Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.
En raison de la pluie qui menace, la classe a lieu dans la salle de gymnastique. Avant de commencer, Mère annonce qu’avec le nouveau livre que l’on va étudier, La Mère, de Sri Aurobindo, elle va procéder autrement. C’est elle-même qui va lire, et non plus les enfants, comme cela se faisait jusqu’à présent. Mais auparavant, ils auront lu un chapitre et préparé chacun une question qu’ils poseront en classe. L’Entretien suivant est basé sur le chapitre I de La Mère.
Douce Mère, ici il est écrit : « Une soumission [...] du guerrier intérieur qui combat contre l’obscurité et le mensonge... » Qui est ce « guerrier intérieur » ?
C’est le vital quand il est converti. Le vital converti au Divin est comme un guerrier. Il a même l’apparence du guerrier. Le vital est le lieu du pouvoir et c’est le pouvoir qui le pousse à se battre, qui peut battre et vaincre, et c’est de toutes les choses la plus difficile, parce que ce sont justement ces capacités de combat qui créent dans le vital le sens de la révolte, de l’indépendance, la volonté de faire sa propre volonté. Mais si le vital comprend et se convertit, s’il est vraiment soumis à la Volonté divine, alors ces capacités de combat se tournent vers les forces antidivines et toute l’obscurité qui empêche leur transformation. Et elles sont toutes-puissantes pour vaincre les adversaires. Les forces antidivines sont dans le monde vital ; de là, naturellement, elles se sont répandues dans le physique, mais leur siège propre est dans le monde vital, et c’est la force vitale convertie qui a le vrai pouvoir pour les vaincre. Mais de toutes choses c’est la conversion la plus difficile.
Que veut dire « les subterfuges » ?
Subterfuges? Ce sont des trucs. Tu sais ce que c’est qu’un truc ? Oui? Eh bien, les subterfuges, ce sont des moyens pour tromper, des moyens dont on se sert pour tromper. On cache ce que l’on veut faire sous d’autres apparences, afin de tromper; c’est cela les subterfuges.
« Transformation irrévocable » ?
Irrévocable, cela veut dire une transformation sur laquelle on ne revient plus, qui est faite une fois pour toutes.
Douce Mère, ici il est écrit : « Ce n’est pas suffisant que le psychique réponde, que le mental supérieur accepte, ou même que le vital inférieur se soumette et que la conscience physique intérieure sente l’influence... » Cela veut dire qu’il y a aussi le vital supérieur?
Oui, le vital supérieur est généralement beaucoup moins difficile à soumettre, parce qu’il est sous l’influence du mental et parfois même du psychique; alors il comprend plus facilement. Il est beaucoup plus facile à convertir que le vital inférieur, qui est essentiellement le vital des désirs et des impulsions. Alors, n’est-ce pas, ce qu’il veut dire, c’est que le vital inférieur peut se soumettre, il accepte d’obéir, de faire ce qu’on lui dit de faire, mais il n’est pas content du tout. Il n’est pas heureux ; quelquefois même il souffre, il pousse sa révolte au-dedans de lui par obéissance, mais il ne collabore pas. Et à moins que le vital ne collabore dans la joie et l’amour vrai, il n’y a rien à faire; la transformation ne peut pas venir.
Douce Mère, ici il est écrit...
Attends, attends, ton tour va venir!
Il y a une faute! Ici, en français, c’est écrit « vital inférieur », mais en anglais c’est « inner vital »!
Intérieur? Le vital intérieur? Oui. Mais ici on a reproduit soigneusement la faute! Celui-ci c’est le nôtre. (Mère montre le livre imprimé à l’Ashram) Justement, oui, c’est « intérieur »! C’est le vital intérieur. Oui, c’est « intérieur » qu’il faut prendre ici, le vital intérieur. (Pavitra demande si l’erreur est reproduite dans toutes les éditions) Dans toutes les éditions il semble y avoir inférieur au lieu d’intérieur. Mais ça, c’est notre édition à nous, et nous aurions dû corriger. Ça, c’est la première édition qui a été faite en France; celle-là, non; celle-ci, la petite là, c’est celle qui a été faite en France. D’ailleurs, les lettres se ressemblent beaucoup, n’est-ce pas, ce t et ce f se ressemblent beaucoup.
