CWM (Fre) Set of 18 volumes
Entretiens - 1955 Vol. 7 of CWM (Fre) 477 pages 2008 Edition
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Entretiens - 1955 19 tracks  

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Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur trois œuvres de Sri Aurobindo : Les Bases du Yoga, Le Cycle humain et La Synthèse des Yogas ; et sur une de ses pièces de théâtre, Le Grand Secret.

Entretiens - 1955

The Mother symbol
The Mother

Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur trois œuvres de Sri Aurobindo : Les Bases du Yoga, Le Cycle humain et La Synthèse des Yogas ; et sur une de ses pièces de théâtre, Le Grand Secret.

Collection des œuvres de La Mère Entretiens - 1955 Vol. 7 477 pages 2008 Edition
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Entretiens - 1955

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Le 16 mars 1955

Cet Entretien se rapporte au chapitre V de Les Bases du Yoga, « La conscience physique, le subconscient, le sommeil et les rêves, la maladie ». Ce soir, la lecture s’achève sur les lignes suivantes :

« C’est principalement à cause du subconscient que tout va se répétant et que jamais rien ne change qu’en apparence. C’est pourquoi les gens disent que le caractère ne peut être transformé, et c’est aussi la cause du constant retour de choses dont on espérait être débarrassé pour toujours. [...] De plus, tout ce qui est réprimé, mais pas complètement rejeté, s’y enfonce et y demeure comme des graines prêtes à monter à la surface ou à germer à la première occasion. »

Mais ce n’est pas sans espoir; parce que si c’était sans espoir, jamais nous ne pourrions obtenir la transformation physique. Voilà. Maintenant, questions.

Douce Mère, comment faut-il rejeter quelque chose du vital pour que cela n’entre pas dans la subconscience?

Ah!

Il y a une grande différence entre repousser une chose simplement parce qu’on n’en veut pas, et changer la condition de sa conscience qui fait que cette chose devient totalement étrangère à votre nature. D’habitude, quand on a un mouvement dont on ne veut pas, on le chasse, on le repousse, mais on ne prend pas la précaution de trouver en soi ce qui a servi et ce qui sert encore de soutien à ce mouvement, la tendance spéciale, le pli de conscience qui fait que cette chose est capable d’entrer dans la conscience. Si au contraire, au lieu simplement de faire un mouvement de réprobation et de rejet, on entre profondément dans sa conscience vitale et qu’on trouve le support, c’est-à-dire comme une petite vibration spéciale qui est enfouie très profondément dans un coin, souvent dans un coin si obscur qu’on a de la difficulté à la trouver là ; si on part en chasse, c’est-à-dire si on s’intériorise, si on se concentre, si on suit comme à la piste ce mouvement jusqu’à son origine, on trouve quelque chose comme un tout petit serpent lové, quelque chose, quelquefois, de tout petit, pas plus grand qu’un pois, mais qui est très noir et enfoncé très fort.

Et alors, il y a deux procédés : ou mettre une lumière tellement intense, la lumière d’une Conscience de Vérité tellement forte, que ça sera dissous; ou bien attraper ça comme avec une pince, le tirer de l’endroit où ça se trouve et le mettre en face de sa conscience. Le premier procédé est radical, mais on n’a pas toujours à sa disposition cette Lumière de Vérité, alors on ne peut pas toujours l’employer. Le second procédé, on peut le prendre, mais ça fait mal, ça fait un mal aussi grand que si on vous arrache une dent; je ne sais pas si on vous a jamais arraché une dent, mais ça fait aussi mal que ça, et ça fait mal là, comme ça (Mère indique le centre de la poitrine et fait un mouvement de torsion). Et généralement, on n’est pas très courageux. Quand ça fait très mal, eh bien, on essaye d’effacer ça comme ça (geste), et c’est pour cela que les choses persistent. Mais si on a le courage de le prendre et de tirer jusqu’à ce que ça soit là et de le mettre en face de soi, même si ça fait très, très mal... alors le tenir comme ça (geste), jusqu’à ce qu’on puisse voir clair, et puis le dissoudre, alors c’est fini. La chose ne se cachera plus jamais dans le subconscient et ne reviendra jamais plus vous ennuyer. Mais c’est une opération radicale. Il faut le faire comme une operation

