Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur son livre Éducation, et sur trois œuvres courtes de Sri Aurobindo : Les Éléments du Yoga, La Mère et Les Bases du Yoga.
En raison de la pluie, la classe a lieu dans la salle de gymnastique. Mère lit Les Éléments du Yoga, chapitre XI, « La Transformation », qui se termine ainsi :
« Q : Quand un sâdhak a des rêves qui signifient quelque vérité spirituelle, est-ce un signe que sa nature se transforme?
R : Pas nécessairement. C’est un signe qu’il est plus conscient que les gens ordinaires, mais les rêves ne transforment pas la nature. »
Si vous lisez un livre, ça vous aidera à vous transformer. Mais ce n’est pas le livre qui vous transformera.
Le rêve est une indication, il vous donne l’exacte image de ce qui se passe en vous, de l’état dans lequel vous êtes, de l’état de votre entourage, et avec cette indication vous pouvez faire le travail nécessaire pour vous transformer. Mais ce n’est pas le rêve qui vous transformera.
Maintenant... on dit toujours la même chose... Il y a une différence entre ce que l’on dit et ce que l’on fait. Je pourrais vous lire cent fois cette phrase; il y a des phrases là, n’est-ce pas, je vous ai dit ça si souvent, si souvent... et Sri Aurobindo le dit si clairement, n’est-ce pas... Quelles sont ces choses? (Mère feuillette le livre) Je vais vous les redire, je vous les redirai cent fois, mais à moins que vous ne décidiez que vous avez... (À cet instant se produit un bruit, un claquement dans le magnétophone, et Mère dit en riant) C’est nous qui faisons des éclairs maintenant! (rires) Ah! Où est-ce? (À un enfant) Tu sais? (Mère continue à tourner les pages) Voilà : « ... le mental qui s’accroche à ses propres idées »! Hein! Combien de fois vous ai-je dit ça ? « ... le vital qui préfère ses propres désirs »! Et puis le mental qui devient le complice du vital, et qui donne des explications admirables pour conserver les désirs en donnant des raisons, des explications et des légitimations aussi; et tout cela, ce sont des choses très utiles. J’ai entendu des gens qui disaient que la meilleure façon de se guérir des désirs, c’est de les satisfaire. Ils en font une théorie. Vous continuez à satisfaire vos désirs et puis, naturellement, vous en avez d’autres, parce que les désirs, l’un remplace l’autre très facilement, et vous continuez à satisfaire les nouveaux désirs avec l’idée que vous allez vous guérir. Ça vous prendra au moins une centaine d’existences!
Et puis finalement, les habitudes!... Il y a une phrase charmante — je l’ai appréciée pleinement —, où on lui demande : que veut dire « l’être physique qui adhère à ses propres habitudes »? Quelles sont les habitudes du physique dont il faut se défaire? C’est cette ter-rible, ef-froy-able préférence pour la nourriture à laquelle vous étiez habitué quand vous étiez tout petit, celle que l’on a mangée dans le pays où l’on est né, et cette nourriture, quand on ne l’a plus, on a l’impression qu’on n’a plus rien à manger, qu’on est misérable!
Je ne sais pas, je crois qu’il n’y aurait pas une douzaine de personnes ici, qui sont arrivées à l’Ashram et qui ont mangé la nourriture de l’Ashram sans dire : « Oh! je ne suis pas habitué à cette nourriture. C’est très difficile. » Et combien, combien de centaines de gens qui préparent leur propre nourriture, parce qu’ils ne peuvent pas manger la nourriture de l’Ashram! (Mère pose le livre avec force) Et puis, ils légitiment cela. Voilà, c’est là que les idées viennent, et qu’ils disent : « Ma santé! Je ne peux pas digérer! » Tout cela, c’est dans leur tête! Il n’y a pas un mot de vrai! Pas un mot de vrai! C’est un mensonge perpétuel dans lequel tout le monde vit, et pour cela je peux vous dire mon avis : vous n’avez pas fait un progrès sur la masse de l’humanité!