(À l’enfant qui vient de parler) Alors, tu crois que tu vas échapper à ta question? (rires)
(À une autre enfant)Tu n’en as pas? Non, mais ce sera pour la semaine prochaine. Aujourd’hui je ne dis rien, parce que vous n’étiez pas prévenus. Pas assez longtemps d’avance.
(À une autre) Et toi? Tu n’en as pas!
(À une autre) Et toi?
Ici, je ne comprends pas : « Car si elle devait se soumettre aux exigences du mensonge, ce serait la ruine de ses propres desseins... » Qu’est-ce que la ruine de ses propres desseins?
Oui. Cela veut dire qu’elle irait contre son travail, son propre travail. La Grâce est venue, eh bien, elle travaille pour la réalisation de la vérité. Si elle accepte les conditions que lui impose le Mensonge, elle ne peut plus rien faire. Cela, n’est-ce pas, je pourrais vous donner une quantité innombrables d’exemples de gens qui ont une insistance pour que les choses soient d’une certaine manière vis-à-vis d’eux. Ils implorent, quelquefois même ils exigent que ce soit comme cela ; et ce qu’ils demandent est absolument contraire à la Vérité; et si la Grâce obéissait à leurs demandes, elle irait contre son propre dessein et elle ruinerait son propre dessein, c’est-à-dire qu’elle irait contre son propre travail et son propre but. Elle vient ici pour réaliser la vérité; si elle obéit au mensonge, elle tourne le dos à la vérité. Et les gens, n’est-ce pas — c’est le plus souvent —, mettent la charrette avant les bœufs, le plus souvent par ignorance et par stupidité; mais c’est quelquefois aussi par mauvaise volonté qu’ils insistent pour que leurs conditions soient remplies, qu’ils font, n’est-ce pas, une espèce de marchandage pour leur soumission, et ils le font... Oui, il y en a beaucoup qui le font inconsciemment — j’ai dit par ignorance et par stupidité. Il y en a qui le font consciemment; et alors, ils veulent que ce soit ces conditions qui soient remplies. Ils disent : « Si c’est comme ça et comme ça... » Et enfin, ils vont jusqu’à dire au Divin : « Si Tu es comme ça et comme ça, si Tu remplis les conditions que je T’impose, je T’obéirai! » Ils ne le mettent pas de cette façon-là, parce que ce serait trop ridicule, mais ils le font presque constamment. N’est-ce pas, ils disent : « Oh, le Divin est comme ça. Le Divin fait ça. Le Divin doit répondre comme ça. » Et ils continuent comme cela, et ils ne se rendent pas compte qu’ils sont tout simplement en train d’imposer leurs conceptions, et leurs désirs aussi, sur ce que le Divin doit être, et doit faire. Et alors, quand le Divin ne fait pas ce qu’ils veulent, ou ne remplit pas les conditions qu’ils posent, ils disent : « Vous n’êtes pas le Divin! » (rires) C’est très simple. « Vous ne remplissez pas les conditions que je pose, par conséquent vous n’êtes pas le Divin! » Mais ils font cela, n’est-ce pas, constamment! Alors naturellement, si la Grâce divine, pour faire plaisir à ces gens, se soumettait à leurs exigences, elle irait entièrement contre son propre dessein et elle détruirait sa propre Œuvre!
(À un autre enfant) Alors, tu as une question, toi!
Ce n’est pas mon tour! (rires)
Oh, comme c’est commode! (riant) Alors maintenant, à qui est-ce le tour? Toi? Ta question?
Ici, il est écrit : « ... c’est seulement la plus haute force supramentale descendant d’en haut et s’ouvrant le passage d’en bas qui pourra manier victorieusement la nature physique et annihiler ses difficultés. » Je ne comprends pas la dernière partie.
Quels sont exactement les mots que tu ne comprends pas?
