Savitri passages traduits par La Mère 119 pages 1988 Edition
French

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Savitri passages traduits par La Mère - read passages from Savitri translated into French by The Mother

Savitri passages traduits par La Mère


 

 

Canto III

The Debate of Love and Death


A sad destroying cadence the voice sank;

It seemed to lead the advancing march of Life

Into some still original Inane.

But Savitri answered to almighty Death:

"O dark-browed sophist of the universe

Who veilst the Real with its own Idea,

Hiding with brute objects Nature's living face,

Masking eternity with thy dance of death,

Thou hast woven the ignorant Mind into a screen

And made of Thought error's purveyor and scribe ;

And a false witness of mind's servant sense.

An aesthete of the sorrow of the world,

Champion of a harsh and sad philosophy

Thou hast used words to shutter out the Light

And called in Truth to vindicate a lie.

A lying reality is falsehood's crown

And a perverted truth her richest gem.

O Death, thou speakest Truth but Truth that slays,

I answer to thee with the Truth that saves.

A traveller new-discovering himself,

One made of Matter's world his starting-point,

He made of Nothingness his living-room

And Night a process of the eternal light

And death a spur towards immortality.

God wrapped his head from sight in Matter's cowl,

His consciousness dived into inconscient depths,

All-knowledge seemed a huge dark Nescience;

Infinity wore a boundless zero's form.

His abysms of bliss became insensible deeps,

Eternity a blank spiritual Vast.

Annulling an original nullity,

The Timeless took its ground in emptiness

And drew the figure of a universe,

That the spirit might adventure into Time

And wrestle with adamant Necessity

 

Chant III

Le Débat entre l'Amour et la Mort


La voix tomba dans une triste cadence destructrice ;

Elle semblait conduire la marche en avant de la Vie

Vers quelque Absurdité encore originale.

Mais Savitri répondit à la Mort toute-puissante :

"Ô  sophiste de l'univers au front sombre

Qui voile le Réel avec sa propre idée,

Cachant avec des objets brutaux la figure vivante de la Nature,

Masquant l'éternité avec la danse de la mort,

Tu as tissé le mental ignorant en un écran

Et fait de la Pensée le pourvoyeur et le scribe de l'erreur,

Et un faux témoin du sens, le serviteur du mental.

Esthète de la douleur du monde,

Champion d'une philosophie âpre et triste

Tu t'es servi de mots pour bloquer la Lumière

Et as fait appel à la Vérité pout défendre un mensonge.

Une réalité qui ment est la couronne du mensonge

Et une vérité pervertie son joyau le plus riche.

Ô  Mort, tu dis la vérité, mais une vérité qui tue,

Je te réponds avec la Vérité qui sauve.

Un voyageur se découvrant à nouveau,

Unique, il fit du monde de la Matière son point de départ,

II fit du Néant son salon

Et de la Nuit un procédé de la lumière éternelle

Et de la mort un éperon vers l'immortalité.

Dieu cacha sa tête à la vue dans le capuchon de la Matière,

La conscience plongea dans les profondeurs de l'inconscient,

La toute-connaissance sembla une nescience énorme et sombre ;

L'Infini revêtit la forme d'un zéro sans limite.

Ses abîmes de félicité devinrent des océans insensibles,

L'Eternité, une Immensité spirituelle vide.

Annulant la nullité originelle,

Le Sans-Temps prit pied dans le vide

Et dessina l'image d'un univers,

Pour que l'esprit puisse s'aventurer dans le Temps

Et lutter avec la Nécessité inflexible,

 

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And the soul pursue a cosmic pilgrimage.

A spirit moved in black immensities

And built a Thought in ancient Nothingness;

A soul in God's tremendous Void was lit,

A secret labouring glow of nascent fire.

In Nihil's gulf his mighty Puissance wrought;

She swung her formless motion into shapes,

Made Matter the body of the Bodiless,

Infant and dim the eternal Mights awoke.

In inert Matter breathed a slumbering Life,

In a subconscient Life Mind lay asleep;

In waking Life it stretched its giant limbs

To shake from it the torpor of its drowse;

A senseless substance quivered into sense,

The world's heart commenced to beat, its eyes to see.

In the crowded dumb vibrations of a brain

Thought fumbled in a ring to find itself,

Discovered speech and fed the new-born Word

That bridged with spans of light the world's ignorance.

In waking Mind the Thinker built his house.

A reasoning animal willed and planned and sought;

He stood erect among his brute compeers,

He built life new, measured the universe,

Opposed his fate and wrestled with unseen Powers

Conquered and used the laws that rule the world,

And hoped to ride the heavens and reach the stars,

A master of his huge environment.

Now through Mind's windows stares the demi-god

Hidden behind the curtains of man's soul:

He has seen the Unknown, looked on Truth's veilless face;

A ray has touched him from the eternal Sun;

Motionless, voiceless in foreseeing depths,

He stands awake in Supernature's light

And sees a glory of arisen wings

And sees the vast descending might of God.

 

O Death, thou lookst on an unfinished world

Assailed by thee and of its road unsure,

Peopled by imperfect minds and ignorant lives,

And sayest God is not and all is vain.

 

Et que l'âme entreprenne un pèlerinage cosmique.

Un esprit se déplaça dans de noires immensités

Et construisit une Pensée dans l'ancien Néant ;

Une âme était allumée dans le Vide extraordinaire de Dieu,

La secrète lueur au travail d'un feu naissant.

Dans le gouffre du Néant sa Puissance majestueuse œuvrait ;

Elle précipita en des formes son mouvement informe,

Fit de la Matière le corps du Sans-corps.

Enfants et faibles, les Pouvoirs éternels s'éveillèrent.

Dans la Matière inerte respira une Vie somnolente,

Dans une vie subconsciente le mental restait endormi ;

Dans la vie éveillée il allongea ses membres géants

Pour secouer la torpeur de son demi-sommeil ;

Une substance insensible tressaillit à la sensibilité,

Le cœur du monde commença à battre, ses yeux à voir.

Dans les vibrations muettes et serrées d'un cerveau

La pensée tâtonna en rond pour se trouver elle-même,

Découvrit la parole et nourrit le Mot nouveau-né

Qui jeta un pont sur l'ignorance du monde avec des empans de lumière.

Dans le mental qui s'éveillait, le Penseur construisit sa maison.

Un animal raisonnable voulut, fit des plans et chercha ;

II se tint debout parmi ses compagnons brutaux,

II construisit une vie nouvelle, mesura l'univers,

S'opposa à son destin et lutta contre des Pouvoirs invisibles,

Conquit et utilisa les lois qui gouvernent le monde,

Et espéra franchir les cieux et atteindre les étoiles,

Maître de son environnement formidable.

Maintenant, par les fenêtres du mental un demi-dieu regarde

Caché derrière les rideaux de l'âme de l'homme :

II a vu l'Inconnu, contemplé la face sans voile de la Vérité ;

Un rayon l'a touché venant du Soleil éternel,

Sans mouvement, sans voix dans les profondeurs prémonitoires

II se tient éveillé dans la lumière du Supranaturel

Et voit la gloire d'ailes qui surviennent

Et voit la vaste puissance de Dieu qui descend.

 

Ô Mort, tu regardes un monde pas encore terminé

Assailli par toi et peu sûr de sa route,

Peuplé de mentais imparfaits et de vies ignorantes,

Et tu dis, Dieu n'est pas et tout est vain.

 

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How shall the child already be the man ?

Because he is infant, shall he never grow ?

Because he is ignorant, shall he never learn ?

In a small fragile seed a great tree lurks,

In a tiny gene a thinking being is shut;

A little element in a little sperm,

It grows and is a conqueror and a sage.

Then wilt thou spew out. Death, God's mystic truth,

Deny the occult spiritual miracle ?

Still wilt thou say there is no spirit, no God ?

A mute material Nature wakes and sees;

She has invented speech, unveiled a will.

Something there waits beyond towards which she strives,

Something surrounds her into which she grows:

To uncover the spirit, to change back into God,

To exceed herself is her transcendent task.

In God concealed the world began to be,

Tardily it travels towards manifest God:

Our imperfection towards perfection toils,

The body is the chrysalis of a soul:

The infinite holds the finite in its arms,

Time travels towards revealed eternity.

A miracle structure of the eternal Mage,

Matter its mystery hides from its own eyes,

A scripture written out in cryptic signs,

An occult document of the All-Wonderful's art.

