CWM (Fre) Set of 18 volumes
Entretiens - 1954 Vol. 6 of CWM (Fre) 533 pages 2009 Edition
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Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.

Entretiens - 1954


avril




Le 7 avril 1954

Suite de la lecture de Les Quatre Austérités et les Quatre Libérations.

« Quand la pensée est exprimée par la parole, la vibration du son a un pouvoir considérable pour mettre la substance la plus matérielle en contact avec cette pensée et pour lui donner ainsi une réalité concrète et effective. C’est pourquoi il ne faut jamais médire des gens et des choses, ni exprimer par la parole prononcée à haute voix les choses qui dans le monde contredisent le progrès de la réalisation divine. C’est une règle générale absolue. Pourtant elle comporte une exception. Aucune critique ne doit être faite à moins qu’on n’ait en même temps le pouvoir conscient et la volonté active de dissoudre les mouvements ou les choses critiqués ou de les transformer. Ce pouvoir conscient et cette volonté agissante ont en effet la capacité d’infuser dans la matière la possibilité de réagir et de refuser la vibration mauvaise et finalement de la corriger au point qu’il lui devienne impossible de continuer à s’exprimer sur le plan matériel.

« Seul peut le faire sans risque et sans danger, celui qui se meut dans les régions gnostiques et qui possède, dans ses facultés mentales, la lumière de l’esprit et la puissance de la vérité. »

Qu’est-ce que la « région gnostique » ?

C’est une autre façon de parler du Supramental. Gnostique, cela veut dire la Connaissance, mais la Connaissance vraie. C’est le côté Connaissance des régions supramentales.

« ... prenez l’habitude de ne pas vous extérioriser constamment en paroles prononcées à haute voix, et vous vous apercevrez que peu à peu une compréhension intérieure s’établit entre vous et les autres; vous pourrez alors communiquer entre vous en réduisant les mots au minimum, ou même sans mots du tout. »

Est-ce qu’une compréhension intérieure peut s’établir dans tous les cas entre deux personnes, même dans les cas matériels?

Hem! Et alors? Qu’est-ce que tu veux savoir?

Si cette compréhension intérieure peut s’établir.

Oui, les mots servent simplement de moyen de communication d’un mental à l’autre. C’est leur seule raison d’être. Mais si le mental est suffisamment clair et puissant pour communiquer sans l’usage des mots, il communique beaucoup mieux, d’une façon beaucoup plus claire et beaucoup plus précise, et beaucoup plus exacte. Et alors on n’a pas besoin de mots.

Même dans les cas tout à fait matériels?

Oui, on peut en faire l’expérience. Par exemple, quand deux personnes ont accordé leur mental, si l’un pense : « Tiens, cet objet-là devrait être ici au lieu d’être là », l’autre tout naturellement va chercher l’objet et le met à la place. Il a parfaitement bien compris, on n’a pas besoin de le lui dire. Ou bien « c’est l’heure de sortir », ou bien « j’ai besoin de telle chose », l’autre comprendra parfaitement bien et n’a pas besoin qu’on le lui dise. Avant d’en arriver là, il y a quelque chose de très fréquent — je parle de gens qui ont un contrôle sur eux-mêmes et qui sont conscients, des gens qui vivent ensemble, et l’un répond à une question que l’autre n’a pas prononcée. Il l’avait dans sa tête, et l’autre répond : « Mais oui, c’est comme ça ; non, cela n’a pas été fait. » L’autre n’a rien demandé mais lui, il a entendu, il a compris, il a reçu le message. C’est fréquent, n’est-ce pas. Et puis, même pour les choses où il est nécessaire de prononcer des mots, eh bien, au lieu d’en prononcer dix, on en dit un, et puis ça suffit, le reste est entendu, compris. Mais cette communication directe, c’est une expérience que l’on peut avoir très facilement. Si vous parlez à une nouvelle personne et que vous n’ayez pas un contact mental suffisant, elle emploiera des mots que vous êtes habitué à employer dans un certain sens et vous ne comprendrez pas du tout : c’est comme si vous ne parliez pas la même langue. Au bout d’un certain temps, si vous vous voyez plusieurs fois et que vous vous accordiez mentalement, vous commencerez à vous comprendre l’un l’autre.

Vraiment, les mots servent seulement de véhicules à quelque chose qui est au-delà des mots, et qui peut s’exprimer sans mots pour les gens qui ont un instrument suffisamment développé et exact. Quand on est vraiment dans le domaine de la pensée, les mots diminuent le sens. Ils le diminuent, ils le rendent étroit, limité, ils lui enlèvent son pouvoir. La pensée qui est projetée directement est beaucoup plus puissante que celle qui s’exprime par des mots. Les mots réduisent, limitent, durcissent, enlèvent la plasticité et la vraie puissance — la vie. C’est simplement parce que les gens ont l’appareil mal ajusté que l’on ne peut pas avoir de télégraphie sans mots. Si les instruments sont très bien accordés, on peut ne pas avoir à dire dix mots dans toute une journée, et on se comprend tout le temps.