« ... et ouvrant le passage d’en bas qui pourra manier victorieusement la nature physique... »
Manier victorieusement? Tu ne sais pas ce que ça veut dire? (La phrase ayant été incorrectement prononcée, Pavitra la relit) S’ouvrant! Pas « ouvrant »; s’ouvrant le passage d’en bas, c’està-dire, quelque chose qui vient d’en haut et qui se force d’en bas, qui force son chemin, qui fait comme une route, comme un chemin à travers la résistance en bas, en s’ouvrant un chemin, comme, quand on entre dans la forêt vierge et qu’on coupe les arbres, on s’ouvre un chemin. Eh bien, c’est comme ça, n’est-ce pas, il y a une résistance dans la matière inférieure, et par la pression d’en haut elle ouvre le chemin et se fait un passage à travers la résistance. Et alors, la suite, tu comprends?
Non. « ... qui pourra manier victorieusement... »
Manier, ça veut dire... en anglais c’est « deal with »; c’est-à-dire, qui pourra avoir affaire avec toutes les résistances du monde physique. Ce n’est que la Force la plus haute qui peut avoir raison des difficultés de la Matière. C’est cela que ça veut dire. Toutes les résistances et toutes les difficultés du monde physique ne peuvent être surmontées que par la Force la plus haute — la Force supramentale la plus haute. Maintenant compris?
Oui.
(À une autre enfant) Rien?
(À une autre) Toi!
Mère, il est dit : « Rejetez cette notion fausse que le Pouvoir divin fera, et est obligé de faire tout pour vous sur votre demande et quand bien même vous ne satisfaites pas aux conditions posées par le Suprême. » Alors...
Mais, n’est-ce pas, il y a des gens, on leur dit : « Il faut vous soumettre. » Alors ils vous répondent avec un sourire : « Eh bien, faites que je me soumette! » N’est-ce pas, c’est très simple!
Quand on veut faire des progrès...
On essaye, mais on voit que quelque chose ne veut pas avancer, ne veut pas progresser!
Oui, progresser.
Alors, si on demande au Divin de...
D’aider?
Cela, c’est autre chose. Aider, bien entendu, Il est là pour aider. Mais ce qui est dit là, cela veut dire rester assis à ne rien faire, sans faire l’ombre d’un effort, ni même aspirer, ni vouloir, ni rien, et puis dire : « Eh bien, Dieu fera ça pour moi; le Divin fera tout pour moi. La Grâce divine fera que j’aurai de l’aspiration. Si j’ai besoin d’aspiration, Elle m’en donnera. Si j’ai besoin de soumission, Elle m’en donnera », et ainsi de suite. « Moi, je n’ai rien à faire qu’à rester assis passivement, sans bouger et sans rien vouloir. » Mais il y a des gens comme ça, beaucoup! On leur dit : « Aspirez. » — « Donnez-moi l’aspiration! » (rires) On leur dit : « Soyez généreux. » — « Oh, rendez-moi généreux, et je donnerai tout! » (rires)
Et puis? (À une autre enfant) Alors, toi!
Je répète une question. Douce Mère, ici, en français, c’est écrit « s’ouvrant le passage d’en bas », mais en anglais le mot « passage » n’est pas là.
Oui? Qui a l’anglais?
Moi.
Lis-le, lis ton anglais!
“... and it is only the very highest supramental Force descending from above and opening from below that can victoriously handle the physical nature and annihilate its difficulties....”
Opening from below?
(long silence)
Cela peut vouloir dire : permettant à la Force qui est cachée au centre de la Matière de se manifester. Cela donne l’idée de la Présence supramentale qui est au centre de toutes choses, mais qui est cachée et incapable de se manifester, pour ainsi dire, et qui serait alors comme réveillée par la Force venant d’en haut et qui se manifesterait.
Cela peut vouloir dire ça, c’est-à-dire cela peut vouloir exprimer que les deux extrémités se touchent, comme dans un cercle, n’est-ce pas, le commencement et la fin se touchent. Cela peut vouloir dire ça.
(Pavitra) Mère, c’est cela que le français veut dire — la traduction française.