Je fais une exception pour les très, très, très rares qui ne sont pas comme ça ; on pourrait les compter sur les doigts. Et tous, ils légitiment ça, tous, tous : « Oh, mes pauvres enfants! Ils n’étaient pas habitués à manger cette nourriture. Comment pourrons-nous faire? » Ils vont mourir parce qu’ils ont changé de nourriture! Eh bien, moi, je donne un remède pour ça. Vous prenez un bateau, vous prenez un train et vous faites le tour du monde plusieurs fois, vous vous obligez à manger dans chaque pays la nourriture du pays. Et quand vous aurez fait cela plusieurs fois, vous comprendrez votre stupidité!... C’est une stupidité. Un tamas effroyable! On est lié là, comme ça (geste), à ses habitudes stomacales!
Maintenant j’ai dit ce que j’avais sur le cœur! Vous pouvez poser des questions!
(silence)
Pas de questions?
Mère, tu as dit dans Prières et Méditations : ce qui doit arriver arrivera ; alors pourquoi faire des efforts personnels?
« Ce qui doit arriver arrivera »? Tu sais ce que je voulais dire? Qu’il y a eu des prophéties depuis le commencement du monde, qu’il y aurait une nouvelle terre et une nouvelle race humaine, et que le Divin serait manifesté sur la terre. Et alors, moi, je vous dis : ce qui doit arriver arrivera ; ce qui a été prédit se réalisera. Voilà, c’est cela, ce n’est pas cette petite explication tout à fait terre à terre, surtout pas!
(Après un silence) Personne n’a de questions? J’ai écrasé vos questions d’un seul coup! (rires)
Douce Mère, ceux qui avaient fait cette prophétie, est-ce qu’ils, est-ce qu’ils...
Ce sont les mêmes qui la réaliseront, mon enfant! Ce sont ceux qui l’ont faite qui la réaliseront et qui y travaillent depuis des siècles! Et puis?
Mais je voulais dire, est-ce qu’ils avaient la même vision que Sri Aurobindo ? Le Supramental?
Si tu avais compris les mots que je t’ai dits, tu n’aurais pas posé la question!
C’est tout? Nous sommes à l’abri, il ne pleut pas... tout à fait confortables! Cela n’éveille pas votre désir de savoir quelque chose? Ou vous avez peur d’une autre rebuffade? (rires)
Quel est le travail de l’être psychique?
Quel est le travail de l’être psychique? Tu veux qu’il ait un travail? Qu’est-ce que tu veux dire exactement? Quelle est sa fonction? Ah! Eh bien, on pourrait dire comme cela : c’est comme le fil électrique qui relie le générateur à la lampe. Maintenant si quelqu’un a compris, qu’il m’explique ce que je dis!
Quel est le générateur et quelle est la lampe? (rires)
Ah, voilà ! Alors, quel est le générateur et quelle est la lampe? C’est justement ça ! quel est le générateur, quelle est la lampe? Ou plutôt : qui est le générateur, qui est la lampe?
Le générateur c’est le Divin, et la lampe c’est le corps.
C’est le corps, c’est l’être visible.