All here bears witness to his secret might,

In all we feel his presence and his power.

A blaze of his sovereign glory is the sun,

A glory is the gold and glimmering moon.

A glory is his dream of purple sky,

A march of his greatness are the wheeling stars.

His laughter of beauty breaks out in green trees,

His moments of beauty triumph in a flower;

The blue sea's chant, the rivulet's wandering voice

Are murmurs falling from the Eternal's harp.

This world is God fulfilled in outwardness.

 

Comment l'enfant peut-il déjà être l'homme ?

Parce qu'il est enfant, ne croîtra-t-il jamais?

Parce qu'il est ignorant, n'apprendra-t-il jamais?

Dans une petite graine fragile, un grand arbre se cache,

Dans un tout petit gène, un être pensant est enfermé ;

Un petit élément dans un petit sperme,

II croît et devient un conquérant et un sage.

Alors, Mort, rejetteras-tu la vérité mystique de Dieu ?

Démentiras-tu l'occulte miracle spirituel ?

Diras-tu encore qu'il n'y a pas d'esprit, pas de Dieu ?

Une Nature matérielle muette s'éveille et voit ;

Elle a inventé la parole, dévoilé une volonté.

Quelque chose attend au-delà vers quoi elle s'efforce,

Quelque chose l'entoure en quoi elle grandit :

Découvrir l'esprit, se transformer en Dieu,

Se surpasser elle-même, est sa tâche transcendante.

Dans le Dieu caché, le monde commença d'être,

Tardivement il voyage vers Dieu manifesté :

Notre imperfection fait effort vers la perfection,

Le corps est la chrysalide d'une âme :

L'infini tient le fini dans ses bras,

Le temps voyage vers l'éternité révélée.

La structure miraculeuse du Mage éternel,

La matière cache son mystère à ses propres yeux,

Une Ecriture notée en signes secrets,

Un document occulte de l'art du Tout-Merveilleux.

Ici, tout porte témoignage de sa puissance secrète,

En tout, nous sentons sa présence et son pouvoir.

Un embrasement de sa gloire souveraine est le soleil,

................................................................................*

Une gloire est son rêve de ciel pourpre.

Une marche de sa grandeur sont les étoiles tournoyantes.

Son rire de beauté s'épanouit dans les arbres verts,

Ces moments de beauté triomphent dans une fleur ;

Le chant de la mer bleue, la voix vagabonde du ruisseau

Sont des murmures tombant de la harpe de l'Eternel.

Ce monde est Dieu accompli dans l'extériorité.


*Un vers manque dans la traduction dont le sens est le suivant :
Une gloire est la lune d'or qui luit.

 

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His ways challenge our reason and our sense;

By blind brute movements of an ignorant Force,

By means we slight as small, obscure or base

A greatness founded upon little things,

He has built a world in the unknowing Void.

His forms he has massed from infinitesimal dust;

His marvels are built from insignificant things.

If mind is crippled, life untaught and crude,

If brutal masks are there and evil acts,

They are incidents of his vast and varied plot,

His great and dangerous drama's needed steps;

He makes with these and all his passion-play,

A play and yet no play but the deep scheme

Of a transcendent Wisdom finding ways

To meet her Lord in the shadow and the Night:

Above her is the vigil of the stars;

Watched by a solitary Infinitude

She embodies in dumb Matter the Divine,

In symbol minds and lives the Absolute.

A miracle-monger her mechanical craft;

Matter's machine worked out the laws of thought,

Life's engines served the labour of a soul:

The mighty Mother her creation wrought,

A huge caprice self-bound by iron laws,

And shut God into an enigmatic world:

She lulled the Omniscient into nescient sleep,

Omnipotence on Inertia's back she drove,

Trod perfectly with divine unconscious steps

The enormous circle of her wonder-works.

Immortality assured itself by death ;

The Eternal's face was seen through drifts of Time.

His knowledge he disguised as Ignorance,

His Good he sowed in Evil's monstrous bed,

Made error a door by which Truth could enter in,

His plant of bliss watered with Sorrow's tears.

A thousand aspects point back to the One;

A dual Nature covered the Unique.

In this meeting of the Eternal's mingling masques,

This tangle-dance of passionate contraries

Locking like lovers in a forbidden embrace

 

Ses manières d'être défient notre raison et nos sens ;

Par les mouvements aveugles et brutaux d'une Force ignorante,

Par des moyens que nous méprisons comme étant mesquins, obscurs ou bas,

Une grandeur fondée sur des choses petites,

II a construit un monde dans le Vide qui ne sait pas.

Il a massé ses formes d'une poussière infinitésimale ;

Ses merveilles sont bâties avec des choses insignifiantes.

Si le mental est estropié, la vie inculte et grossière,

Si des masques brutaux et des actes mauvais sont là,

Ce sont des incidents de son plan vaste et varié,

Les degrés nécessaires à son drame grand et dangereux ;

II fait de tout cela et aussi de tout son mystère de la passion

Un jeu qui n'est pas un jeu mais le plan profond

D'une sagesse transcendante trouvant les moyens

De rencontrer son Seigneur dans l'ombre de la Nuit :

Au-dessus d'elle est la veillée des étoiles ;

Guettée par une Infinitude solitaire

Dans la Matière muette, elle incarne le Divin,

Dans des mentalités et des vies symboliques, l'Absolu.

Son métier mécanique est un faiseur de miracles ;

La machine de la matière effectua les lois de la pensée,

Les moteurs de la vie servirent le labeur d'une âme ;

La Mère toute-puissante façonna sa création,

Un caprice formidable se limitant lui-même par des lois de fer,

Et enfermant Dieu dans un monde énigmatique ;

Elle berça l'Omniscient en un sommeil nescient,

Sur le dos de l'Inertie elle mena l'Omnipotence,

Parcourut parfaitement avec des pas divins inconscients

Le cercle énorme de ses œuvres merveilleuses.

L'immortalité s'affirma par la mort ;

La face de l'Eternel se vit à travers les tourbillons du temps.

Sa connaissance, il l'a déguisée en Ignorance,

Son Bien il le sema dans le lit monstrueux du Mal,

II fit de l'erreur une porte par laquelle la Vérité pouvait entrer,

Sa plante de félicité, il l'arrosa avec les larmes de la Douleur.

Des milliers d'aspects indiquent l'Un ;

Une Nature duelle recouvrit l'Unique.

Dans la rencontre de ces masques entremêlés de l'Eternel,

Cette danse enchevêtrée des contraires passionnés

Serrant comme des amants dans une étreinte interdite

 

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The quarrel of their lost identity,

In this wrestle and wrangle of the extremes of Power

Earth's million roads struggled towards deity.

All stumbled on behind a stumbling Guide,

Yet every stumble is a needed pace

On unknown routes to an unknowable goal.

All blundered and straggled towards the one Divine.

As if transmuted by a titan spell

The eternal powers assumed a dubious face:

Idols of an oblique divinity,

They wore the heads of animal or troll,

Assumed ears of the fawn, the satyr's hoof,

Or harboured the demoniac in their gaze.

A crooked maze they made of thinking mind,

They suffered a metamorphosis of the heart,

Admitting Bacchant revellers from the Night

Into its sanctuary of delights,

As in a Dionysian masquerade.

On the highways, in the gardens of the world

They wallowed oblivious of their divine parts,

As drunkards of a dire Circean wine

Or a child who sprawls and sports in Nature's mire.

Even wisdom, hewer of the roads of God,

Is a partner in the deep disastrous game:

Lost is the pilgrim's wallet and the scrip,

She fails to read the map and watch the star.

A poor self-righteous virtue is her stock

And reason's pragmatic grope or abstract sight,

Or the technique of a brief hour's success

She teaches, an usher in utility's school.

On the ocean surface of vast Consciousness

Small thoughts in shoals are fished up into a net

But the great truths escape her narrow cast;

Guarded from vision by creation's depths,

Obscure they swim in blind enormous gulfs

Safe from the little sounding leads of mind,

Too far for the puny diver's shallow plunge.

Our mortal vision peers with ignorant eyes ;

It has no gaze on the deep heart of things.

Our Knowledge walks leaning on Error's staff,

 

La querelle de leur identité perdue,

Dans cette lutte et cette dispute des extrêmes du Pouvoir

Les millions de chemins de la terre s'efforcent vers la divinité.

Tous trébuchent derrière un Guide trébuchant,

Pourtant chaque trébuchement est un pas nécessaire

Sur des routes inconnues vers un but inconnaissable.