Évidemment! Seulement ce n’est pas dit avec les mots. Cela veut dire, en fait... que ce soit dit d’une façon ou de l’autre, cela veut dire que les deux extrêmes se joignent, n’est-ce pas, s’unissent, que le Suprême qui est dans la Matière et le Suprême qui est hors de la Matière, s’unissent et se joignent. C’est cela que ça veut dire. Mais dans les deux cas, cela veut dire la même chose.
Douce Mère, que veut dire « inerte passivité » ?
Inerte passivité? Cela veut dire... Passivité, nous avons dit l’autre jour, n’est-ce pas, que c’est ce qui ne bouge pas, n’agit pas, ne vibre pas, ne répond pas. Eh bien, une inerte passivité, c’est cela, ce qui est absolument inconscient, inactif, et qui ne répond pas. Tandis que l’autre jour, nous avons décrit une passivité qui répond, qui s’ouvre et qui est réceptive, mais qui ne bouge pas, qui n’agit pas, qui est le contraire de... Prenons passivité comme le contraire d’activité, quelque chose qui n’agit pas, mais qui est réceptif et qui reçoit.
Mais une passivité inerte, c’est une passivité qui ne reçoit rien, qui est comme une pierre, par exemple; n’est-ce pas, on dit que la pierre a une passivité inerte... comme la terre, le sable. Ce n’est pas tout à fait vrai, parce qu’il n’y a rien qui ne soit pas un peu réceptif aux forces. Mais enfin, plus on va vers quelque chose que nous appelons inconscient, plus c’est inerte, et passif en même temps. C’est cela.
Alors une inerte passivité dans quelqu’un, c’est une espèce d’incapacité de vibrer, de recevoir, de s’ouvrir, de répondre, quelque chose qui est tout à fait inconscient, et qui ne bouge pas — d’aucune manière.
Douce Mère, comment rendre la soumission heureuse?
Il faut qu’elle soit sincère. Si elle est vraiment sincère, elle devient heureuse. Tant qu’elle n’est pas — vous pouvez retourner la chose —, tant qu’elle n’est pas heureuse, vous pouvez savoir qu’elle n’est pas parfaitement sincère; parce que si elle est parfaitement sincère, elle est toujours heureuse. Si elle n’est pas heureuse, cela veut dire qu’il y a quelque chose qui se réserve, quelque chose qui voudrait que ce soit autrement, quelque chose qui a une volonté propre, un désir propre, un but propre et qui n’est pas satisfait; par conséquent, qui n’est pas complètement soumis, qui n’est pas sincère dans la soumission. Mais si on est sincère dans la soumission, on est parfaitement heureux, automatiquement. Au contraire, on jouit automatiquement d’un bonheur inexprimable. Par conséquent, tant que ce bonheur inexprimable n’est pas là, c’est une indication sûre que vous n’êtes pas sincère, qu’il y a quelque chose, quelque partie plus ou moins grande de l’être qui n’est pas sincère.
Douce Mère, comment découvrir cette partie?
Aspirer, insister, mettre dessus la lumière, prier au besoin. Il y a beaucoup de moyens. Quelquefois il faut des opérations chirurgicales, mettre le fer rouge dans la plaie, comme quand il y a un vilain abcès quelque part qui ne veut pas crever.
(À une autre enfant) Tu as dit quelque chose?
Non, ce n’est pas mon tour!
(Riant) Oh, ce n’est pas ton tour! (rires) Alors...
Ici, il est dit : « Le Suprême demande votre soumission, mais ne l’impose pas; jusqu’à ce que vienne la transformation irrévocable, vous êtes libre à tout moment de nier et de rejeter le Divin ou de revenir sur le don de vous-même... »
Oui, cela, c’est une chose qui se fait toutes les minutes.
(L’enfant reprend la phrase) « ... à tout moment de nier et de rejeter le Divin... » Nier, c’est-à-dire?
