Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur trois œuvres de Sri Aurobindo : Les Bases du Yoga, Le Cycle humain et La Synthèse des Yogas ; et sur une de ses pièces de théâtre, Le Grand Secret.
Cet Entretien est basé sur le chapitre III de Lumières sur le Yoga, « Soumission et ouverture ».
Qu’est-ce que c’est, « la recherche de l’Impersonnel » ?
Oh! c’est très à la mode en Occident, mon enfant. Tous les gens qui sont fatigués ou dégoûtés du Dieu tel qu’il a été enseigné dans les religions chaldéennes, et spécialement dans la religion chrétienne — un Dieu unique, jaloux, sévère, despotique et tellement à l’image de l’homme qu’on se demande si ce n’est pas un démiurge, comme disait Anatole France —, ceux-là, quand ils veulent aller à la vie spirituelle, ils ne veulent plus de Dieu personnel, parce qu’ils ont trop peur que le Dieu personnel ne ressemble à celui qu’on leur a enseigné; ils veulent une divinité impersonnelle, quelque chose qui ne ressemble pas du tout (aussi peu que possible) à l’être humain; c’est cela qu’ils veulent.
Mais Sri Aurobindo dit, c’est une chose qu’il a toujours dite : il y a les divinités de l’Overmind 13 , qui sont en effet très semblables — nous avons dit cela plusieurs fois —, très semblables à des êtres humains, infiniment plus grandes et plus puissantes, mais avec des ressemblances un peu trop frappantes. Au-delà de ça, il y a la Divinité impersonnelle, le Divin impersonnel ; mais au-delà du Divin impersonnel, il y a le Divin qui est la Personne même; et il faut traverser l’Impersonnel pour arriver au Divin Suprême qui est par-delà.
Seulement il est bon, comme j’ai dit, pour ceux qui par l’éducation ont été mis en rapport avec un Dieu trop individuel, trop personnel, de rechercher le Divin impersonnel, parce que ça les libère de beaucoup de superstitions. Après cela, s’ils en sont capables, ils iront plus loin et ils auront de nouveau un rapport personnel avec un Divin qui, Lui, dépasse toutes ces autres divinités.
Voilà.
Douce Mère, comment échapper aux influences des autres?
En se concentrant de plus en plus totalement et complètement sur le Divin. Si avec toute votre ardeur vous aspirez, si vous ne voulez recevoir que l’influence divine, si tout le temps vous retirez vers vous ce qui est pris, attrapé par les autres influences et qu’avec votre volonté vous le mettez sous l’influence divine, vous y arrivez. C’est un travail qui ne peut pas se faire en un jour, en une minute; il faut être vigilant pendant très longtemps, pendant des années; mais on peut y arriver.
Il faut d’abord vouloir.
Pour toute chose, il faut d’abord comprendre, vouloir, et puis commencer à pratiquer — commencer un tout petit peu. Quand vous vous attrapez en train de faire une chose parce que quelqu’un d’autre l’a voulu ou parce que vous n’êt es pas très sûr de ce que vous voulez faire et que vous avez pris l’habitude de faire ce que celui-ci ou celui-là ou les traditions ou les habitudes vous font faire... parce que, parmi les influences sous lesquell es on se trouve, il y a les suggestions collectives, les traditions sociales, beaucoup! Les habitudes soci ales, c’est une chose terrible; on vous fourre ça dans la conscience, depuis tout petit; on est un bébé, on vous dit déjà : « Ça, ça doit se faire; ça, ça ne doit pas se faire; il faut faire ça comme ça ; il ne faut pas f aire ça comme ça », et tout cela ; ce sont des idées que généralement les parents ou les instructeurs ont reçues de la même manière quand ils étaient tout petits et auxquelles ils se sont habitués, et ils se soum ettent par habitude; ça, ce sont les influences les plus dangereuses, parce qu’elles sont subtiles, elles ne s’expriment pas par des mots extérieurs; on vous a fourré ça dans votre tête et dans vos sentiments et dans vos réactions quand vous étiez tout petit, et c’est seulement plus tard, beaucoup plus tard, qu and on commence à réfléchir et qu’on essaye de savoir ce que c’est que la vérité... et dès qu’on comp rend qu’il y a quelque chose qui doit dominer tout le reste, qu’il y a quelque chose qui peut vraiment v ous apprendre à vivre, qui doit former votre caractère, qui doit régir vos mouvements... quand on comp rend ça, alors on peut se regarder faire, s’objectiver, rire un peu de tous ces multiples petits esclavages de l’habitude, des traditions, de l’éducation que l’on a reçue, et puis mettre la lumière, la conscience, l ’aspiration de soumission au Divin sur ces choses, et essayer de recevoir l’inspiration divine pour fai re les choses comme il faut, non pas selon les habitudes, non pas selon ses impulsions vitales, non p as en accord avec toutes les impulsions vitales et les volontés personnelles que l’on reçoit des autre s gens et qui vous poussent à faire des choses que peutêtre vous n’auriez pas faites sans cela.
