Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur trois œuvres de Sri Aurobindo : Les Bases du Yoga, Le Cycle humain et La Synthèse des Yogas ; et sur une de ses pièces de théâtre, Le Grand Secret.
Cet Entretien est basé sur le chapitre I de La Synthèse des Yogas, « Les Quatre Aides ».
Pas de questions! Il n’y a pas de questions ici, c’est clair comme de l’eau de roche.
Ici, il est écrit : « Le Verbe intérieur peut être la parole de l’âme profonde en nous, toujours ouverte au Divin, ou celle de l’Instructeur universel et secret... » Pourquoi est-ce que c’est différent, le Divin et l’Instructeur universel?
L’Instructeur universel n’est qu’un aspect du Divin, n’est-ce pas. Le Divin contient toutes les activités possibles; l’Instructeur est seulement une activité, Celui qui enseigne. Sri Aurobindo veut dire : ou c’est un contact direct avec le Divin, ou un contact avec un aspect du Divin, Celui qui enseigne, le Guru divin. Mais le Divin n’est pas seulement un Guru.
C’est tout?
Douce Mère, ici : « En certains cas, ce Verbe représentatif n’est qu’un prétexte en quelque sorte, pour que le pouvoir intérieur s’éveille et se manifeste... » Alors dans ce cas-là, est-ce que c’est l’aspiration de l’individu, ou est-ce que c’est le pouvoir du Verbe?
Cela dépend beaucoup du degré de développement du sâdhak. S’il est suffisamment développé et conscient pour être en rapport directement avec la Force spirituelle qui agit derrière les mots, alors le mot n’est qu’un prétexte. Mais s’il faut que ça passe, pour lui, à travers sa compréhension mentale pour pouvoir avoir de l’effet, alors le mot prend une bien plus grande importance. Cela dépend du degré de développement.
Si on est capable de recevoir directement, alors on ouvre un livre, par exemple, on trouve une phrase, et on a une illumination; parce que c’était juste le mot qu’on attendait pour se mettre en rapport avec la Force, dont on avait besoin pour faire un pas de plus.
Autrement il faut prendre un livre, l’étudier, le lire phrase à phrase, mot à mot, et puis réfléchir et puis le comprendre et puis l’assimiler; et puis alors, après, très lentement, après l’assimilation et la compréhension, ça commence à avoir un effet sur le caractère, et on fait un progrès.
Dans un cas c’est un rapport direct, n’est-ce pas, et juste une phrase, un mot... on lit un mot, on lit une phrase, et on a une illumination. Et alors on reçoit toute la Force dont on a besoin. L’autre, c’est le chemin de l’érudit, du savant, qui est un être intellectuel, et qui a besoin d’apprendre, de réfléchir, d’assimiler, de raisonner tout ce qu’il a appris, pour pouvoir faire un progrès. C’est long, c’est laborieux.
Douce Mère, il y a une fleur que tu as appelée le « Verbe Créateur ».
Oui.
Qu’est-ce que cela veut dire?
C’est le mot qui crée.
Il y a toutes sortes de vieilles traditions, des vieilles traditions hindoues, des vieilles traditions chaldéennes, où le Divin, sous forme de Créateur, c’est-à-dire sous Son aspect de Créateur, prononce un mot qui a le pouvoir de créer. Alors c’est cela...
Et c’est l’origine du mantra. Le mantra, c’est le mot prononcé qui a un pouvoir créateur. On fait une invocation, et il y a une réponse à l’invocation; ou on fait une prière, et la prière est exaucée. Ça c’est le Verbe, le Verbe qui, dans le son... ce n’est pas seulement l’idée, c’est dans le son qu’il y a un pouvoir de création. C’est l’origine du mantra.
Dans la mythologie indienne, le dieu créateur est Brahmâ, et je pense que justement c’était sa puissance qu’on avait symbolisée par cette fleur, le « Verbe Créateur ». Et quand on est en contact avec ça, les mots prononcés ont un pouvoir d’évocation, ou de création, de formation, ou de transformation — les mots... le son a toujours un pouvoir; il a beaucoup plus de pouvoir que les gens ne le pensent. Ça peut être un bon pouvoir et ça peut être un mauvais pouvoir. Ça crée des vibrations qui ont un effet indéniable. Ce n’est pas tant l’idée que le son; l’idée aussi a son pouvoir propre, mais dans son domaine propre. Tandis que le son a un pouvoir dans le monde matériel.
Je crois que je vous avais expliqué cela une fois; je vous avais dit que, par exemple, des mots que l’on prononce comme ça, généralement sans réfléchir et sans y attacher d’importance, on peut les utiliser pour faire quelque chose de très bien. Je crois que je vous avais parlé du bonjour, n’est-ce pas? Quand on se rencontre et qu’on se dit bonjour, les gens font ça mécaniquement et sans réfléchir. Mais si on met dedans une volonté, une aspiration pour en effet souhaiter à quelqu’un que sa journée soit bonne, eh bien, il y a une façon de dire bonjour qui a beaucoup d’effet. Plus d’effet que si simplement, en rencontrant quelqu’un, vous pensiez : « Ah! j’espère qu’il aura une bonne journée », sans rien dire. Si avec cet espoir dans votre tête, vous lui dites d’une certaine manière bonjour, vous rendez cela plus matériel et plus efficace.