Nier? C’est ce que je disais tout à l’heure. Les gens qui trouvent que le Divin ne veut pas tout ce qu’ils veulent, ou qu’Il n’est pas conforme à leur propre volonté, ils Le nient. Ils disent : « Ce n’est pas le Divin. » Ou alors, il y en a qui vont encore plus loin. Ils disent : « Il n’y a pas de Divin. » Cela n’existe pas, le Divin, parce que ce n’est pas conforme à... C’est très gênant qu’il y ait un Divin : on dit qu’il n’y en a pas!
Douce Mère, que veut dire « automate inerte » ?
Automate, c’est un petit peu plus que passivité inerte. Automate, c’est un mouvement mécanique; et inerte, cela veut dire inconscient. Alors c’est un mouvement mécanique inconscient, quelque chose qui n’a pas d’âme, n’a pas d’esprit, n’a pas de volonté, n’a pas d’élan, quelque chose qui est seulement comme une machine, qui n’a pas de conscience; et inerte, qui est absolument dépourvu de toute conscience et de toute réceptivité aussi. C’est encore — je ne crois pas qu’on puisse même appeler, par exemple une montre, un automate inerte. Une montre a quelque chose comme une âme; une machine, quand la machine est très bien faite, elle a quelque chose comme une âme, elle répond, elle a une certaine réceptivité. Mais ça, c’est quelque chose qui n’a aucune réceptivité, aucune conscience, et qui est seulement comme une machine que l’on remonte et qui fait comme ça (Mère fait des gestes d’automate), n’est-ce pas, sans savoir ni pourquoi, ni comment!
Mère, que veut dire « soumission utile » ? (L’enfant prononce mal, Mère comprend « futile »)
Soumission... futile? (rires) Ça ne peut pas être cela. C’est soumission utile. Soumission utile, nous savons tous ce que c’est, n’est-ce pas? Une soumission utile.
Où est le texte? On ne peut pas mettre une soumission futile. (rires)
(Mère cherche le texte) « Utile », ce n’est pas « futile »! (rires)
Une soumission heureuse, comme ce que je disais tout à l’heure. Forte, n’est-ce pas, qui n’est pas quelque chose de faible et sans énergie; forte, puissante; et utile, c’est-à-dire qui agit, qui est agissante, qui produit des résultats, une soumission qui se rend utile, une soumission qui veut, par exemple, collaborer au travail, collaborer au progrès. C’est le contraire de l’automate inerte; c’est juste l’opposé.
Douce Mère, que veut dire « une ouverture de soi tournée exclusivement vers le pouvoir divin » ?
Au lieu d’ouverture de soi, on peut mettre une réceptivité, quelque chose qui s’ouvre pour recevoir. Alors, au lieu de s’ouvrir et de recevoir de tous les côtés et de tout le monde, comme cela se fait généralement, on s’ouvre seulement vis-à-vis du Divin pour ne recevoir que la Force divine. C’est juste le contraire de ce que les gens font d’habitude. Ils sont toujours ouverts en surface, ils reçoivent toutes les influences de tous les côtés. Et alors, cela fait au-dedans d’eux ce que nous pourrions appeler un pot-pourri (Mère rit) de toutes sortes de mouvements contradictoires qui, naturellement, créent des difficultés sans nombre. Alors ici, il est recommandé de s’ouvrir seulement vers le Divin et de ne recevoir que la Force divine, à l’exclusion de toute autre chose. Cela diminue presque totalement toutes les difficultés. Il n’y a qu’une chose qui reste difficile, c’est... On peut faire cela et, à moins qu’on ne soit dans un état d’alchimie totale, eh bien, il est difficile d’être en rapport avec des gens, de leur parler, par exemple, d’avoir n’importe quel genre d’échange avec eux sans en absorber quelque chose. C’est difficile. Si on est dans une sorte de... si on est dans une atmosphère qui est comme un filtre, alors tout ce qui vient du dehors est filtré avant que cela ne vous touche. Mais c’est très difficile; cela demande une très grande expérience. C’est pour cela, d’ailleurs, que les gens qui voulaient le chemin le plus facile s’en allaient dans la solitude s’asseoir sous un arbre, ne parlaient plus et ne voyaient plus personne; parce que cela diminue les échanges indésirables. Seulement, on a remarqué une chose, c’est que ces gens-là commencent à s’intéresser énormément à la vie des petits animaux, à la vie des plantes, parce qu’il est difficile de ne pas avoir d’échanges avec quelque chose. Alors il vaut mieux faire face au problème carrément et s’entourer d’une atmosphère si totalement concentrée sur le Divin que ce qui traverse cette atmosphère est filtré sur le passage.