Tous firent des bévues et traînèrent en avançant vers l'Un Divin.

Comme transmués par une sorcellerie titanesque

Les pouvoirs éternels assumèrent une face douteuse :

Idoles d'une divinité oblique,

Ils revêtirent des têtes d'animal ou de gnome,

Assumèrent les oreilles du faune, les pieds du satyre,

Ou hébergèrent le démon dans leur regard.

Du mental pensant, ils firent un dédale tortueux,

Ils permirent une métamorphose du cœur,

Admettant des convives bachiques venant de la Nuit

Dans son sanctuaire de félicité,

Comme dans une mascarade dionysiaque.

Sur les grandes routes, dans les jardins du monde

Ils se vautrèrent oubliant leurs éléments divins

Comme des ivrognes d'un vin terrible de Circé

Ou un enfant qui s'étale et s'amuse dans la fange de la Nature.

Même la sagesse qui taille les routes de Dieu

Est un partenaire dans le jeu extrême et désastreux :

Perdus sont le havresac et la sacoche du pèlerin,

Elle oublie de lire la carte et d'observer l'étoile.

Une pauvre vertu pharisaïque est son lot

Et le tâtonnement pragmatique ou la vision abstraite de la raison,

Ou la technique d'une brève heure de succès

Elle enseigne, huissier à l'école de l'utilité.

Sur la surface de l'océan de la vaste Conscience

De petites pensées en foule sont pêchées dans un filet

Mais les grandes vérités échappent à son étroite volée ;

Gardées de la vue par les profondeurs de la création,

Obscures, elles nagent dans d'énormes gouffres aveugles

À l'abri des petits sondages du mental,

Trop profondes pour le plongeon superficiel du plongeur mesquin.

Notre vision mortelle regarde avec des yeux ignorants ;

Elle ne contemple pas le cœur profond des choses ;

Notre Connaissance marche en s'appuyant sur la canne de l'Erreur,

 

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A worshipper of false dogmas and false gods,

Or fanatic of a fierce intolerant creed

Or a seeker doubting every truth he finds,

A sceptic facing Light with adamant No

Or chilling the heart with dry ironic smile,

A cynic stamping out the god in man;

A darkness wallows in the paths of Time

Or lifts its giant head to blot the stars;

It makes a cloud of the interpreting mind

And intercepts the oracles of the Sun.

Yet Light is there; it stands at Nature's doors:

It holds a torch to lead the traveller in.

It waits to be kindled in our secret cells;

It is a star lighting an ignorant sea,

A lamp upon our poop piercing the night.

As knowledge grows Light flames up from within:

It is a shining warrior in the mind,

An eagle of dreams in the divining heart,

An armour in the fight, a bow of God.

Then larger dawns arrive and Wisdom's pomps

Cross through the being's dim half-lighted fields;

Philosophy climbs up Thought's cloud-bank peaks

And Science tears out Nature's occult powers,

Enormous jinns who serve a dwarf's small needs,

Exposes the sealed minutiae of her art

And conquers her by her own captive force.

On heights unreached by mind's most daring soar,

Upon a dangerous edge of failing Time

The soul draws back into its deathless Self;

Man's knowledge becomes God's supernal Ray.

There is the mystic realm whence leaps the power

Whose fire burns in the eyes of seer and sage;

A lightning flash of visionary sight,

It plays upon an inward verge of mind:

Thought silenced gazes into a brilliant Void.

A voice comes down from mystic unseen peaks:

A cry of splendour from a mouth of storm,

It is the voice that speaks to night's profound,

It is the thunder and the flaming call.

Above the planes that climb from nescient earth,

 

Un adorateur de faux dieux et de dogmes faux,

Ou fanatique d'une croyance férocement intolérante

Ou un chercheur doutant de chaque vérité qu'il trouve,

Un sceptique faisant face à la Lumière avec un Non inflexible

Ou glaçant le cœur avec un sourire sec et ironique,

Un cynique piétinant le dieu hors de l'homme ;

Une obscurité se répand sur les chemins du Temps

Ou soulève sa tête géante pour cacher les étoiles ;

De l'interprétation mentale elle fait un nuage,

Et intercepte les oracles du Soleil.

Pourtant la Lumière est là ; elle est debout aux portes de la Nature :

Elle tient une torche pour faire entrer le voyageur.

Elle attend d'être allumée dans nos cellules secrètes ;

C'est une étoile éclairant une mer ignorante,

Une lampe sur notre poupe perçant la nuit.

A mesure que croît la connaissance, la Lumière s'enflamme du dedans :

C'est un guerrier brillant dans le mental,

Un aigle de rêves dans le cœur divinateur,

Une armure dans la bataille, un arc de Dieu.

Alors arrivent des aurores plus larges et les pompes de la Sagesse

Traversent les champs blafards à demi éclairés de l'être ;

La philosophie grimpe les sommets couverts de nuages de la Pensée

Et la Science arrache les pouvoirs occultes de la Nature,

Des djinns énormes qui servent les petits besoins d'un nain,

Expose les minuties scellées de son art

Et la conquiert par sa propre force captive.

Sur des cimes que ne peuvent atteindre les envolées les plus hardies du mental,

Sur une crête dangereuse du Temps qui faillit

L'âme se retire dans son Moi immortel ;

La connaissance de l'homme devient le Rayon supérieur de Dieu.

Là est la région mystique d'où s'élance le pouvoir

Dont le feu brûle dans les yeux du voyant et du sage ;

L'éclair étincelant d'un regard visionnaire

Joue sur le bord interne du mental :

La pensée rendue silencieuse se fixe sur un Vide brillant.

Une voix descend de pics mystiques invisibles :

Un cri de splendeur venant d'une bouche d'orage,

C'est la voix qui parle à la profondeur de la nuit,

C'est le tonnerre et l'appel flamboyant.

Au-dessus des zones qui grimpent de la terre nesciente,

 

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A hand is lifted towards the Invisible's realm

Beyond the superconscient's blinding line

And plucks away the screens of the Unknown;

A spirit within looks into the Eternal's eyes.

It hears the Word to which our hearts were deaf,

It sees through the blaze in which our thoughts grew blind;

It drinks from the naked breasts of glorious Truth,

It learns the secrets of eternity.

Thus all was plunged into the riddling Night,

Thus all is raised to meet a dazzling Sun.

O Death, this is the mystery of thy reign.

In earth's anomalous and tragic field

Carried in its aimless journey by the sun

Mid the forced marches of the great dumb stars,

A darkness occupied the fields of God,

And Matter's world was governed by the shape.

Thy mask has covered the Eternal's face,

The Bliss that made the world has fallen asleep;

Abandoned in the Vast she slumbered on:

An evil transmutation overtook

Her members till she knew herself no more.

Only through her creative slumber flit

Frail memories of the joy and beauty meant

Under the sky's blue laugh mid green-scarfed trees

And happy squanderings of scents and hues,

In the field of the golden promenade of the sun

And the vigil of the dream-light of the stars,

Amid high meditating heads of hills,

On the bosom of voluptuous rain-kissed earth

And by the sapphire tumblings of the sea.

But now the primal innocence is lost

And Death and Ignorance govern the mortal world

And Nature's visage wears a greyer hue.

Earth still has kept her early charm and grace,

The grandeur and the beauty still are hers,

But veiled is the divine Inhabitant.

The souls of men have wandered from the Light

And the great Mother turns away her face.

The eyes of the creatrix Bliss are closed

And sorrow's touch has found her in her dreams.

 

Une main est levée vers la région de l'Invisible

Au-delà de la ligne aveuglante du supraconscient

Et retire les écrans de l'Inconnu ;

Un esprit, au-dedans, regarde dans les yeux de l'Eternel.

Il entend le Mot auquel nos cœurs étaient sourds,

II voit à travers l'éclat qui aveugla nos pensées ;

II boit aux seins nus de la Vérité glorieuse,

II apprend les secrets de l'éternité.

Ainsi tout était plongé dans la Nuit énigmatique,

Ainsi tout est soulevé pour rencontrer un Soleil éblouissant.

Ô  Mort, ceci est le mystère de ton règne.

Dans le champ anormal et tragique de la terre

Portée dans son voyage sans but par le soleil

Au milieu des marches forcées de grandes étoiles muettes,

Une obscurité occupa les champs de Dieu,

Et le monde de la Matière fut gouverné par ta forme.