Il faut observer toutes ces cho ses, le s regarder attentivement et l’une après l’autre les mettre en face de la Vérité divine telle que vo us pouve z la recevoir — c’est progressif, on la reçoit de plus en plus pure, de plus en plus forte, de pl us en plus cl airvoyante — mettre toutes ces choses en face de cela et, avec une sincérité absolue, voul oir que ce s oit cela qui vous guide et rien d’autre. Vous faites ça une fois, cent fois, mille fois, des million ns de fois et, après des années d’un effort soutenu, vous pouvez petit à petit vous apercevoir qu’enfi n vous êt es un être libre. Parce que c’est ça qui est remarquable : c’est que lorsqu’on est parfaitement soum is au Divin, on est parfaitement libre; et c’est ça, la condition absolue de la liberté : c’est de n’app artenir qu’au Divin — vous êtes libre du monde tout entier parce que vous n’appartenez qu’à Lui. Et cet te soumission-là c’est la suprême libération; vous êtes libre aussi de votre petit ego personnel, et ça c’es t d e toutes les choses la plus difficile — et la plus heureuse aussi, la seule qui puisse vous donner une paix constante, une joie ininterrompue, et le sentiment d’une in-fi-nie liberté de tout ce qui vous afflige, vous rapetisse, vous amoindrit, vous appauvrit, et de tout ce qui peut créer en vous la moindre anxiety é, la moindre frayeur. Vous n’avez plus peur de rien, vous ne craignez plus rien, vous êtes le maître su prême de votre destinée, parce que c’est le Divin qui veut en vous et qui guide tout. Mais ça ne se fa it pas du jour au lendemain : un peu de temps et beaucoup d’ardeur dans la volonté, ne pas avoir peu r de l’effort et ne pas se décourager quand on ne réussit pas, savoir que la victoire est certaine et qu’il f aut durer jusqu’à ce qu’elle vienne. Voilà.
Douce Mère, que veut dire « le Divin se do nne » ?
Cela veut dire exactement ceci, que plus vous vous donnez, plus vous avez l’expérience; ce n’est pas seulement un sentiment ou une impression ou une sensation, c’est une expérience totale que plus vous vous donnez au Divin, plus Il est avec v ous, totalement, constamment, à chaque minute, dans toutes vos pensées, dans tous vos besoins, et qu’il n’y a aucune aspiration qui ne reçoive une réponse immédiate; et vous avez le sens d’une intimité complète, constante, d’une proximité totale. C’est comme si vous portiez... comme si le Divin était tout le temps avec vous; vous marchez et Il marche avec vous, vous dormez et Il dort avec vous, vous mangez et Il mange avec vous, vous pensez et Il pense avec vous, vous aimez et Il est l’amour que vous avez. Mais pour cela il faut se donner entièrement, totalement, exclusivement, ne rien réserver, ne rien garder pour soi, et ne rien disperser non plus : la moindre petite chose de votre être qui n’est pas donnée au Divin, c’est un gaspillage; c’est le gaspillage de votre joie, c’est quelque chose qui diminue d ’autant votre bonheur; et tout ce que vous ne donnez pas au Divin, c’est comme si vous le retiriez de l a possibilité du Divin de se donner à vous. Vous ne Le sentez pas proche de vous, constamment avec v ous, parce que vous ne Lui appartenez pas, parce que vous appartenez à des centaines de choses et à d’autres personnes; dans votre pensée, dans votre action, dans vos sentiments, dans vos impulsions ... il y a des millions de choses que vous ne Lui donnez pas, et c’est pour ça que vous ne Le sentez pas to ujours avec vous, parce que toutes ces choses-là c’est autant de séparations et de murs entre Lui et v ous. Mais si vous Lui donnez tout, si vous ne réservez rien, Il sera constamment et totalement avec vo us dans tout ce que vous ferez, dans tout ce que vous penserez, dans tout ce que vous sentirez, toujou rs, à chaque moment. Mais pour cela il faut se donner d’une façon absolue, ne rien réserver; chaque pet ite chose que vous réservez, c’est une pierre que vous mettez pour bâtir un mur entre le Divin et vous. Et puis après, vous vous plaignez : « Oh! je ne Le sens pas! » Ce qui serait étonnant c’est que vous puiss iez Le sentir.