Alors ça, c’est sa fonction! C’est-à-dire que s’il n’y avait pas de psychique dans la Matière, il ne pourrait pas y avoir de contact direct avec le Divin. Et c’est grâce à cette présence psychique dans la Matière que le contact peut être direct entre la Matière et le Divin, et qu’on peut dire à tous les êtres humains : vous portez le Divin au-dedans de vous, et vous n’avez qu’à rentrer au-dedans de vous et vous le trouverez. C’est une chose très spéciale à l’être humain, ou plutôt, aux habitants de la terre. Dans l’être humain, le psychique devient plus conscient, plus formé. Plus conscient, et plus indépendant aussi. Il est individualisé dans les êtres humains. Mais c’est une spécialité de la terre. C’est une infusion directe, spéciale et rédemptrice, dans la Matière la plus inconsciente et la plus obscure, pour qu’elle puisse s’éveiller de nouveau, par étapes, à la Conscience divine, à la Présence divine et finalement au Divin lui-même. C’est la présence du psychique qui fait de l’Homme un être exceptionnel — je n’aime pas beaucoup le lui dire, parce qu’il se croit déjà beaucoup trop! Il a une si haute opinion de lui-même qu’il n’est pas nécessaire de l’encourager! Mais enfin, c’est un fait — au point qu’il y a des êtres des autres domaines de l’univers, ce que certains appellent des demi-dieux et même des dieux, des êtres, par exemple, de ce que Sri Aurobindo appelle I’Overmind, qui sont très anxieux de prendre un corps physique sur la terre pour avoir l’expérience du psychique, parce qu’ils n’en ont pas. Ces êtres-là ont certainement beaucoup de qualités que les hommes n’ont pas, mais il leur manque cette Présence divine, qui est tout à fait exceptionnelle et qui est un fait de la terre et de nulle part ailleurs. Tous ces habitants des mondes supérieurs, du mental supérieur, de I’Overmind et des autres régions, n’ont pas d’être psychique. Bien entendu, les êtres du vital n’en ont pas non plus. Mais eux, ils ne le regrettent pas, ils n’en veulent pas. Il n’y a que ceux, très rares, tout à fait exceptionnels, qui veulent se convertir, et pour cela, ils font une chose immédiate, c’est de prendre un corps physique; autrement, les autres n’en veulent pas. C’est quelque chose qui les lie et les astreint à une règle dont ils ne veulent pas.
Mais c’est un fait. Par conséquent, je suis obligée de constater que c’est comme ça, que c’est une vertu exceptionnelle de l’être humain de porter en lui le psychique. Et pour dire la vérité, il n’en tire pas grand profit. Il n’a pas l’air de considérer sa vertu comme une chose très, très désirable, à la façon dont il traite cette présence — exactement cela ! Il lui préfère ses idées du mental, il lui préfère ses désirs du vital et il lui préfère ses habitudes du physique.
Je ne sais pas combien d’entre vous ont lu la Bible; ce n’est pas très amusant à lire, et puis c’est très long ; mais enfin, dans la Bible il y a une histoire qui m’a toujours beaucoup plu. Il y avait deux frères, si je ne me trompe, Ésaü et Jacob. Eh bien, Ésaü avait très faim, c’est ça l’histoire, n’est-ce pas, je crois que c’était un chasseur, ou quelqu’un... enfin l’histoire est comme ça. Il est rentré chez lui très affamé. Alors il a dit à Jacob qu’il avait très faim, et il avait tellement faim qu’il lui a dit : « Écoute, si tu me donnes ton plat de lentilles (Jacob avait préparé des lentilles), si tu me donnes ton plat de lentilles, je te donne mon droit d’aînesse. » N’est-ce pas, on peut comprendre l’histoire d’une façon tout à fait superficielle, mais cela a un sens très profond : le droit d’aînesse, c’est le droit d’être le fils de Dieu. Et alors, il était tout à fait prêt à abandonner son droit divin pour manger, parce qu’il avait faim, pour la chose concrète, matérielle! C’est une très vieille histoire, mais elle est éternellement vraie.
Demande autre chose!
Mère, l’Ashram existe depuis longtemps; et tu dis qu’on peut compter sur les doigts les gens qui ont fait quelque chose...
Non, non, je n’ai pas dit ça... (rires) Je parlais seulement de nourriture. J’ai dit, des gens qui sont arrivés ici et qui n’ont pas commencé, n’est-ce pas, ils n’ont pas... L’histoire est très amusante. Il y a des gens qui arrivent, pleins de bonne volonté — d’ailleurs je crois que je l’ai écrit dans le Bulletin quelque part —, leur bonne volonté est si débordante que quand ils arrivent, tout est parfait, y compris la nourriture. Ils la trouvent très bonne tant qu’ils sont dans leur conscience psychique. Quand ça, ça commence à descendre, alors les vieilles habitudes commencent à monter. N’est-ce pas, quand la conscience psychique descend, les vieilles habitudes remontent à la place. Et alors, ils commencent à dire : « C’est drôle! J’aimais ça, mais je ne l’aime plus. Elle est devenue mauvaise, cette nourriture! » Ça, c’est une période intermédiaire. Et puis, au bout de quelque temps, plus ou moins timidement, suivant leur caractère, ils disent : (Mère se met à parler à voix très basse) « Est-ce que je ne pourrais pas avoir ma nourriture personnelle? Parce que... je ne sais pas... mon estomac ne digère pas! » (rires) Eh bien, je dis que parmi les gens qui habitent l’Ashram, je ne sais pas... mais il y en a très, très, très peu qui n’ont pas fait cela. Et ceux qui se sont dit : « Oh, moi, ça m’est égal, la nourriture. Je mange ce que l’on me donne et je ne m’en occupe pas », ceux-là, vraiment, on peut les compter sur les doigts.