Ton masque a couvert la face de l'Eternel,

La Félicité qui fit le monde s'est endormie.

Abandonnée dans l'Immensité elle sommeilla :

Une transmutation mauvaise s'empara

De ses membres jusqu'à ce qu'elle ne se reconnût plus.

Seulement, à travers son sommeil créateur voltigèrent

Des souvenirs fragiles de la joie et de la beauté attendues

Sous le rire bleu du ciel, parmi les écharpes vertes des arbres

Et les heureux gaspillages de parfums et de couleurs,

Dans le champ des promenades dorées du soleil

Et la veillée de la lumière de rêve des étoiles,

Parmi les hautes têtes méditatives des montagnes,

Sur le sein voluptueux de la terre baisée par la pluie

Et par les chutes saphirines de la mer.

Mais maintenant l'innocence première est perdue

Et la Mort et l'Ignorance gouvernent le monde mortel

Et le visage de la Nature se couvre d'une teinte plus grise.

La terre garde encore sa grâce et son charme anciens,

Grandeur et beauté sont encore siennes,

Mais l'Habitant divin est voilé.

Les âmes des hommes ont erré loin de la Lumière

Et la grande Mère détourne sa face.

Les yeux de la Félicité créatrice sont clos

Et le contact de la douleur l'a trouvée dans ses rêves.

 

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As she turns and tosses on her bed of Void,

Because she cannot wake and find herself

And cannot build again her perfect shape,

Oblivious of her nature and her state,

Forgetting her instinct of felicity,

Forgetting to create a world of joy,

She weeps and makes her creatures' eyes to weep ;

Testing with sorrow's edge her children's breasts,

She spends on life's vain waste of hope and toil

The poignant luxury of grief and tears.

In the nightmare change of her half-conscious dream,

Tortured herself and torturing by her touch,

She comes to our hearts and bodies and our lives

Wearing a hard and cruel mask of pain.

Our nature twisted by the abortive birth

Returns wry answers to life's questioning shocks,

An acrid relish finds in the world's pangs,

Drinks the sharp wine of grief's perversity.

A curse is laid on the pure joy of life:

Delight, God's sweetest sign and Beauty's twin,

Dreaded by aspiring saint and austere sage,

Is shunned, a dangerous and ambiguous cheat,

A specious trick of an infernal Power

It tempts the soul to its self-hurt and fall..

A puritan God made pleasure a poisonous fruit,

Or red drug in the market-place of Death,

And sin the child of Nature's ecstasy.

Yet every creature hunts for happiness,

Buys with harsh pangs of tears by violence

From the dull breast of the inanimate globe

Some fragment or some broken shard of bliss.

Even joy itself becomes a poisonous draught,

Its hunger is made a dreadful hook of Fate.

All means are held good to catch a single beam,

Eternity sacrificed for a moment's bliss:

Yet for joy and not for sorrow earth was made

And not as a dream in endless suffering Time.

Although God made the world for his delight,

An ignorant Power took charge and seemed his Will

And Death's deep falsity has mastered Life.

 

Tandis qu'elle se tourne et se retourne dans son lit de Vide,

Parce qu'elle ne peut pas s'éveiller et se retrouver

Et ne peut pas construire à nouveau sa forme parfaite,

Oublieuse de sa nature et de son état,

Négligeant son instinct de félicité,

Oubliant de créer un monde de joie,

Elle pleure et fait pleurer les yeux de ses créatures ;

Eprouvant avec le tranchant de sa douleur la poitrine de ses enfants,

Elle dépense dans le vain gaspillage d'espoir et de labeur de la vie

Un luxe poignant de souffrance et de larmes.

Dans le changement en cauchemar de son rêve à demi-conscient,

Torturée elle-même et torturant par son contact,

Elle vient à nos cœurs et nos corps et nos vies

Portant un masque de douleur cruel et dur.

Notre nature tordue par une naissance abortive

Donne des réponses tordues aux chocs des questions de la vie,

Trouve une saveur acide aux angoisses du monde,

Et boit le vin piquant de la perversité du chagrin.

Une malédiction s'étend sur la joie pure de la vie :

La Félicité, le plus doux signe de Dieu et la jumelle de la Beauté,

Redoutée par l'aspiration du saint et l'austérité du sage,

Est évitée comme une tromperie dangereuse et ambiguë,

Le truc spécieux d'un Pouvoir infernal

Qui tente l'âme à son propre dommage et à sa chute.

Un Dieu puritain a fait du plaisir un fruit empoisonné,

Ou une drogue rouge sur le marché de la Mort,

Et du péché l'enfant de l'extase de la Nature.

Pourtant chaque créature est en chasse du bonheur,

Achète avec de dures angoisses ou arrache par violence

De la sombre poitrine du globe inanimé

Quelque fragment ou quelque tesson cassé de félicité.

La joie elle-même devient une potion empoisonnée,

Sa faim devient un terrible crochet du Destin.

Tous les moyens sont bons pour attraper un seul rayon,

L'Eternité est sacrifiée pour la béatitude d'un moment :

Pourtant la terre fut faite pour la joie et non pour la peine

Et non comme un rêve dans un Temps de souffrance sans fin.

Quoique Dieu ait fait le monde pour Sa félicité,

Un Pouvoir ignorant en a pris charge et a semblé être Sa volonté

Et la profonde fausseté de la Mort a maîtrisé la Vie.

 

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All grew a play of chance simulating Fate.

 

A secret air of pure felicity

Deep like a sapphire heaven our spirits breathe;

Our hearts .and bodies feel its obscure call,

Our senses grope for it and touch and lose.

If this withdrew, the world would sink in the Void;

If this were not, nothing could move or live.

A hidden Bliss is at the root of things.

A mute Delight regards Time's countless works :

To house God's joy in things Space gave wide room,

To house God's joy in self our souls were born.

This universe an old enchantment guards;

Its objects are carved cups of World-Delight

Whose charmed wine is some deep soul's rapture-drink :

The All-Wonderful has packed heaven with his dreams,

He has made blank ancient Space his marvel-house;

He spilled his spirit into Matter's signs:

His fires of grandeur burn in the great sun,

He glides through heaven shimmering in the moon;

He is beauty carolling in the fields of sound;

He chants the stanzas of the odes of Wind ;

He is silence watching in the stars at night;

He wakes at dawn and calls from every bough,

Lies stunned in the stone and dreams in flower and tree.

Even in this labour and dolour of Ignorance,

On the hard perilous ground of difficult earth,

In spite of death and evil circumstance

A will to live persists, a joy to be.

There is a joy in all that meets the sense,

A joy in all experience of the soul,

A joy in evil and a joy in good,

A joy in virtue and a joy in sin:

Indifferent to the threat of karmic law,

Joy dares to grow upon forbidden soil,

Its sap runs through the plant and flowers of Pain:

It thrills with the drama of fate and tragic doom,

It tears its food from sorrow and ecstasy,

On danger and difficulty whets its strength ;

It wallows with the reptile and the worm

 

Tout devint le jeu d'un Hasard simulant le Destin.

 

Un air secret de félicité pure

Profond comme un ciel de saphir est respiré par nos esprits ;

Nos cœurs et nos corps sentent son appel obscur,

Nos sens tâtonnent à sa recherche, le touchent et le perdent.

Si cela se retirait, le monde sombrerait dans le Vide ;

Si cela n'était point, rien ne pourrait bouger ou vivre.

Une Félicité cachée est à la racine des choses.

Un Délice muet regarde les œuvres innombrables du Temps :

Pour loger la joie de Dieu dans les choses, l'Espace donna beaucoup de place,

Pour loger la joie de Dieu dans le moi nos âmes naquirent.

Cet univers garde un vieil enchantement ;

Ses objets sont les coupes sculptées de la Félicité du Monde

Dont le vin enchanté est la boisson délicieuse d'une âme profonde :

Le Tout-Merveilleux a rempli le ciel de ses rêves,

II a fait de l'ancien Espace vide, sa maison des merveilles ;

II répandit son esprit dans les signes de la Matière :

Ses feux de magnitude brûlent dans le grand soleil,

II glisse à travers le ciel, luisant dans la lune ;

II est la beauté gazouillant dans les champs du son ;

II chante les stances des odes du Vent ;

II est le silence veillant dans les étoiles la nuit ;

II s'éveille à l'aurore et appelle sur toutes les branches,

Se couche étourdi dans la pierre et rêve dans la fleur et dans l'arbre.