Et puis alors, même quand ça c’est fait, il reste la nourriture; tant que notre corps sera obligé d’absorber des matières étrangères pour subsister, il absorbera en même temps une quantité considérable de forces inertes et inconscientes ou d’une conscience peu désirable, et ça, cette alchimie-là, il faut la faire au-dedans de son corps. Nous parlions des consciences que l’on absorbe avec de la nourriture, mais il y a aussi de l’inconscience qu’on absorbe avec de la nourriture, beaucoup. Et c’est pour cela que, dans beaucoup de yogas, on conseillait de faire une offrande au Divin de ce qu’on allait manger avant de le manger. (Mère fait un geste d’offrande, les deux mains rapprochées et ouvertes vers le haut) Cela consiste à appeler le Divin dans la nourriture avant de l’absorber. On Lui offre — c’est-à-dire qu’on la met en contact avec le Divin, afin qu’elle soit sous l’influence divine quand on l’absorbe. C’est très utile, c’est très bon. Si on sait le faire, c’est très utile, cela diminue de beaucoup le travail de transformation intérieure que l’on doit faire. Mais, n’est-ce pas, dans le monde tel qu’il est, nous sommes tous solidaires. Vous ne pouvez pas absorber l’air sans absorber les vibrations, les vibrations innombrables venant de toutes sortes de mouvements et de toutes sortes de gens, et il faut — si on veut se garder intact —, il faut être constamment dans cet état de filtre dont je parlais. C’est-à-dire qu’il faut que tout ce qui est indésirable ne soit pas autorisé à entrer, comme, quand on va dans les endroits infectés, on met des masques sur sa figure pour que l’air soit purifié avant qu’on ne le respire. Eh bien, il faut faire quelque chose d’analogue. Il faut avoir autour de soi une atmosphère tellement condensée dans une soumission totale au Divin, tellement condensée autour de soi, que tout ce qui passe est automatiquement filtré. C’est très utile dans la vie de toute façon, parce qu’il y a — nous avons parlé aussi de cela — des mauvaises pensées, des mauvaises volontés, des gens qui vous veulent du mal, qui font des formations. Il y a toutes sortes de choses tout à fait indésirables dans l’atmosphère. Et alors, s’il fallait être tout le temps à surveiller, à regarder de tous les côtés, on ne penserait qu’à une chose, c’est-à-dire à se protéger. D’abord c’est ennuyeux, et puis, n’est-ce pas, cela vous fait perdre beaucoup de temps. Si l’on est bien enveloppé comme ça, de cette lumière, lumière d’une soumission parfaitement heureuse, totalement sincère, quand on est enveloppé de ça, cela vous sert de filtre merveilleux. Toutes les choses qui sont tout à fait indésirables, toutes les choses de mauvaise volonté, ne peuvent pas passer. Alors, automatiquement, elles retournent d’où elles sont venues. S’il y a une volonté consciente mauvaise contre vous, elle arrive là, ne peut pas passer; la porte est fermée, parce qu’elle n’est ouverte qu’aux choses divines, elle n’est pas ouverte à autre chose. Alors cela retourne tout tranquillement à la source d’où c’est venu.