Il faut regarder la chose d’une façon très catégorique, n’est-ce pas, parce qu’il y en a qui n’ont pas osé dire, il y en a beaucoup qui n’ont rien osé dire, excepté s’ils ont un petit malaise, ou s’ils ont vraiment mal à l’estomac, ou qu’ils croient qu’ils ont mal à l’estomac, et qui vont chez le docteur. Le docteur leur dit : « Oh, essayez donc ceci, ou essayez donc cela », les choses qu’ils avaient l’habitude de manger. Le docteur commence par leur dire : « Qu’est-ce que vous mangiez avant? (rires) Est-ce que vous n’aviez pas l’habitude de prendre ça ? » (rires) Comme cela. Alors naturellement, tout de suite ils disent : « Oui, oui, oui, je crois que ça me ferait du bien! » (rires)
Alors, maintenant! (Mère regarde l’enfant qui avait posé la question)
Je voulais dire, est-ce que tous ces efforts sont vains?
Mon petit, j’espère que non! La question de nourriture est une question, je ne peux pas dire secondaire, parce qu’elle est très symptomatique, elle est tout à fait... elle se rapporte à la conscience la plus physique, et à ce point de vue-là, elle exprime très bien la condition physique. Mais enfin, ce pauvre corps... il faut être un peu patient avec lui. Ce n’est pas lui qui me décourage — si je pouvais être découragée —, c’est le vital ! Oh, oui! avec son complice le mental, ces deux fripons ensemble, qui se supportent l’un l’autre, qui s’excusent et qui vous font un tableau tellement merveilleux de vos propres difficultés pour les légitimer — ça, c’est terrible! À ce point de vue-là, Sri Aurobindo avait écrit une petite règle que pendant un certain temps nous avions mise partout. Mais je crois que ça a dû disparaître; ou bien on s’y est tellement habitué qu’on ne le regarde même plus. Il était dit : « Ne fais jamais rien que tu ne puisses faire devant la Mère; ne dis jamais rien que tu ne puisses dire devant la Mère. » Et alors, Sri Aurobindo avait ajouté : « Parce qu’en fait, elle est toujours là. » Mais les yeux physiques : « Non, non, non, elle n’est pas là... » Alors, le premier instinct, c’est de cacher. Non seulement on fait toutes les choses qu’on ne ferait pas devant moi, mais comme on ne croit pas du tout à la fin de la phrase de Sri Aurobindo — que même si je ne suis pas là physiquement, peut-être qu’après tout je sais comment sont les choses —, alors le premier instinct est de cacher; et de la minute où l’on entre sur ce chemin-là, c’est comme si l’on entrait dans les sables mouvants. On descend, on descend, on descend, ça vous prend, ça vous happe, ça vous tire en bas de telle manière que c’est très difficile de s’en sortir. De toutes les choses, c’est la pire : « Ah, pourvu que Mère ne sache pas! » Et puis alors, ça commence comme ça, et c’est fini. Eh bien, j’espère qu’il n’y en a pas beaucoup d’entre vous qui mentent, mais enfin, généralement, la fin de la courbe, c’est ça ! Et alors ça, n’est-ce pas, c’est une de ces stupidités qui n’a pas d’égale; parce que... je vais vous raconter quelque chose, parce que je peux vous le raconter impunément; même si vous ne voulez pas que ça se passe, ça se passera tout de même!