Je ne comprends pas, tu as dit : « ... même ici, dans ce séjour des idées et de la connaissance, l’homme a introduit la violence de ses convictions, l’intolérance de son sectarisme, la passion de ses préférences. »

Oui, qu’est-ce qu’il y a là qui puisse ne pas être compris? C’est un fait perpétuel !

Pas d’autres questions? Tu n’as pas de courage?

Si, j’ai du courage, mais je n’ai pas de questions!

(Un autre enfant) Douce Mère, se peut-il qu’une personne n’avance pas beaucoup mais ne recule pas non plus 7 ?

J’ai dit simplement que l’on ne pouvait pas rester immobile. Tu dis « n’avance pas beaucoup » — on peut avancer un tout petit peu! Alors cela suffit pour ne pas reculer. D’ailleurs, si l’on ne fait pas bien attention tout le temps, comme on est fait d’un tas de morceaux, si l’on n’a pas l’habitude de traîner derrière soi les morceaux qui restent en arrière, on peut avancer d’un côté et puis reculer d’un autre. Cela arrive. Et alors, le total n’est pas très, très satisfaisant.

Dans la vie ordinaire, chez les gens ordinaires, cela leur arrive tout le temps. Par exemple, prenez quelqu’un qui étudie, qui travaille — un savant qui fait des découvertes —, il progresse dans ses études, il sait de plus en plus. Mais comme il ne prend aucun soin de sa vie intérieure, ou de sa vie intime, ou de sa vie extérieure, il peut devenir de plus en plus retardataire, ou inconscient, ou même plein de vilains défauts; même s’il progresse au point de vue scientifique, au point de vue homme il peut devenir un être absolument « regrettable ». C’est une chose très fréquente. Et en soi-même, si l’on ne fait pas bien attention, on peut avoir une partie qui progresse et l’autre qui va à l’envers. Si l’on ne surveille pas, si l’on ne contrôle pas ses mouvements extérieurs, si l’on ne prend pas un soin particulier de ne pas laisser le vital aller selon sa propre fantaisie, eh bien, on s’apercevra tout d’un coup que l’on a pris de très mauvaises habitudes et qu’on suit un très vilain chemin, alors que la partie mentale de l’être était pleine d’aspiration et progressait dans la connaissance ou même dans la vie spirituelle. Si l’on ne fait pas attention, ça glisse très facilement dans un trou : on fait un faux pas, puis on fait une glissade, et puis on va cogner tout d’un coup dans le fond du trou et on se dit : « Mais comment ça se fait? Qu’est-ce qui est arrivé? » Simplement un faux pas : on n’a pas fait attention, on a laissé cette partie de l’être vous tirer dans son propre champ — parce que vous ne l’avez pas tirée de son chemin, vous ne l’avez pas obligée à vous suivre, alors c’est elle qui vous tire en arrière.

Si l’on veut mener la vie spirituelle, il ne faut pas être aux trois quarts endormi. Il est nécessaire d’être très éveillé et très attentif, autrement on est comme un petit bateau sur un fleuve, ou sur une grande mer, avec des courants terribles, et si vous n’êtes pas en éveil, si vous ne faites pas très attention à ces courants, si vous vous relâchez, relâchez votre vigilance, tout d’un coup vous vous apercevez que vous êtes à l’autre bout de l’endroit où vous vouliez aller! Cela vous a emporté « comme ça », tout naturellement — « Eh oui! je voulais aller là et je me trouve ici. »

C’est comme cela.

Dans la vie ordinaire, cela arrive tout le temps. Seulement, n’est-ce pas, dans la vie ordinaire on dit : « Ce sont les circonstances, c’est la fatalité, c’est ma mauvaise chance, c’est la faute des autres », ou bien : « Je n’ai pas de chance. » C’est très, très, très commode. On voile tout et on s’attend... Oui, on a de bons moments et puis on en a de mauvais, et puis finalement — eh bien, finalement on fait la culbute, parce que tout le monde fait la culbute, et on s’attend à faire la culbute un peu plus tôt, un peu plus tard. Voilà, on ne se fait pas de soucis, ou on s’en fait tout le temps, ce qui est la même chose. C’est-à-dire que l’on est inconscient, on vit inconscient et on met toutes les causes de ce qui arrive sur les autres et sur les circonstances, mais jamais on ne se dit : « Tiens! c’est ma propre faute... » Cela exige une assez grande conscience pour commencer. Même parmi les gens qui font profession d’être conscients, il n’y en a pas beaucoup qui voient assez clair pour se rendre compte que tout ce qui leur arrive provient de ce qu’ils sont, pas d’autre chose. Ils disent toujours : « Celui-là a tort, ces circonstances sont défavorables, oh! pourquoi a-t-on fait ceci? » — Si tu n’étais pas comme tu es, ce ne serait pas arrivé comme ça. Ce serait arrivé autrement.