Mais tout cela, ce sont des choses... On peut apprendre à les faire, par une sorte d’étude et de science. Mais on peut les faire sans étude et sans science, à condition que l’aspiration et la soumission soient absolues et totales. Si l’aspiration et la soumission sont totales, alors cela se fait automatiquement. Mais il faut que vous veilliez à ce qu’elles soient totales; et d’ailleurs, comme je disais tout à l’heure, on s’en aperçoit très bien, parce que de la minute où elles ne sont plus totales, vous n’êtes plus heureux. Vous vous sentez comme ça, très misérable, déjeté, un peu mécontent : « Les choses ne sont pas agréables aujourd’hui. » Ce sont les mêmes qu’hier; hier elles étaient merveilleuses, aujourd’hui elles ne sont pas agréables. Pourquoi? Parce qu’hier vous étiez dans un état de soumission parfaite, ou plus ou moins parfaite, et qu’aujourd’hui vous n’y êtes plus. Alors ce qui était si beau hier, ne l’est plus aujourd’hui. Cette joie que vous aviez au-dedans de vous, cette confiance, cette assurance que tout ira bien, et que la grande Œuvre s’accomplira, cette certitude, tout cela, voilà, ça c’est voilé, c’est remplacé par une sorte de doute et, oui, un mécontentement : « Les choses ne sont pas belles, le monde est vilain, les gens ne sont pas agréables. » Cela va quelquefois jusqu’à : « La nourriture n’est pas bonne, hier elle était excellente. » C’est la même. Aujourd’hui, elle n’est pas bonne! Ça, c’est un baromètre! Vous pouvez vous dire immédiatement qu’il y a une insincérité qui a filtré quelque part. C’est très facile à savoir, il n’y a pas besoin d’être très savant, parce que, comme Sri Aurobindo le disait dans Les Éléments du Yoga : on sait bien si on est heureux ou si on est malheureux, on sait si on est content ou si on est mécontent; on n’a pas besoin de se demander, de poser des questions compliquées pour cela, on le sait! Eh bien, c’est très simple.
En même temps que vous vous sentez malheureux, vous pouvez mettre en dessous : « Je ne suis pas sincère! » Ces deux phrases vont ensemble
: « Je me sens malheureux. »
« Je ne suis pas sincère. »
Maintenant, qu’est-ce qu’il y a qui ne va pas? Alors on commence à regarder, on a vite fait de découvrir...
Voilà, mes enfants, c’est tout?
Nous sommes au bout des questions ou non?
(À un enfant) Toi, tu n’as pas posé ta question?
Mère, dans les Lettres 15 , Sri Aurobindo dit quelque part que la Grâce ne choisit pas le juste et ne rejette pas le pécheur. Elle a son discernement propre, qui est différent de celui du mental. C’est ainsi, par exemple, que la Grâce vient aider saint Augustin. Alors pourquoi, ici, dit-il : « Mais la Grâce suprême n’agira que dans les conditions de la Lumière et de la Vérité... » ?
(Avant qu’il termine la phrase) Oui, j’ai remarqué cela. Justement quand j’ai lu, j’y ai pensé.
J’y ai pensé; je pense qu’il a écrit cette phrase de cette façonlà pour qu’elle soit plus facilement compréhensible. Mais au fond, ce qu’il voulait dire, il l’a dit avant : Vous rejetez vousmême la Grâce, n’est-ce pas. Il a mis... où est-ce? quelle page? page 4 ? Oui, « la Grâce divine loin de vous. » Oui, « vous repoussez vous-même la Grâce divine loin de vous. » Non, ce n’est pas cela ; ça, c’est... (L’enfant commence à lire : « ... la Grâce... ») Non, après, mon petit... « Elle n’agira pas... » (À une autre enfant) Ça, c’est ce que nous avons expliqué. C’est autre chose. N’est-ce pas, c’est ce que j’ai expliqué : vous demandez à la Grâce de faire une chose pour vous, mais cette chose est un mensonge. Elle ne le fera pas, parce qu’elle n’agira jamais que dans la Vérité.
Mais alors, comment est-ce qu’elle vient pour aider le pécheur?
Elle n’aide pas le pécheur à être un pécheur! Elle aide le pécheur à quitter son péché; c’est-à-dire qu’elle ne repousse pas le pécheur en lui disant : « Je ne ferai rien pour toi. » Elle est là, toujours, même quand il pèche, pour l’aider à sortir de son péché, mais pas pour continuer son péché.