C’est tout?
Que veut di re exactement « le Divin impersonnel » ?
C’est ce qu e l’on appelle, dans certaines philosophies et certaines religions, le Sans-Forme; quelque chose qui es t au-delà de toute forme, même des formes de pensée, n’est-ce pas, pas nécessairement des formes p hysiques : des formes de pensée, des formes de mouvement. C’est la conception qu’il y a quelque chos e qui est par-delà non seulement ce qui peut se penser ou se concevoir ou se voir même avec les yeux l es plus subtils, mais tout ce qui a une forme perceptible quelconque, même les vibrations plus subtiles q ue celles qui dépassent infiniment toutes les perceptions humaines, même dans les états d’être les plus élevés, quelque chose qui est par-delà toute manifestation de quelque ordre que ce soit — généraleme nt c’est comme ça qu’on définit le Dieu impersonnel. Il n’a rien, aucune des qualités que nous puissions c oncevoir, Il est par-delà toute qualification. C’est évidemment la recherche de quelque chose qui est le c ontraire de la Création, et c’est pour cela que certaines religions ont admis l’idée de ce qu’ils appellent le Nirvâna, c’està dire quelque chose qui n’est rien; c’est la même recherche, la même tentative de trouver quelque chose qui soit l’opposé de tout ce que nous pouvons concevoir. Alors finalement on Le définit, parce que comment en parler? Mais dans l’expérience on essaye de passer par-delà tout ce qui appartient au monde manifesté, et c’est cela qu’on appelle le Divin impersonnel.
Mais il se trouve — et cela c’est très intéressant — qu’il y a une région comme ça, une région qui... comment dire... qui est la négation de tout ce qui existe. Derrière tous les plans de l’être, même derrière le physique, il y a un Nirvâna. Nous employons le mot Nirvâna parce que c’est plus facile, mais on peut dire : il y a un Divin impersonnel derrière le physique, derrière le mental, derrière le vital, derrière toutes les régions de l ’être; derrière, au-delà. (On est obligé de s’exprimer d’une façon quelconque.) Ce n’est pas nécessairem ent plus subtil, c’est autre chose, c’est tout à fait autre chose; c’est-à-dire que dans une méditation, p ar exemple, si vous méditez sur le Nirvâna, vous pouvez rester dans une région de votre mental et pa r une certaine concentration produire une sorte de renversement de votre conscience et vous trouv er tout d’un coup dans quelque chose qui est le Nirvâna et la Non-Existence, et pourtant dans l’ascensio n de votre conscience vous n’avez pas dépassé le mental.
On peut avoir une petite c ompréhension de ces choses si on connaît la multiplicité des dimensions, si on a compris ce principe. D ’abord on vous enseigne la quatrième dimension. Si vous avez compris ce principe-là, des dimensions, vous pouvez comprendre ça. Par exemple, comme j’ai dit, vous n’avez pas besoin de vous extérioriser d ’un plan dans l’autre, en allant vers les plans les plus subtils pour passer du dernier plan le plus subtil v ers ce que nous appelons Nirvâna — pour pouvoir parler. Ce n’est pas nécessaire. Vous pouvez, par une sorte d’intériorisation et en passant dans une autre dimension ou dans d’autres dimensions, vous pouvez trouver dans n’importe quel domaine de votre être cette Non-Existence. Et vraiment on peut c omprendre un petit peu sans l’expérience. C’est très difficile, mais enfin, même sans l’expérience on peut comprendre un tout petit peu si on comprend cela, ce principe des dimensions internes.
(silence)
On peut dire comme cela (n’est-ce pas, c’est une façon de dire) que vous portez en vous en même temps l’Ex istence et la Non-Existence, le Personnel et l’Impersonnel, et... oui... le Manifesté et le Non-Manifesté. .. le Fini et l’Infini... le Temps et l’Éternité. Et tout ça, c’est dans ce tout petit corps.