Souvent, on exprime en mots nos vraies sensations, nos sentiments, nos émotions et notre bonne volonté. Mais vraiment, est-il nécessaire de s’exprimer en mots quand on ne le demande pas?

Non, ce n’est pas du tout nécessaire, pas du tout. C’est justement parmi les mauvaises habitudes. Tiens, le 1er janvier de cette année j’ai écrit quelque chose comme ça : « Ne te vante pas, ne te vante de rien. Laisse tes actes parler pour eux-mêmes 8 . » C’est exactement cela, ce n’est pas la peine de dire : « Oh! j’ai une si grande bonne volonté pour vous et je veux si bien faire et je... » Faites-le. C’est tout.

Mère, quand nous pensons, ou suivons une idée, nous parlons en nous-mêmes (pas à haute voix), mais est-ce à dire que le fait de penser rend nécessaire la parole intérieure? La pensée existe sans mots?

C’est que l’on n’a pas encore attrapé la vraie région de l’idée. Dans la région de l’idée il n’y a pas de mots : il y a des états de conscience.

Que veut dire le Verbe?

C’est autre chose. Le Verbe, ce ne sont pas des paroles prononcées. Il y a de vieilles traditions qui disent : « Que la lumière soit et la lumière fut. » Le Verbe, c’est le Mantra. Mais c’est une chose tout à fait exceptionnelle, c’est quand la volonté qui est formulée dans l’Esprit veut descendre dans la Matière et agir directement sur la Matière, alors elle se sert du son — pas seulement du mot mais du son, de la vibration du son — pour agir directement sur la Matière elle-même, dans la Matière. C’est le mouvement opposé. Toi, tu es dans la région de la pensée formulée en mots, puis, de là, tu peux monter au-dessus et avoir une expression de l’idée silencieuse; puis, de là, tu peux remonter encore plus haut et avoir la Force : la Force, c’est la Conscience qui est l’origine même de cette pensée. Et alors, cela devient une conscience totale au lieu de quelque chose qui est formulé — exprimé et formulé. C’est-à-dire que tu vas et tu remontes jusqu’à l’Origine. De là, une fois que tu possèdes cette lumière en soi, cette connaissance en soi et que tu veux agir sur la Matière pour produire un effet, cette volonté descendra de région en région, et à mesure qu’elle deviendra plus matérielle, elle se précisera en des mots, ou même dans un seul mot, et quand elle touchera la Matière, au lieu que ce soit un mot silencieux, cela deviendra un mot prononcé avec des sons : une vibration qui agira directement sur la Matière. Mais il faut d’abord être monté jusqu’en haut pour pouvoir redescendre. Il faut avoir atteint à la Conscience silencieuse pour pouvoir redescendre et faire cela. Il faut que cela vienne, que l’origine de ce mot soit là-haut, dans aucune région intermédiaire. Ça, c’est le Verbe. Et il faut faire ce que j’ai dit — ce n’est pas chose facile.

Ce que j’ai dit là (Mère désigne Les Quatre Austérités), c’est qu’il faut garder l’attitude vraie et être silencieux mentalement. Une attitude qui ne s’exprime pas par des mots ni par des pensées formulées mais par un état de conscience vécu. Une attitude d’aspiration, n’est-ce pas. Je suis obligée de mettre des mots puisque cela doit être imprimé sur du papier; c’est justement pour ça que ça perd les trois quarts de sa force, mais enfin, autrement, ce ne serait pas du tout acceptable; si je vous donnais une feuille blanche, vous ne sauriez pas ce que j’ai mis exactement! Je suis obligée de le mettre dans des mots.

Une aspiration vers tout ce qui est essentiellement vrai, réel, parfait. Et c’est une aspiration qui doit être libre de tout mot, simplement une attitude silencieuse, mais d’une intensité extrême, et qui ne vacille pas. Il ne faut laisser à aucun mot le droit d’entrer là et de déranger ça. Il faut que ce soit comme une colonne de vibrations d’aspiration que rien ne peut toucher — et dans un silence total — et là-dedans, si quelque chose descend, ce qui descendra (et se revêtira de mots dans votre mental et de sons dans votre bouche), ce sera le Verbe. Mais pas à moins que cela.

Voilà, au revoir mes enfants, bonne nuit.









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