Même dans ce labeur et cette douleur de l'Ignorance,

Sur le sol dur et périlleux de la terre difficile,

En dépit de la mort et des circonstances mauvaises

Une volonté de vivre persiste, une joie d'être.

Il y a une joie dans tout ce qui rencontre les sens,

Une joie dans toute expérience de l'âme,

Une joie dans le mal et une joie dans le bien,

Une joie dans la vertu et une joie dans le péché :

Indifférente à la menace de la loi karmique,

La joie ose pousser sur un sol interdit,

Sa sève coule dans la plante et les fleurs de la Douleur :

Elle vibre au drame du destin et du sort tragique,

Elle arrache sa nourriture du chagrin et de l'extase,

Sur le danger et la difficulté elle aiguise sa force ;

Elle rampe avec le reptile et le ver

 

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And lifts its head, an equal of the stars ;

It shares the fairies' dance, dines with the gnome:

It basks in the light and heat of many suns,

The sun of Beauty and the sun of Power

Flatter and foster it with golden beams ;

It grows towards the Titan and the God.

On earth it lingers drinking its deep fill,

Through the symbol of her pleasure and her pain,

Of the grapes of Heaven and the flowers of the Abyss,

Of the flame-stabs and the torment-craft of Hell

And dim fragments of the glory of Paradise.

In the small paltry pleasures of man's life,

In his petty passions and joys it finds a taste,

A taste in tears and torture of broken hearts,

In the crown of gold and in the crown of thorns,

In life's nectar of sweetness and its bitter wine.

All being it explores for unknown bliss,

Sounds all experience for things new and strange.

Life brings into the earthly creature's days

A tongue of glory from a higher sphere:

It deepens in his musings and his Art,

It leaps at the splendour of some perfect word,

It exults in his high resolves and noble deeds,

Wanders in his errors, dares the abyss's brink,

It climbs in his climbings, wallows in his fall.

Angel and demon brides his chamber share,

Possessors or competitors for life's heart.

To the enjoyer of the cosmic scene

His greatness and his littleness equal are,

His magnanimity and meanness hues

Cast on some neutral background of the gods :

The Artist's skill he admires who made the plan,

But not for ever endures this danger game;

Beyond the earth, but meant for delivered earth,

Wisdom and joy prepare their perfect crown:

Truth superhuman calls to thinking man.

At last the soul turns to eternal things,

In every shrine it cries for the clasp of God.

Then is there played the crowning Mystery,

Then is achieved the longed-for miracle.

 

Et lève sa tête, en égale des étoiles ;

Elle prend part à la danse des fées, dîne avec les gnomes :

Elle se réchauffe à la lumière et à la chaleur de beaucoup de soleils,

Le soleil de la Beauté et le soleil du Pouvoir

La flattent et l'encouragent de leurs rayons d'or ;

Elle croît vers le Titan et le Dieu.

Sur terre, elle s'attarde à boire tout son soûl,

A travers le symbole de son plaisir et de sa peine,

Des raisins du Ciel et des fleurs de l'Abîme,

Des coups de poignards enflammés et de l'artifice du supplice de l'Enfer

Et des faibles fragments de la gloire du Paradis.

Dans les plaisirs mesquins et pitoyables de la vie humaine,

A ses passions et ses joies insignifiantes elle trouve du goût,

Du goût aux larmes et à la torture des cœurs brisés,

A la croix d'or et à la couronne d'épines,

Au nectar de la vie et à son vin amer.

Elle explore tout être pour trouver une félicité inconnue,

Elle sonde toute expérience à la recherche de choses nouvelles et étranges.

La vie apporte aux jours des créatures terrestres

Une langue de gloire venant d'une sphère plus haute :

Elle s'approfondit dans leurs rêveries et leur Art,

Elle s'élance vers la splendeur d'un mot parfait,

Elle exulte dans leurs résolutions élevées et leurs nobles actions,

S'égare dans leurs erreurs, ose boire à l'abîme,

Elle gravit leurs ascensions, se vautre dans leurs chutes.

Ange ou démon en fiancée partage leur chambre,

Possesseurs ou compétiteurs du cœur de la vie.

Pour celui qui jouit de la scène cosmique

Leur grandeur et leur petitesse sont égales,

Leur magnanimité et leur mesquinerie, des teintes

Jetées sur un fond neutre des dieux :

L'habileté de l'Artiste qui fit ce plan est admirée

Mais ce jeu dangereux n'est pas enduré pour toujours :

Au-delà de la terre, mais destinées à une terre délivrée,

La sagesse et la joie préparent leur couronne parfaite :

La Vérité surhumaine appelle l'homme pensant.

Enfin l'âme se tourne vers les choses éternelles,

Dans tous les sanctuaires elle crie pour l'étreinte de Dieu.

Alors se joue le Mystère suprême,

Alors est accompli le miracle tant désiré.

 

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Immortal bliss her wide celestial eyes

Opens on the stars, she stirs her mighty limbs;

Time thrills to the sapphics of her amour song

And Space fills with a white beatitude.

Then leaving to its grief the human heart,

Abandoning speech and the name-determined realms,

Through a gleaming far-seen sky of wordless thought,

Through naked thought-free heavens of absolute sight,

She climbs to the summits where the unborn Idea

Remembering the future that must be

Looks down upon the works of labouring Force,

Immutable above the world it made.

In the vast golden laughter of Truth's sun

Like a great heaven-bird on a motionless sea

Is poised her winged ardour of creative joy

On the still deep of the Eternal's peace.

This was the aim, this the supernal Law,

Nature's allotted task when beauty-drenched

In dim mist waters of inconscient sleep,

Out of the Void this grand creation rose, —

For this the Spirit came into the Abyss

And charged with its power Matter's unknowing Force,

In Night's bare session to cathedral light,

In Death's realm repatriate immortality.

A mystic slow transfiguration works.

All our earth starts from mud and ends in sky,

And Love that was once an animal's desire,

Then a sweet madness in the rapturous heart,

An ardent comradeship in the happy mind,

Becomes a wide spiritual yearning's space.

A lonely soul passions for the Alone,

The heart that loved man thrills to the love of God,

A body is his chamber and his shrine.

Then is our being rescued from separateness;

All is itself, all is new-felt in God:

A Lover leaning from his cloister's door

Gathers the whole world into his single breast.

Then shall the business fail of Night and Death:

When unity is won, when strife is lost

And all is known and all is clasped by Love

 

La félicité immortelle, ses grands yeux célestes

S'ouvrent sur les étoiles, elle réveille ses membres puissants ;

Le Temps tressaille aux saphiques de son chant d'amour

Et l'Espace se remplit d'une blanche béatitude.

Alors laissant le cœur humain à son chagrin,

Abandonnant la parole et les régions déterminées par le nom,

A travers le ciel miroitant vu de loin de la pensée sans mots,

A travers les deux nus libres de pensée, de la vision absolue,

Elle grimpe jusqu'aux sommets où l'Idée encore à naître

Se souvenant de l'avenir qui doit être

Regarde d'en haut les œuvres de la Force qui travaille,

Immuable au-dessus du monde qu'elle fît.

Dans le vaste rire doré du soleil de Vérité

Comme un grand oiseau du ciel sur une mer immobile

Est posée son ardeur ailée de joie créatrice

Sur la profondeur tranquille de la paix de l'Eternel.

Tel était le but, telle la Loi suprême,

La tâche assignée à la Nature quand ruisselant de beauté

Dans les eaux obscures de brume du sommeil inconscient,

I-lors du Vide cette grande création s'éleva, —

C'est pour cela que l'Esprit vint dans l'abîme

Et remplit de son pouvoir la Force ignorante de la Matière,

Dans les pauvres assises de la Nuit à la lumière principale

Dans la région de la Mort rapatrier l'immortalité.

Une lente transfiguration mystique est à l'œuvre.

Toute notre terre commence avec la boue et finit dans le ciel,

Et l'Amour qui fut une fois un désir de l'animal,

Puis une douce folie dans le ravissement du cœur,

Une ardente camaraderie dans le mental heureux,

Devient un espace de vaste aspiration spirituelle.

La passion d'une âme solitaire pour le Seul,

Le cœur qui aima l'homme tressaille à l'amour de Dieu,

Un corps est sa demeure et son sanctuaire.

Alors notre être est délivré de la séparation ;

Tout est lui-même, tout est nouvellement senti en Dieu :

Un Amant se penchant à la porte de son cloître

Rassemble le monde entier dans sa seule poitrine.

