siècles que cela attend cette occasion.
Et alors, vous entrez immédiatement dans le merveilleux. Vous voyez à quel point c’est extraordinaire que des choses que l’on a espérées depuis si longtemps, des choses pour lesquelles on a tant prié, on a tant fait d’efforts, que tout à coup, il arrive un moment où elles se réalisent!
C’est le moment où les grandes choses se font. Il ne faut pas manquer l’occasion.
(long silence)
Le 15 août je vous donnerai quelque chose que Sri Aurobindo a écrit, qui est justement sur ce sujet-là et qui s’appelle L’Heure de Dieu.
Alors vous lirez cela avec soin, et vous comprendrez.
Voilà.
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