Il y a une grande différence avec cette idée que vous êtes mauvais et par conséquent « je ne m’occuperai pas de vous, je vous lance loin de moi, et il vous arrivera ce qui vous arrivera, je ne m’en occupe pas ». Cela, c’est l’idée générale. On dit : « Dieu m’a rejeté », n’est-ce pas. Ce n’est pas cela. Vous pouvez ne pas sentir la Grâce, mais elle sera toujours là, même avec le pire des pécheurs, même avec le pire des criminels, pour l’aider à se transformer, à se guérir de son crime et de son péché, s’il le veut. Elle ne le rejettera pas, mais elle ne va pas l’aider à faire son mal. Ce ne serait plus la Grâce. Tu comprends la différence?
Mais il a mis une phrase ici qui est... là, c’est tout à fait exact : « Vous repoussez vous-même la Grâce divine loin de vous. » Et puis il y a un... (On allume la lampe, et cela fait du bruit dans le micro. Mère a un geste de surprise, puis continue à feuilleter le livre) Je croyais que c’était ici... (Mère retrouve la phrase) « ... alors... » Voilà ! « ... vous serez toujours exposé aux attaques et la Grâce se retirera de vous. » N’est-ce pas, ça... (silence) Ce n’est pas la Grâce qui se retire de vous, c’est vous qui vous retirez de la Grâce. C’est une impression, et l’expression du fait. Parce que dans la phrase — une phrase précédente — c’est : « Vous repoussez vous-même la Grâce divine loin de vous. » Cela, c’est la chose exacte. Vous repoussez vous-même la Grâce divine loin de vous. Mais après l’avoir repoussée, vous avez l’impression qu’elle s’est retirée de vous; et c’est plutôt cela : « ... alors vous serez toujours exposé aux attaques et la Grâce se retirera de vous. » Ce n’est pas le fait qu’elle se retirera de vous —, vous avez l’impression qu’elle se retire de vous.
C’est en le lisant que j’ai remarqué cela. Je ne sais pas comment c’est en anglais. C’est à la page 7. Je ne sais pas, c’est à peu près à la même place, je suppose : « If you call for the Truth... », quelque chose comme ça.
(On retrouve dans le livre anglais la phrase voulue, et quelqu’un lit : « the Grace will recede from you. ») the Grace will recede from you. »)
Ah, oui, « recede from you », « then always you will be open to attack and the Grace will recede from you. »
C’est l’expression de l’impression que l’on a. Mais ce n’est pas que la Grâce se retirera. Parce que c’est écrit là, n’est-ce pas, juste avant, où il dit : la Grâce n’est pas à blâmer, vous n’avez pas à blâmer la Grâce, c’est vous qui la rejetez loin de vous.
Dans un cas, il se met dans l’attitude de la Grâce et dans l’autre cas, il s’est mis dans l’attitude de l’autre qui dit : « La Grâce se retire loin de moi. » Mais ce n’est pas la Grâce qui s’est retirée, c’est lui qui l’a repoussée, c’est-à-dire qu’il a mis une distance entre lui et la Grâce. En fait, même « repousser » n’est pas une image correcte; n’est-ce pas, ce n’est pas écrit, cela n’a pas été écrit à un philosophe, et ce n’est pas dans des termes philosophiques. Dans un cas, n’est-ce pas, il a pris l’attitude comme ceci, dans l’autre cas il a pris l’attitude comme cela, mais le phénomène est le même; c’est-à-dire qu’il y a une sorte de distance psychologique qui est créée entre la Grâce et l’individu. Et cette distance psychologique fait que l’individu ne peut plus recevoir la Grâce, et a l’impression qu’elle n’est pas là. Mais elle est là, en fait; seulement, comme il a établi cette distance entre les deux, il ne la sent plus. Cela, c’est le phénomène vrai. Ce n’est pas que la Grâce s’en va, ce n’est même pas qu’il a le pouvoir de la repousser, parce que si elle ne veut pas s’en aller, il aura beau la repousser, elle ne s’en ira pas. Mais il se met, lui, dans une incapacité de la sentir et de recevoir ses effets. Il crée une barrière psychologique entre lui-même et la Grâce.
Voilà, mes enfants, je crois que ça suffit pour ce soir.
Bonne nuit.
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