Alors faillira l'affaire de la Nuit et de la Mort :

Quand l'unité est gagnée, quand le conflit est perdu

Et que tout est connu et tout est saisi par l'Amour

 

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Who would turn back to ignorance and pain ?

O Death, I have triumphed over thee within;

I quiver no more with the assault of grief;

A mighty calmness seated deep within

Has occupied my body and my sense:

It takes the world's grief and transmutes to strength,

It makes the world's joy one with the joy of God.

My love eternal sits throned on God's calm;

For Love must soar beyond the very heavens

And find its secret sense ineffable;

It must change its human ways to ways divine,

Yet keep its sovereignty of earthly bliss.

O Death, not for my heart's sweet poignancy

Nor for my happy body's bliss alone

I have claimed from thee the living Satyavan,

But for his work and mine, our sacred charge.

Our lives are God's messengers beneath the stars;

To dwell under death's shadow they have come

Tempting God's light to earth for the ignorant race,

His Love to fill the hollow in men's hearts,

His bliss to heal the unhappiness of the world.

For I the Woman am the force of God,

He the Eternal's delegate sole in man.

My will is greater than thy law, O Death;

My love is stronger than the bonds of Fate:

Our love is the heavenly seal of the Supreme.

I guard that seal against thy rending hands.

Love must not cease to live upon the earth;

For Love is the bright link twixt earth and heaven,

Love is the far Transcendent's angel here;

Love is man's lien on the Absolute."

But to the woman Death the god replied,

With the ironic laughter of his voice

Discouraging the labour of the stars:

"Even so men cheat the Truth with splendid thoughts.

Thus wilt thou hire the glorious charlatan Mind,

To weave from his Ideal's gossamer air

A fine raiment for thy body's nude desires

And thy heart's clutching greedy passion clothe ?

Daub not the web of life with magic hues :

 

Qui retournerait à l'ignorance et à la douleur ?

Ô  Mort, j'ai triomphé sur toi au-dedans;

Je ne tremble plus des assauts du chagrin ;

Un calme puissant assis dans les profondeurs

A rempli mon corps et mes sens :

II prend la douleur du monde et la change en force,

II fait que la joie du monde devienne une avec la joie de Dieu.

Mon amour éternel est assis sur le trône du calme de Dieu,

Car l'Amour doit planer au-delà même des cieux

Et trouver le secret de son sens ineffable ;

II doit changer ses manières humaines en manières divines,

Et garder pourtant la souveraineté de sa béatitude terrestre.

Ô  Mort, non pour la douceur poignante de mon cœur

Ni pour le délice heureux de mon corps seul

Ai-je réclamé de toi Satyavan vivant,

Mais pour son œuvre et la mienne, notre charge sacrée.

Nos vies sont les messagères de Dieu sous les étoiles ;

Pour demeurer sous l'ombre de la mort, elles sont venues

Rendant la lumière de Dieu attrayante à la terre pour la race ignorante,

Son Amour pour remplir le creux dans le cœur des hommes,

Sa félicité pour guérir le malheur du monde.

Car moi, la Femme, je suis la force de Dieu,

Lui, le délégué de l'Eternel seul dans l'homme.

Ma volonté est plus grande que ta loi, ô Mort ;

Mon amour est plus fort que les liens du Destin,

Notre amour est le sceau céleste du Suprême.

Je garde ce sceau contre tes mains qui brisent.

L'Amour ne doit cesser de vivre sur la terre ;

Car l'Amour est le lien brillant entre la terre et le ciel.

L'Amour est ici l'ange du Transcendant lointain ;

L'Amour est le droit de rétention de l'homme sur l'Absolu."

Mais la Mort, le dieu, répondit à la femme,

Avec le rire ironique de sa voix

Qui décourage le labeur des étoiles :

"C'est ainsi que les hommes dupent la Vérité avec des pensées splendides.

Ainsi soudoieras-tu le charlatan Mental glorieux,

Pour qu'il tisse avec les fils de la Vierge de son Idéal

Un beau vêtement pour les désirs nus de ton corps

Et pour habiller la passion avide de ton cœur qui accroche.

Ne déguise pas la toile de la vie avec des nuances magiques :

 

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Make rather thy thought a plain and faithful glass

Reflecting Matter and mortality,

And know thy soul a product of the flesh,

A made-up self in the constructed world.

Thy words are large murmurs in a mystic dream.

For how in the soiled heart of man could dwell

The inarticulate grandeur of thy dream-built God,

Or who can see a face and form divine

In the naked two-legged worm thou callest man ?

O human face, put off mind-painted masks:

The animal be, the worm that Nature meant;

Accept thy futile birth, thy narrow life.

For truth is bare like stone and hard like death;

Bare in the bareness, hard with truth's hardness live."

But Savitri replied to the dire God:

"Yes, I am human. Yet shall man by me,

Since in humanity waits his hour the God,

Trample thee down to reach the immortal heights,

Transcending grief and pain and fate and death.

Yes, my humanity is a mask of God:

He dwells in me, the mover of my acts,

Turning the great wheel of his cosmic work.

I am the living body of his light,

I am the thinking instrument of his power,

I incarnate Wisdom in an earthly breast,

I am his conquering and unslayable Will.

The formless Spirit drew in me its shape;

In me are the Nameless and the secret Name."

Death from the incredulous Darkness sent its cry:

"O priestess in Imagination's house,

Persuade first Nature's fixed immutable laws

And make the impossible thy daily work.

How canst thou force to wed two eternal foes ?

Irreconcilable in their embrace

They cancel the glory of their pure extremes :

An unhappy wedlock maims their stunted force.

How shall thy will make one the true and false ?

Where Matter is all, there Spirit is a dream:

If all are the Spirit, Matter is a lie,

And who was the liar who forged the universe ?

 

Fais plutôt de ta pensée un miroir simple et fidèle

Reflétant la Matière et la mortalité,

Et connais ton âme comme un produit de la chair,

Un moi fabriqué dans un monde construit.

Tes mots sont de vastes murmures dans un rêve mystique.

Car comment dans le cœur sali de l'homme, pourrait demeurer

La grandeur inarticulée de ton Dieu issu d'un rêve,

Ou, qui peut voir une face et une forme divines

Dans le ver nu à deux jambes que tu appelles l'homme ?

Ô  face humaine, enlève ces masques peints par le mental :

Sois l'animal, le ver destiné par la Nature ;

Accepte ta naissance futile, ta vie étroite.

Car la vérité est nue comme la pierre et dure comme la mort ;

Nue dans la nudité, dure de la dureté de la vérité, vis."

Mais Savitri répondit au Dieu cruel :

"Oui, je suis humaine. Pourtant par moi l'homme,

Puisque dans l'humanité le Dieu attend son heure,

Te piétinera pour atteindre les sommets immortels,

Transcendant la douleur, la souffrance, le destin et la mort.

Oui, mon humanité est un masque sur Dieu :

II demeure en moi, l'auteur de mes actions,

Tournant la grande roue de son œuvre cosmique.

Je suis le corps vivant de sa lumière,

Je suis l'instrument pensant de son pouvoir,

J'incarne la Sagesse dans une poitrine humaine,

Je suis sa Volonté conquérante et indestructible.

L'Esprit sans forme dessina en moi sa figure ;

En moi sont le Sans-Nom et le Nom secret."

La Mort, de l'Obscurité incrédule, jeta son cri :

"Ô  prêtresse dans la maison de l'Imagination,

Persuade d'abord les lois fixes et immuables de la Nature,

Et fais de l'impossible ton travail quotidien.

Comment peux-tu forcer à se marier deux ennemis éternels ?

Irréconciliables dans leur étreinte

Ils annulent la gloire de leurs extrêmes purs :

Un hymen malheureux mutile leur force racornie.

Comment ta volonté peut-elle unir le vrai et le faux ?

Là où la Matière est tout, là l'Esprit est un rêve :

Si tout est l'Esprit, la Matière est un mensonge,

Et qui fut le menteur qui forgea l'univers ?

 

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The Real with the unreal cannot mate.

He who would turn to God, must leave the world;

He who would live in the Spirit, must give up life;

He who has met the Self, renounces self.

The voyagers of the million routes of mind

Who have travelled through Existence to its end,

Sages exploring the world-ocean's vasts,

Have found extinction the sole harbour safe.