Il faut d’abord avoir beaucoup de persévérance dans la recherche, parce que généralement quand on se met à la recherche de ces choses, le mental vient donner cent et une explications favorables pour que vous n’ayez pas besoin de chercher. Il vous dit : « Mais non, ce n’est pas du tout votre faute; c’est ceci, c’est cela, ce sont les circonstances, ce sont les gens, ce sont des choses reçues du dehors » — toutes sortes d’excellentes excus es, ce qui fait qu’à moins que vous ne soyez très ferme dans votre résolution, vous laissez aller et puis c’e st fini; et alors au bout de quelque temps toute l’affaire est à recommencer, l’impulsion mauvaise ou la chose dont vous ne vouliez pas, le mouvement dont vous ne vouliez pas revient, et alors il faut tou t recommencer, jusqu’au jour où vous aurez décidé de faire l’opération. Quand l’opération est faite, c’est fini, on est libre. Mais, comme je dis, il faut se méfier des explications mentales, parce que chaque fois on dit : « Oui, oui, les autres fois c’était comme ça, mais cette fois-ci vraiment, vraiment ce n’est pas ma faute, ce n’est pas ma faute. » Voilà. Alors c’est fini, c’est à recommencer. Le subconscient est là, la chose descend, reste là, très confortable, et le premier jour où vous n’êtes pas sur vos gardes, hop ! ça remonte et ça peut durer; j’ai connu des gens pour qui ça avait duré plus de trente-cinq ans, pa rce qu’ils n’avaient pas résolu une seule fois de faire ce qu’il fallait.

Oui, ça fait mal, ça fait un peu m al, c’est tout; après c’est fini. Voilà.

Rien?... Personne n’a rien à dire ? Toi, non? Tu as quelque chose à demander? Toi?

Hors du sujet.

Hors du sujet? Ce sujet comporte tout. Alors comment cela peut-il être hors du sujet? Le subconscient, on nous a dit, c’ est universel.

Mère, quand on est ici, et qu’on suit le yoga intégral, ici, n’est-ce pas...

« On est ici », ça veut dire « on est à l’Ashram » ou « on est dans la classe »? Dans la classe? Non! (rires)

Nous sommes dans la classe et à l’Ashram aussi.

Ah bon! Alors?

Est-ce que c’est sûr que dans la prochaine vie aussi on sera ici, à l’Ashra m? Ou bien est-ce qu’on s’en ira quelque part pour d’autres expériences?

Ça dépend des cas. D’abord q u’est-ce que tu appelles la prochaine vie? C’est-à-dire les gens qui ont laissé leur corps et qui en pren dront un autre?

Oui.

Mai s cela dépend absolument de la condition dans laquelle ils sont morts et de leur dernier vœu, et de la ré solution du psychique. Ce n’est pas une chose mécanique ou forcée, c’est pour chacun différent.

Je vou s ai déjà dit beaucoup de fois que, pour le destin qui suit la mort, le dernier état de conscience est gene ralement le plus important. C’est-à-dire que si au moment de mourir on a cette aspiration intense de revenir continuer son œuvre, alors les conditions s’arrangent pour que ça puisse se faire. Mais il y a tout es les possibilités, pour ce qui se passe après la mort. Il y a des gens qui retournent dans le psychique. N’est-ce pas, je vous ai dit que l’être extérieur, c’est très rare qu’il se conserve; alors nous parlons seulement de la conscience psychique qui, elle, persiste toujours. Et alors il y a des gens pour qui le psychique retourne dans le domaine psychique pour assimiler l’expérience qu’ils ont eue et préparer leur vie future. Ça peut prendre des siècles, cela dépend des gens.

Plus le psychique est évolué, plus il est près de sa complète maturité, plus il y a de temps entre les naissances. Il y a des êtres qui ne se réincarnent qu’après mille ans, deux mille ans.