Les gens viennent pour la bénédiction, le matin... ou bien, la nuit, je fais des inspections; partout, je me promène, chez tout le monde, comme ça. Dans les deux cas, même le matin quand ils viennent recevoir une fleur, je n’ai qu’à les regarder. Il y a autour de leur tête quelque chose, et quelquefois c’est aussi clair que cela, ils disent : « Ça, c’est une chose que je ne dirai jamais. » Ils me le disent, à moi : « Jamais je ne te dirai ça et ça et ça »; n’est-ce pas, ils me le disent en me disant qu’ils ne me le diront pas! En me disant : « Je ne te le dirai pas », ils le disent.
Mère, quand on a fait quelque chose et qu’on veut te le cacher, et que l’on vient vers toi, tu as l’air de ne rien savoir. Pourquoi? (rires)
(Riant) Et j’ai l’air! J’écoute, hein? J’écoute comme si je ne savais rien, n’est-ce pas? C’est bien ça, et quelquefois je fais des « Ah! » et des « Oh! » comme si je ne savais pas, n’est-ce pas? Eh bien, mon enfant, ça, ça a une autre raison. J’ai expliqué cela déjà plusieurs fois.
Quand je vois des gens et quand je m’occupe d’eux, j’ai la volonté — je ne dis pas que c’est toujours possible, mais enfin —, j’ai la volonté de voir en eux leur être psychique, leur idéal, ce qu’ils veulent faire, ce qu’ils veulent être, pour le garder, le tirer à la surface. Tout mon travail consiste à cela : ce que je vois, je le tire toujours. Et alors, quand je fais cela, à part les cas où je me rends compte que les gens sont un petit peu conscients d’eux-mêmes, je ne suis pas toujours sûre de leur degré de conscience extérieure; et quand je pose des questions, c’est pour savoir la différence entre ce dont ils sont conscients et ce que je vois; et cela, je le fais tout le temps. C’est comme si je ne savais pas, n’est-ce pas, je pose une question pour savoir : « Qu’est-ce que tu sens? qu’est-ce que tu penses? qu’est-ce que tu as éprouvé? qu’est-ce que...? » C’est pour avoir un clair tableau du degré de votre conscience.
Il y a une différence formidable entre ce que vous savez de vous et ce que je sais de vous. Ce que je sais de vous, c’est évidemment ce que vous devez être. Alors extérieurement, on voit bien comment sont les gens, mais ça, c’est un phénomène assez extérieur. Entre les deux, il y a ce domaine vital, mental, qui au point de vue humain est le plus important, et c’est là que doit se refléter en chacun la conscience de ce qu’il doit être, afin qu’il puisse le réaliser. Mais l’écart est très grand entre ce que chacun connaît de lui-même, ce qui est activement conscient en lui, et ce qu’il est dans la vérité de son être.
C’est plus difficile pour moi; ce domaine intermédiaire est un domaine très nuageux, qui pour moi est un domaine de mensonge, ce que moi j’appelle le mensonge. Il y a en anglais deux mots, « falsehood ». Ce n’est pas mensonge dans le sens qu’on dit un mensonge, mais c’est un domaine de mensonge qui n’est pas vrai, qui n’est pas l’expression de la vérité d’un être du tout; et pourtant c’est de ça qu’il est conscient presque exclusivement. Il n’y en a que très peu qui ont la perception intérieure de ce qu’ils veulent être, de ce qu’ils veulent faire, de ce qui est la vérité de leur être. Il n’y en a pas beaucoup. Ou bien, cela vient, et puis cela se voile. Tout d’un coup on a un éclair, et puis ça s’obscurcit. Et alors, les questions que je pose, c’est toujours pour savoir quel est l’état de cette conscience superficielle, qui pour moi est quelque chose de tout à fait irréel, et qui n’est pas vrai.
Il y a une telle contradiction entre le fait brutal de l’action quotidienne, avec ce tableau que je me fais à moi-même de ce que chacun de vous doit être, et que je garde là par toute la puissance de ma conscience pour que vous puissiez le réaliser — et c’est vous-même, c’est ça, vous-même! Ce n’est pas cet être ignorant, stupide et insincère — quelquefois malhonnête — qui est le... ce que vous appelez vous-même.