Two only are the doors of man's escape,

Death of his body Matter's gate to peace,

Death of his soul his last felicity.

In me all take refuge, for I, Death am God."

But Savitri replied to mighty Death:

"My heart is wiser than the Reason's thoughts,

My heart is stronger than thy bonds, O Death.

It sees and feels the one Heart beat in all,

It feels the high Transcendent's sunlike hands,

It sees the cosmic Spirit at its work;

In the dim Night it lies alone with God.

My heart's strength can carry the grief of the universe

And never falter from its luminous track,

Its white tremendous orbit through God's peace.

It can drink up the sea of All-Delight

And never lose the white spiritual touch,

The calm that broods in the deep Infinite."

He said, "Art thou indeed so strong, O heart,

O soul, so free ? And canst thou gather then

Bright pleasure from my wayside flowering boughs,

Yet falter not from thy hard journey's goal,

Meet the world's dangerous touch and never fall?.

Show me thy strength and freedom from my laws."

But Savitri answered, "Surely I shall find

Among the green and whispering woods of Life

Close-bosomed pleasures, only mine since his,

Or mine for him, because our joys are one.

And if I linger, Time is ours and God's,

And if I fall, is not his hand near mine ?

 

Le Réel et l'irréel ne peuvent s'apparier.

Celui qui veut se tourner vers Dieu, doit laisser le monde ;

Celui qui veut vivre dans l'Esprit, doit abandonner la vie ;

Celui qui a trouvé le Soi, renonce au moi.

Les voyageurs des millions de routes du mental

Qui ont traversé l'Existence jusqu'au bout,

Les sages explorant les immensités des océans du monde,

Ont trouvé que l'extinction est le seul port sûr.

Il n'y a que deux portes à l'évasion de l'homme,

La mort de son corps, la porte de la Matière vers la paix,

La mort de son âme, sa félicité dernière.

En moi tous se réfugient, car moi, la Mort, je suis Dieu."

Mais Savitri répondit au puissant dieu de la Mort :

"Mon cœur est plus sage que les pensées de la Raison

...................................................................................*

II voit et sent le Cœur unique battre en tous,

II sent les mains ensoleillées du haut Transcendant.

Il voit l'Esprit cosmique à l'œuvre ;

Dans la nuit blafarde, il repose seul avec Dieu.

Mon cœur est assez fort pour porter la peine de l'univers

Et jamais ne s'écarte de sa voie lumineuse,

Sa formidable orbite blanche à travers la paix de Dieu.

Il peut boire entière la mer de Toute-Félicité

Sans jamais perdre le blanc contact de l'esprit,

Le calme qui couve dans l'Infini profond."

Il dit : "Es-tu vraiment si fort, ô cœur,

Ô  âme, si libre ? Ne peux-tu donc point cueillir

Un brillant plaisir à mes rameaux en fleur, le long du chemin,

Sans faillir au but de ton dur voyage,

Affronter le contact dangereux du monde sans jamais tomber ?

Montre-moi que tu es forte et libre de mes lois."

Mais Savitri répondit : "Sûrement je trouverai

Dans les bois de la vie verts et murmurants,

Des plaisirs proches du cœur, miens seulement parce qu'à lui

Ou miens pour lui, car notre joie est une.

Et si je m'attarde, le temps est à nous et à Dieu,

Et si je tombe, sa main n'est-elle pas près de la mienne ?

 

* Un vers manque dans la traduction dont le sens est le suivant :

Mon cœur est plus fort que tes chaînes, ô Mort.

 

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All is a single plan; each wayside act

Deepens the soul's response, brings nearer the goal."

Death the contemptuous Nihil answered her:

"So prove thy absolute force to the wise gods,

By choosing earthly joy ! For self demand

And yet from self and its gross masks live free.

Then will I give thee all thy soul desires,

All the brief joys earth keeps for mortal hearts.

Only the one dearest wish that outweighs all,

Hard laws forbid and thy ironic Fate.

My will once wrought remains unchanged through Time,

And Satyavan can never again be thine."

But Savitri replied to the vague Power:

"If the eyes of Darkness can look straight at Truth,

Look at my heart and, knowing what I am,

Give what thou wilt or what thou must, O Death.

Nothing I claim but Satyavan alone."

There was a hush as if of doubtful fates.

As one disdainful still who yields a point,

Death bowed his sovereign head in cold assent:

"I give to thee, saved from death and poignant fate

Whatever once the living Satyavan

Desired in his heart for Savitri.

Bright noons I give thee and unwounded dawns,

Daughters of thy own shape in heart and mind,

Fair hero sons and sweetness undisturbed

Of union with thy husband dear and true.

And thou shalt harvest in thy joyful house

Felicity of thy surrounded eves.

Love shall bind by thee many gathered hearts.

The opposite sweetness in thy days shall meet

Of tender service to thy life's desired

And loving empire over all thy loved,

Two poles of bliss made one, O Savitri.

Return, O child, to thy forsaken earth."

But Savitri replied, "Thy gifts resist.

Earth cannot flower if lonely I return."

Then Death once more sent forth his angry cry,

As chides a lion his escaping prey:

"What knowest thou of earth's rich and changing life

 

Tout est un plan unique : chaque acte fortuit

Approfondit la réponse de l'âme, amène plus près du but."

La Mort, Néant méprisant, lui répondit :

"Prouve donc aux dieux sages ta force absolue,

En choisissant les joies terrestres ! Demande pour toi

Tout en vivant libre de toi et de ses masques grossiers.

Alors je te donnerai tout ce que ton âme désire,

Toutes ces brèves joies que la terre offre aux cœurs mortels.

Mais le seul vœu le plus cher qui l'emporte sur tout,

De dures lois l'interdisent et ton ironique Destin.

Une fois décrétée, ma volonté reste immuable pour les temps,

Et plus jamais Satyavan ne sera tien."

Mais Savitri répondit à cette vague Puissance :

"Si les yeux de l'Obscurité peuvent regarder tout droit la Vérité,

Regarde mon cœur, et, sachant qui je suis,

Donne ce que tu veux ou ce que tu dois, ô Mort.

Je ne réclame rien que Satyavan."

Il y eut le silence des destins incertains.

Comme celui, encore dédaigneux, qui cède un point,

La Mort inclina sa tête souveraine dans un consentement glacé :

"Je te donne, délivré de la Mort et de la fatalité poignante,

Tout ce qu'autrefois Satyavan vivant

Désira dans son cœur pour Savitri.

Je te donne les midis étincelants et les aurores sans blessures,

Des filles à l'image de ton cœur et de ta pensée,

Des fils héroïques et beaux, et la douceur sans trouble

D'une union avec ton époux cher et fidèle,

Et tu récolteras dans ta maison joyeuse

La félicité des soirées familiales.

Pour toi, l'amour liera beaucoup de cœurs rassemblés.

Dans tes jours, se rencontreront les douceurs opposées

Du tendre service à ta vie dont l'empire

Est désiré et aimé par tous ceux aimés de toi,

Deux pôles de béatitude en un seul, ô Savitri.

Retourne, ô enfant, à ta terre abandonnée."

Mais Savitri répondit: "Garde tes dons.

La terre ne peut fleurir si j'y retourne seule."

Alors la Mort, une fois de plus, poussa un cri furieux,

Comme le lion gronde après la proie qui lui échappe :

"Que sais-tu de la vie riche et changeante de la terre,

 

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Who thinkest that, one man dead, all joy must cease ?

Hope not to be unhappy till the end:

For grief dies soon in the tired human heart;

Soon other guests the empty chambers fill.

A transient painting on a holiday's floor

Traced for a moment's beauty love was made.

Or if a voyager on the eternal trail,

Its objects fluent change in its embrace

Like waves to a swimmer upon infinite seas."

But Savitri replied to the vague god,

"Give me back Satyavan, my only Lord.

Thy thoughts are vacant to my soul that feels

The deep eternal truth in transient things."

Death answered her, "Return and try thy soul!

Soon shalt thou find appeased that other men

On lavish earth have beauty, strength and truth,

And when thou hast half forgotten, one of these

Shall wind himself around thy heart that needs

Some human answering heart against thy breast;

For who, being mortal, can dwell glad alone ?

Then Satyavan shall glide into the past,

A gentle memory pushed away from thee

By new love and thy children's tender hands,

Till thou shalt wonder if thou lov'dst at all.

Such is the life earth's travail has conceived,

A constant stream that never is the same."