Plus on est au début de la formation, plus les réincarnations sont proches; et quelquefois même, tout à fait au degré inférieur, quand on est tout près de l’animal, ça fait comme ça (geste), c’est-à-dire qu’il n’est pas rare que les gens se réincarnent dans les enfants de leurs enfants, comme ça, quelque chose comme ça, ou juste la génération suivante. Mais ça, c’est toujours un degré d’évolution très primitif, et l’être psychique n’est pas très conscient, il est en état de formation. Et à mesure qu’il est plus développé, les réincarnations, comme je dis, s’éloignent l’une de l’autre. Quand l’être psychique est totalement développé, qu’il n’a plus besoin de revenir sur la terre pour son développement, qu’il est absolument libre, il a le choix entre ne plus revenir sur terre s’il trouve que son travail est ailleurs, ou s’il aime mieux rester dans la conscience purement psychique, sans réincarnation; ou bien il peut venir quand il veut, comme il veut, où il veut, parfaitement consciemment. Et il y en a qui se sont unis avec des forces d’ordre universel et des entités de l’Overmind 4 ou d’ailleurs, qui restent tout le temps dans l’atmosphère terrestre et qui prennent des corps successivement pour le travail. Ce qui fait que de la minute où l’être psychique est complètement formé, et absolument libre — quand il est complètement formé, il devient absolument libre —, il peut faire tout ce qu’il veut, cela dépend de ce qu’il choisit; par conséquent on ne peut pas dire : « Ça sera comme ceci, ça sera comme cela »; il fait exactement ce qu’il veut et il peut même (c’est arrivé) annoncer, au moment de la mort du corps, quelle sera sa prochaine réincarnation et ce qu’il fera, et choisir déjà ce qu’il va faire. Mais avant cet état-là, qui n’est pas très fréquent — cela dépend absolument du degré de développement du psychique et de l’espoir formulé par la conscience intégrale de l’être —, il y a encore la conscience mentale, vitale et physique, unie à la conscience psychique; alors à ce moment-là, au moment de la mort, au moment de quitter le corps, il formule un espoir, ou une aspiration ou une volonté, et généralement cela décide de la vie future.

Alors on ne peut pas poser une question, dire : « Qu’est-ce qui se passe et qu’est-ce qu’il faut faire? » Toutes les choses possibles se passent, et tout peut être fait.

Chacun a un cas dans l’esprit : il pose une question générale, mais dans son esprit c’est une question tout à fait particulière; mais ça, ce sont des choses dont on ne discute pas en public.

(Mère se tourne vers Pavitra) Pavitra, vous avez une question? (Pavitra répond qu’il n’en a pas) Ah! c’est dommage!

Mère, ici on dit que la Lumière de la Vérité n’est pas toujours à la disposition...

Elle est toujours là ; mais on ne peut pas toujours s’en servir.

Mais si...

Elle est toujours là ; elle est partout; mais elle n’est pas à votre disposition dans le sens que vous ne savez pas vous en servir.

Mais si on allait à toi la demander?

Ah ! mais il ne faut pas faire des questions personnelles. Naturellement si vous me demandez : « Qu’est-ce que moi, je dois faire? » — n’importe lequel d’entre vous —, je vous dirai : « Mes enfants, c’est très facile, vous n’avez qu’à m’appeler, et puis quand vous sentez le contact, eh bien, vous le mettez dessus jusqu’à ce que cette partie ait compris. »

Mais là aussi il faut savoir, ça fait un peu mal, je vous préviens, parce que c’est accroché quelque part, et pour le décrocher il faut avoir du courage; et quand vous mettez la Lumière de Vérité, eh bien, ça brûle, quelquefois ça cuit, n’est-ce pas, il faut savoir supporter cela. Il faut que la sincérité soit suffisante pour... au lieu de se refermer comme ça et dire : « Oh ! ça fait mal », il faut s’ouvrir tout grand et recevoir en plein.