Il y a des ge ns qui dépassant, même mentalement, n’est-ce pas... leur atmosphère mentale dépasse leur corps, mêm e leur atmosphère vitale dépasse leur corps; il y a des gens dont la conscience est suffisamment vaste pour s’étendre sur des continents et même sur d’autres terres et d’autres mondes, mais ça c’est u ne notion spatiale. Mais par une intériorisation dans d’autres dimensions, quatrième et plus, vous pouv ez trouver tout cela en vous-même. Dans un point... l’infini.
Alors Mère, l’inf ini ce n’est pas une extension de l’espace?
Oh! non. Ça, c’e st l’indéfini, ce n’est pas l’infini.
L’infini c’est le c ontraire du fini. On peut contenir en soi le fini le plus fini, et l’infini le plus infini; en fait on les contient, p eut-être même dans chacune des cellules du cerveau.
Mère, est -ce qu’il y a une différence d’expérience lorsqu’on atteint l’Impersonnel par son propre effort et lorsqu’on l’atteint en se soumettant à la Mère?
(long silence)
Oui, il y a une différence.
Il n’y aura it pas de différence, peut-être, si le but à atteindre était le Divin impersonnel et si on voulait s’identifier et s’unir et se fondre dans le Divin impersonnel. Je pense qu’il n’y aurait pas, dans ce cas, de différence. Mais si l’aspiration est de réaliser ce qui est au-delà, avons-nous dit, et que Sri Aurobindo a appelé la R éalité supramentale, alors là il y a une différence, non pas seulement une différence sur le chemin, pa rce que ça c’est de toute évidence (ça dépend des tempéraments d’ailleurs), mais si quelqu’un p eut vraiment savoir ce que c’est que la soumission, et la confiance totale, alors c’est in-fi-ni-ment plus fa cile, les trois quarts des tracas et des difficultés sont passés.
Maintenant I l est vrai qu’on peut trouver une difficulté toute particulière à cette soumission. Ça c’est vrai, c’est po ur cela que j’ai dit que ça dépend absolument des tempéraments. Mais ce n’est pas seulement ça. Si vous voulez, on peut le comparer à la différence entre un chemin qui serait linéaire et qui se termine rait par un point, et un chemin qui serait sphérique et qui se terminerait par une totalité; une totalité, c’ est-à-dire que rien ne serait exclu de la totalité. Chacun individuellement peut atteindre à l’origine et au maximum de son être; l’origine et le maximum de son être sont un avec l’Éternel, Infini et Suprême. Par conséquent, si vous atteignez à cette origine, vous atteignez au Suprême. Mais vous y atteignez par u ne ligne (ne prenez pas mes mots pour une description adéquate, n’est-ce pas, c’est seulement pour arriver à me faire comprendre). C’est une réalisation linéaire qui se termine par un point, et ce point est uni au Suprême — votre maximum de possibilités. Par l’autre chemin, c’est une réalisation que l’ on peut appeler sphérique, parce que c’est ce qui donne le plus l’idée de quelque chose qui contient tout, et la réalisation n’est plus un point mais une totalité dont rien n’est exclu.
Je ne peux pas parler du « tout » et de la « partie », parce qu’il n’y a plus de division. Ce n’est pas comme ça, ce n’e st pas ça. Mais c’est la qualité de l’approche, si on peut dire, qui est différente. C’est comme si vous disiez qu’une identification parfaite avec une goutte d’eau vous ferait savoir ce que c’est que l’océan, et une identification parfaite non pas seulement avec l’océan mais avec tous les océans possibles... Et pourtant avec l’identification parfaite avec une goutte d’eau, on pourrait connaître l’océan dans son essence, et de l’autre manière on pourrait connaître l’océan non seulement dans son essence mais dans sa totalité. Quelque chose comme ça... J’essaye de m’exprimer... C’est très difficile, mais c’est comme ça, il y a quelque chose, il y a une différence... On pourrait dire que tout ce qui a été individualisé conserve à la fois les vertus de l’individualité et ce que l’on pourrait appeler dans un certain sens les limitations qui sont nécessaires à cette individualité, quand on ne compte que sur sa force personnelle. Dans l’autre cas on peut bénéficier des vertus de l’individualité sans être soumis à ses limitations. C’est presque de la philosophie, alors ce n’est plus très clair.
Mais (riant) c’est t out ce que je peux dire.
Plus rien?... Non?
Je crois que ça suff it!
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