But Savitri replied to mighty Death :

"O dark ironic critic of God's work,

Thou mockst the mind and body's faltering search

For what the heart holds in a prophet hour

And the immortal spirit shall make its own.

Mine is a heart that worshipped, though forsaken,

The image of the god its love adored;

I have burned in flame to travel in his steps.

Are we not they who bore vast solitude

Seated upon the hills alone with God ?

Why dost thou vainly strive with me, O Death,

A mind delivered from all twilight thoughts,

To whom the secrets of the gods are plain ?

For now at last I know beyond all doubt

 

Toi qui crois que toute joie doit cesser quand un homme meurt ?

N'espère pas être triste jusqu'à la fin :

Car la douleur meurt vite dans le cœur humain fatigué ;

Bientôt d'autres hôtes emplissent les chambres vides.

Peinture éphémère sur un sol de fête

Tracée pour un moment de beauté, l'amour fut créé.

Ou, tel un voyageur sur la piste éternelle,

Ce qu'il embrasse coule et change

Comme pour le nageur, les vagues sur les mers infinies."

Mais Savitri répondit au dieu sans consistance :

"Rends-moi Satyavan, mon seul Seigneur.

Tes pensées sont vides pour mon âme qui sent

La profonde vérité éternelle des choses qui passent."

La Mort lui répondit : "Retourne et fais l'épreuve de ton âme !

Bientôt, apaisée, tu trouveras que d'autres hommes

Sur la terre généreuse, ont beauté, force et vérité,

Et quand tu auras à demi oublié, l'un d'eux

S'enroulera autour de ton cœur qui cherche

La réponse humaine d'un cœur contre ta poitrine ;

Car, chez les mortels, qui peut rester heureux en étant seul ?

Alors Satyavan glissera dans le passé

Aimable mémoire repoussée de toi

Par un nouvel amour et les tendres mains de tes enfants,

Puis tu t'étonneras d'avoir jamais aimé.

Telle est la vie enfantée par le travail de la terre,

Un flot constant qui n'est jamais le même."

Mais Savitri répondit à la Mort redoutable :

"Ô  sombre critique ironique de l'œuvre de Dieu,

Tu te moques de la quête maladroite du mental et du corps

De cela que le cœur saisit dans une heure prophétique

Et que l'esprit immortel fera sien.

Mon cœur est de ceux qui, même abandonnés, rendent un culte

A l'image du Dieu que leur amour adore;

J'ai brûlé comme une flamme à suivre ses pas.

Ne sommes-nous pas ceux qui ont porté la vaste solitude

Assis sur les sommets seuls avec Dieu ? /

Pourquoi te mesures-tu en vain avec moi, ô Mort,

Un mental délivré de toute pensée crépusculaire,

Pour qui les secrets des dieux sont clairs ?

Car maintenant je sais enfin, par-delà tous les doutes,

 

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The great stars burn with my unceasing fire

And life and death are both its fuel made.

Life only was my blind attempt to love:

Earth saw my struggle, heaven my victory;

All shall be seized, transcended; there shall kiss

Casting their veils before the marriage fire

The eternal bridegroom and eternal bride.

The heavens accept our broken flights at last.

On our life's prow that breaks the waves of Time

No signal light of hope has gleamed in vain."

She spoke ; the boundless members of the god

As if by secret ecstasy assailed

Shuddered in silence as obscurely stir

Ocean's dim fields delivered to the moon.

Then lifted up as by a sudden wind

Around her in that vague and glimmering world

The twilight trembled like a bursting veil.

Thus with armed speech the great opponents strove.

Around those spirits in the glittering mist

A deepening half-light fled with pearly wings

As if to reach some far ideal Morn.

Outlined her thoughts flew through the gleaming haze

Mingling bright-pinioned with its lights and veils

And all her words like dazzling jewels, caught

Into the glow of a mysterious world

Or tricked in the rainbow shifting of its hues,

Like echoes swam fainting into far sound.

All utterance, all mood must there become

An unenduring tissue sewn by mind

To make a gossamer robe of beautiful change.

Intent upon her silent will she walked

On the dim grass of vague unreal plains,

A floating veil of visions in her front,

A trailing robe of dreams behind her feet.

But now her spirit's flame of conscient force

Retiring from a sweetness without fruit

Called back her thoughts from speech to sit within

In a deep room in meditation's house.

For only there could dwell the soul's firm truth:

Imperishable, a tongue of sacrifice,

 

Que les grandes étoiles brûlent de mon feu incessant

Et que la vie et la mort sont toutes deux ses combustibles.

La vie seule fut mon essai aveugle d'amour :

La terre vit ma lutte, le ciel ma victoire ;

Tout sera saisi, transcendé ; alors s'embrasseront

Rejetant leurs voiles devant le feu des épousailles

L'éternel époux et l'éternelle épouse.

Les cieux acceptent enfin nos vols brisés.

Sur la proue de nos vies qui coupe les vagues du Temps

Le signal d'aucun feu d'espoir ne brille en vain."

Elle dit. Les membres innombrables du dieu

Assaillis par une extase secrète

Tressaillirent en silence comme se soulèvent obscurément

Les champs pâles de l'océan offerts à la lune.

Alors, soulevé comme par un vent soudain,

Autour d'elle dans ce monde vague et clignotant

Le crépuscule trembla tel un voile qui se déchire.

Ainsi, avec des paroles de défi, les grands adversaires s'affrontaient.

Autour de ces esprits, dans la brume scintillante,

Un demi-jour grandissant s'enfuit avec des ailes perlées,

Comme pour atteindre au loin un Matin idéal.

Silhouettées, ses pensées s'envolèrent dans la brume scintillante

Mélangeant leurs ailerons brillants aux lumières et aux voiles

Et toutes ses paroles, tels des joyaux étincelants, attrapées

Dans le rayonnement d'un monde mystérieux

Ou subtilisées dans les nuances d'arc-en-ciel changeant

Flottaient, échos s'évanouissant en sons lointains.

Là, tout ce qui se dit, tout ce qui se sent devient

Une trame éphémère tissée par le mental

Pour faire une robe arachnéenne de changeante beauté.

Absorbée dans sa volonté silencieuse elle marchait

Sur l'herbe incertaine de plaines vagues et irréelles,

Un voile de visions flottant devant elle,

Une robe de rêves traînant derrière ses pas.

Mais maintenant, la flamme, force consciente de son esprit

Se retirant d'une douceur sans fruit

Rappela ses pensées de toute parole pour s'asseoir au-dedans

Dans une chambre profonde de la maison de méditation.

Car là seulement réside la ferme vérité de l'âme :

Impérissable langue de sacrifice,

 

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It flamed unquenched upon the central heart

Where burns for the high house-lord and his mate

The homestead's sentinel and witness fire

From which the altars of the gods are lit.

All still compelled went gliding on unchanged,

Still was the order of these worlds reversed:

The mortal led, the god and spirit obeyed

And she behind was leader of their march

And they in front were followers of her will.

Onward they journeyed through the drifting ways

Vaguely companioned by the glimmering mists;

But faster now all fled as if perturbed

Escaping from the clearness of her soul.

A heaven-bird upon jewelled wings of wind

Borne like a coloured and embosomed fire,

By spirits carried in a pearl-hued cave,

On through the enchanted dimness moved her soul.

Death walked in front of her and Satyavan,

In the dark front of death, a failing star.

Above was the unseen balance of his fate.

 

Elle flambe inextinguible au foyer central

Où brûle pour le haut seigneur du lieu et sa compagne

Le feu sentinelle et témoin de la demeure

D'où s'allument les autels des dieux.

Tout restait contraint, continuant à glisser sans changement,

Pourtant l'ordre de ces mondes était renversé :

Le mortel conduisait, le dieu et l'esprit obéissaient

Et elle, derrière, dirigeait leur marche

Et eux, devant, suivaient sa volonté.

Ils allaient de l'avant par les chemins en dérive

Accompagnés vaguement par les brouillards scintillants ;

Mais plus vite maintenant tout s'enfuit comme troublé

Se sauvant devant la clarté de son âme.

Oiseau céleste sur les ailes de pierreries du vent,

Porté comme un feu de couleur, blotti,

Emportée par des esprits dans une grotte aux teintes de perles,

Son âme avançait à travers la pénombre enchantée.

La mort marchait devant elle, et Satyavan,

Dans l'obscurité devant la mort, étoile qui s'évanouit.

Au-dessus se trouvait l'invisible balance de son destin.

 

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