Il y a des gens qui ont toutes sortes de petites choses comme ça dans leur cerveau, des petites choses noires. Il y a des gens qui l’ont ici (Mère indique le cœur), il y a des gens qui l’ont plus bas, pour chacun ça dépend, mais pour chacun c’est la même chose, c’est toujours... je dis cela parce que c’est très remarquable que, si on fait le travail — qui que ce soit —, le résultat est toujours le même; où que ce soit, je dis, ou dans la tête ou dans la poitrine ou dans tous les centres de conscience, si on pousse l’investigation assez loin, de proche en proche, de proche en proche, inlassablement, on arrive toujours à quelque chose; ça fait de loin l’effet d’un petit pois... comme les petits pois... un petit pois noir; mais si on s’approche assez attentivement (cela dépend du degré de concentration), on s’aperçoit que c’est comme un tout petit... un serpent qui a la dimension d’un microbe, mais c’est tout petit, tout lové comme ça, roulé sur lui-même comme ça. Alors on le prend par la queue — et on tire.

Douce Mère, est-ce qu’il y a autant de serpents que de mauvais mouvements?

Oui, justement! (rires) Ça fait beaucoup, toute une armée. Quand c’est dans la tête c’est ennuyeux, parce que c’est encore plus difficile de les découvrir, et on est si plein de fausses idées que c’est très difficile de mettre de l’ordre là-dedans. Là où c’est le plus facile à découvrir et à guérir, c’est ici (Mère indique le centre de la poitrine), mais c’est là où ça fait le plus mal ; c’est pourtant l’endroit où on le trouve le mieux et où on le guérit le plus radicalement. Plus bas dans le vital, c’est plus obscur et embrouillé. C’est assez embrouillé. C’est tout mélangé et il y en a beaucoup — quand il y en a, il y en a beaucoup. Il faut mettre de l’ordre d’abord avant de trouver. Il y en a qui sont entrelacés comme ça (geste). Par exemple, il y a beaucoup de gens qui ont une tendance à s’emporter — tout d’un coup ça s’empare d’eux, pouf! ils entrent dans une colère terrible —, c’est là qu’il faut chercher la cause; et là c’est tout embrouillé, comme ça, tout mélangé, et il faut aller très profond et très vite, parce que ça se répand avec la rapidité d’une inondation; et quand c’est répandu, alors c’est toute une masse de... comme de fumée noire qui monte et qui alourdit la conscience, et c’est très, très difficile de mettre de l’ordre là-dedans. Mais quand on sent que la fureur va monter, si on se précipite immédiatement là, comme ça, dans le centre vital, et qu’on y va avec une torche qui éclaire bien, on peut trouver le coin. Si on trouve le coin, hop! on fait comme ça, on s’en empare et c’est fini, la colère tombe instantanément, avant même qu’on ait eu le temps d’exprimer un mot. Je donne cet exemple, il y en a des centaines d’autres. Toutes les affaires de sentiment, d’amourpropre, d’ambition, de passion — de passion... oui, mais enfin pas de passion purement matérielle, je veux dire (je n’aime pas employer le mot parce que c’est un travestissement, mais enfin...) ce que les hommes appellent l’amour —, tout ça, c’est là qu’on le trouve, tous les attachements, toutes les sentimentalités, tout ça, c’est là-dedans.

Et dans la tête?

Ah! dans la tête, c’est toutes les perversions des pensées, toutes les trahisons — les trahisons, il y en a une quantité formidable : on trahit son âme si souvent et d’une façon si persistante, c’est effrayant —, toutes les décisions, les points de vue et puis les explications favorables, comme je vous disais, et puis une espèce d’habitude de critiquer... Ce que l’on ne veut pas écouter, quand il y a quelque chose de supérieur qui vous fait sentir votre faute, il y a cette habitude de trouver immédiatement une explication et une critique sévère soit de l’idée, soit de la pensée; ou bien alors il y a des gens qui tournent cela en ridicule; il y a des gens qui immédiatement opposent à cela une autre idée ou un lieu commun quelconque. Vous n’imaginez pas le bazar qu’il y a dans la tête! C’est quelque chose de terrible. Si vous regardiez vraiment objectivement ce qui se passe là-dedans, c’est effrayant — avant de mettre de l’ordre, de voir clair, d’arranger tout ça, de faire que deux idées contradictoires ne puissent pas être parallèles.