Écoutez, je ne suis pas toute jeune selon la conception humaine ordinaire. J’ai un certain nombre d’années. Depuis Le ma toute petite enfance, je n’ai pas cessé d’observer. Quand j’étais toute petite, on me reprochait de ne jamais parler. C’était parce que je passais mon temps à observer. J’ai passé mon temps à observer, j’ai enregistré tout, j’ai appris tout ce que je pouvais apprendre, je n’ai pas cessé d’apprendre. Eh bien, j’ai encore des surprises. Tout d’un coup, je me trouve devant des mouvements tellement tortillés, insincères et obscurs que je me dis : « Ce n’est pas possible, ça existe, ça ? » Enfin, des choses qui m’arrivent encore, hier et avant-hier : « Ce n’est pas possible! Dans le monde ça se passe comme ça ? » Et pourtant, j’ai vu une quantité considérable de gens, j’ai commencé à m’occuper des gens toute petite, j’ai vu beaucoup de pays, j’ai fait ce que je recommande aux autres : dans chaque pays j’ai vécu la vie du pays pour bien la comprendre, et il n’y a rien qui m’ait intéressé autant dans mon être extérieur que d’apprendre.
Eh bien, encore maintenant, j’ai l’impression que je ne sais rien. Il peut se passer dans ce monde et dans la conscience humaine des choses qui me dépassent; je ne comprends pas comment c’est possible! Pour moi, ça me fait l’impression, quand on est bien tordu comme ça, de façon que ce soit méconnaissable — et c’est ça l’impression que j’ai toujours —, que cette Conscience de Vérité qui essaye de se manifester, elle est prise et elle est complètement déformée. Et comment on réussit cela, ça, je n’ai pas encore compris; comment peut-on arriver à ce point-là !
Voilà, ce n’est pas pour vous décourager, c’est pour vous dire que c’est pour cela que quelquefois je pose des questions. Même à un petit bébé je peux poser des questions. J’ai toujours l’impression qu’on peut apprendre quelque chose, toujours. Il y a encore autre chose. Il y a toutes les choses que je vois, et je vous ai dit, n’est-ce pas, je fais des inspections la nuit pendant que les autres dorment. C’est très commode pour moi, parce que, comme ça, on est bien ce que l’on est. Eh bien, je me promène, je fais des inspections et je vois toutes sortes de choses. Vous pouvez vous l’imaginer! Mais chaque fois que cela m’est possible, je pose des questions, beaucoup de questions, pour contrôler ce que j’ai vu. J’ai des années, des années, des années, des années de ce travail, j’ai commencé à travailler la nuit, comme ça, consciemment, c’était à peu près en 1904, c’est-à-dire il y a cinquante ans de cela, et je n’ai pas arrêté. Eh bien, encore maintenant, pour être sûre de ce que je vois, je pose toujours des questions matérielles, pour contrôler, et jamais je ne sais (le magnétophone se met à faire un grand bruit, ce qui attire l’attention de Mère, et elle demande : « Fini? Il n’en veut plus? », puis elle continue), jamais je n’ai cette espèce d’assurance que les gens ont généralement de croire qu’ils savent, qu’ils ne peuvent pas se tromper, et que c’est une affaire entendue.
Le monde est une chose en perpétuelle transformation. Même si je vivais mille ans et davantage sur la terre, je continuerais à apprendre sans m’arrêter, et je suis sûre que j’apprendrais toujours quelque chose de nouveau, parce que ce qui était vrai hier ne l’est plus tant aujourd’hui, et que ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera plus demain, parce que le monde est en perpétuel changement. Par conséquent, on a perpétuellement à apprendre. Et après tout, je ne sais pas si ce n’est pas cela la raison du monde, une objectivation de soi afin de se connaître dans tous ses détails; il y a beaucoup de détails, ça peut durer très longtemps, et ils sont inattendus!
Voilà, c’est fini, le rouleau? Parce qu’on peut finir aussi, maintenant. Il est tard.
Bonne nuit!
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