Je connais une quantité considérable de gens qui abritent dans leur cerveau des idées opposées, non pas organisées en synthèse (il n’est pas question de synthèse pour eux), mais comme... une cohabitation presque fraternelle entre des choses qui se contredisent mortellement, c’est-à-dire des idées qui ne peuvent pas cohabiter. Vous pouvez les arranger dans une vaste synthèse, mais ça c’est un travail d’ordre supérieur; mais deux choses, deux idées, n’est-ce pas, qui ont des conséquences actives absolument contradictoires et qui sont des explications absolument contradictoires du même fait... et ces deux choses sont là, elles sont parallèles, elles sont quelquefois même si proches qu’on a l’impression qu’elles sont jointes et qu’elles cohabitent sans être gênées par le ridicule de leur association.

Il faudra un jour que je vous donne une série d’exemples. Je vous dis ça très souvent, je ne vous ai jamais donné d’exemples; mais un jour je vous ramasserai une quantité d’exemples, et puis je vous les donnerai. Vous verrez ça ; si ce n’était pas triste, ce serait drôle. La majorité des gens qui ont ça, ne s’en aperçoivent même pas, cela ne les gêne pas. Si vous avez des idées sur les choses — vous devez bien avoir quelques idées sur les choses, sur le monde, sur la vie, sur la raison d’être de l’existence, sur le but de l’existence, sur la réalisation future; enfin vous avez bien des idées —, eh bien, essayez ce petit jeu-là un jour, de mettre toutes les idées en face de vous, comme ça, et puis de les arranger; vous verrez comme ce sera facile, et vous vous amuserez peut-être; vous trouverez des choses surprenantes.

Déjà, rien que le travail, rien que ce travail d’exposition, de les mettre simplement l’une à côté de l’autre en face de vous, toutes les idées que vous avez sur un sujet quelconque, comme si vous étiez obligé de les écrire dans un devoir — n’est-ce pas, une rédaction qu’on vous demande : « Que pensez-vous de telle chose, de tel sujet? » et vous êtes obligé d’en faire la rédaction —, mettez toutes les idées l’une à côté de l’autre, vous verrez, ce sera drôle. À moins que vous n’ayez eu l’habitude d’avoir une idée centrale, si possible une vérité centrale immuable, autour de laquelle vous arrangez toutes les idées, vous les organisez dans un ordre logique avec la relation qui convient entre chacune d’elles, chacune à sa place, et vous en faites une espèce de monument — si vous n’avez jamais fait cela et que vous essayiez de lire dans votre mental, vous y verrez vraiment quelque chose... enfin je vous dis : si ce n’était pas triste, ce serait très drôle. On ne peut pas s’imaginer à quel point on peut, dans l’espace d’une heure, penser les choses les plus contradictoires et sans étonnement.

C’est un bon travail de faire ça : voilà, je vais écrire un petit essai sur « Quel est... (prenez celui-là, prenez n’importe lequel, ça ne fait rien), quel est le but vers quoi tend la vie? », ou bien « Quelle est la raison d’être de l’existence sur terre? », ou bien « Pourquoi les hommes naissent-ils pour mourir? » — n’importe quoi, vous prenez des choses comme ça. Je ne dis pas de prendre « Pourquoi vous avez joué au football aujourd’hui et jouerez au basket-ball demain », non, pas des choses comme ça, parce que ça, vous pourrez toujours les expliquer. Je vous parle des choses un peu plus générales. Mettez cela en face de vous et puis alignez les idées que vous avez sur le sujet, vous verrez, ce sera drôle.

Parfois on a des idées en lisant un texte. Alors, Douce Mère, comment distinguer l’idée d’autrui et celle qu’on a soi-même?

Oh! ça, ça n’existe pas, l’idée d’autrui et son idée à soi. Personne n’a des idées à soi : c’est une immensité dans laquelle on puise selon son affinité personnelle; les idées, c’est une possession collective, un bien collectif.

Seulement il y a différents étages. Il y a l’étage le plus commun, celui dans lequel baignent tous nos cerveaux ; ça, ça grouille ici, ça c’est l’étage de « Monsieur Tout-le-monde ». Et puis alors, il y a un étage un petit peu supérieur pour les gens qu’on appelle des penseurs. Et puis il y a encore des étages supérieurs — beaucoup —, il y en a qui sont au-delà des mots, mais qui sont encore le domaine des idées. Et alors il y a ceux qui sont capables de filer jusque là-haut, d’attraper quelque chose qui ressemble à une lumière et de le faire descendre avec tout son bagage d’idées, tout son bagage de pensées. Une idée d’un domaine supérieur, si on la tire, elle s’organise, elle se cristallise dans une quantité considérable de pensées, qui peuvent exprimer cette idée-là d’une façon différente; et puis alors, si vous êtes un écrivain ou un poète ou un artiste, quand vous la faites descendre encore plus bas, vous pouvez avoir toutes sortes d’expressions qui sont extrêmement variées et choisies autour d’une seule petite idée, mais qui vient de très haut. Et quand vous savez faire cela, ça vous apprend à distinguer entre l’idée pure et la façon de l’exprimer.

Il y a des gens qui ne peuvent pas le faire dans leur cerveau parce qu’ils n’ont pas d’imagination ou de faculté pour écrire, mais ils peuvent le faire par l’étude en lisant ce que les autres ont écrit. Il y a, n’est-ce pas, des tas de poètes, par exemple, qui ont exprimé la même idée — la même idée mais avec des formes tellement différentes que quand on en lit beaucoup, alors cela devient assez intéressant (pour les gens qui aiment lire et qui lisent beaucoup) de voir : tiens, cette idée-là, celui-là l’a dite comme ça, celui-là l’a exprimée comme ça, celui-là l’a formulée comme ça, et ainsi de suite. Et alors vous avez tout un bagage d’expressions qui sont les expressions des différents poètes pour la même seule idée là-bas, en haut, très haut. Et vous vous apercevez qu’il y a une différence presque essentielle entre l’idée pure, l’idée type, et sa formulation dans le monde mental, même le monde mental spéculatif ou artistique. Ça, c’est très bon à faire quand on est amateur de gymnastique. C’est la gymnastique mentale.

Mais si vous voulez être vraiment intelligent, il faut savoir faire de la gymnastique mentale; n’est-ce pas, comme... si vous voulez avoir vraiment un corps un peu fort, il faut savoir faire de la gymnastique physique. C’est la même chose. Les gens qui n’ont jamais fait de gymnastique mentale, ils ont un pauvre petit cerveau tout simpliste et ils pensent toute leur vie comme pensent les enfants. Il faut savoir faire ça — pas le prendre au sérieux, dans le sens qu’il ne faut pas avoir des convictions, dire : « Cette idée est vraie et celle-là est fausse; cette formulation est exacte et celle-là est incorrecte, et cette religion est la vraie et cette religion est fausse », et patati, patata... ça, si vous allez là-dedans, alors vous devenez tout à fait bête.

Mais si vous pouvez voir tout cela, et par exemple prendre toutes les religions l’une après l’autre et voir comment elles ont exprimé cette même aspiration de l’être humain pour un Absolu quelconque, cela devient très intéressant; et alors vous commencez, oui, vous commencez à pouvoir jongler avec tout ça. Et puis quand vous avez maîtrisé tout ça, alors vous pouvez vous élever au-dessus et puis regarder toutes les éternelles discussions humaines avec un sourire. Alors là, vous êtes maître de la pensée et vous n’êtes plus capable de vous mettre en fureur parce que quelqu’un ne pense pas comme vous, ce qui est malheureusement une maladie très générale ici.

Maintenant voilà. Personne n’a de questions? Non? Ça suffit? Fini!









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