C’est la même chose d’ailleurs avec les malédictions, ou quand on se met en colère et qu’on dit des choses mauvaises aux gens. Ça peut leur faire aussi mal — plus mal quelquefois — que si vous leur donniez une gifle. Les gens qui sont très sensibles, ça peut déranger leur estomac, ou leur donner des palpitations. Parce que vous mettez dedans une force mauvaise qui a une puissance de destruction.
Ce n’est pas du tout indifférent de parler. Naturellement, cela dépend beaucoup du pouvoir intérieur de chacun. Les gens qui n’ont pas de force et pas de conscience, ils ne peuvent pas grand-chose — à moins qu’ils n’emploient des moyens matériels. Mais dans la mesure où vous êtes fort, surtout où vous avez un vital puissant, il faut avoir un grand contrôle sur ce que l’on dit, autrement on peut faire beaucoup de mal — sans le vouloir, sans le savoir, par ignorance.
Quelque chose? Non? Rien? Une autre question?... Tout fini?
À propos du son, Mère, les différents langages ont des expressions de sons différentes, alors de quoi dépend la puissance d’une langue?
Mais quand on est suffisamment sensible, sensitif, si quelqu’un vous parle un langage que vous ne connaissez pas du tout, mais qu’il mette dedans une intention très précise, vous sentez les mêmes effets.
Si quelqu’un vous souhaite un bon jour ou une bonne santé dans une langue que vous ne connaissez pas du tout et qui n’a aucun rapport avec la vôtre, vous pouvez sentir l’effet sans comprendre les mots. Ou bien si quelqu’un vous dit une chose violente ou une malédiction dans une langue que vous ignorez totalement, vous pouvez très bien recevoir les vibrations. Cela ne dépend pas du mot compris. Dans chaque langue il y a des sons qui sont expressifs; ce n’est pas seulement une langue qui est expressive. Et il y a plusieurs façons d’exprimer la même chose. Il y a d’innombrables façons d’exprimer la même chose.
Je me souviens d’avoir entendu discuter des gens qui étaient des érudits, et qui se croyaient très sages — et qui discutaient, avec un sérieux imperturbable, pour savoir dans quelle langue Dieu avait dit : « Que la Lumière soit. » Il y en avait qui disaient que ça devait être en sanskrit, d’autres qui disaient que ça devait être une langue encore plus ancienne, d’autres qui disaient que ça devait être en syrien, et ainsi de suite, n’est-ce pas; et personne ne pensait que peut-être ce n’était pas une langue!
Est-ce que le Verbe aussi suit l’évolution?
Ça veut dire?
Cela veut dire : ce qui était étudié auparavant, maintenant c’est devenu médiocre.
Quel Verbe?
Ce qui avait été conçu par les savants dans les Shâstras; c’est-à-dire que ce qui est écrit ici...
Que des vieilles traditions...? Oui. Mais Sri Aurobindo dit aussi qu’il n’y a pas de raison que ça ne change pas, qu’il n’y ait pas des choses ajoutées, changées. Il dit... il répond lui-même à votre question.
C’est très bien de garder le souvenir du passé si cela vous aide, mais il ne faut pas que cela vous empêche d’avancer. Et l’enseignement qui était bon à une époque ne l’est plus à une autre, c’est tout à fait certain.
Ce que je demande c’est : est-ce que ça suit l’évolution aussi?
Quelle évolution?
C’est-à-dire : ce qui était nécessaire auparavant, ce n’est plus suffisant maintenant?
Logiquement, on devrait toujours ajouter. Mais, généralement, ceux qui s’attachent au passé, ils veulent garder le passé tout seul ; et les autres qui veulent avancer, ils veulent rejeter tout et ne garder que ce qu’ils ont trouvé. Et alors ils font tous les deux une commune erreur, c’est-à-dire de se limiter et de rendre leur conscience étroite, au lieu de l’élargir.
Est-ce que le son, c’est seulement particulier au monde physique, ou est-ce qu’il y a aussi le son dans les autres domaines?
Il y a le son aussi.
Dans le même rapport qu’ici?
Il y a certainement un son dans tous les mondes manifestés, et quand on a les organes appropriés, on l’entend.
Il y a des sons qui appartiennent aux régions les plus hautes, et, en fait, le son que nous avons ici donne l’impression d’un bruit, en relation avec ce son-là.
Par exemple, il y a des régions qui sont des régions harmonieuses et musicales, où l’on entend quelque chose qui est l’origine de la musique que l’on a ici — mais les sons de la musique matérielle, physique, semblent absolument barbares en relation avec cette musique! Quand on a entendu celle-là, même l’instrument le plus parfait est inapproprié; tous les instruments construits, dont certainement le violon a le son le plus pur... mais tous sont très inférieurs, comme expression, à la musique de ce monde d’harmonies.
La voix humaine quand elle est absolument pure est, de tous les instruments, celui qui exprime le mieux ; mais c’est encore... ça a un son qui paraît si brutal, si grossier par rapport à ça. Quand on a été dans cette région-là, on sait vraiment ce que c’est que la musique. Et c’est d’une clarté si parfaite qu’en même temps que le son, on a la compréhension totale de ce qui est dit. C’est-à-dire qu’on a le principe de l’idée, sans les mots, simplement avec le son et toutes les inflexions des... on ne peut pas appeler ça des sensations, ni des sentiments; ce qui paraît approcher le plus ce serait des sortes d’états d’âme, ou d’états de conscience. Toutes ces inflexions sont clairement perceptibles par les nuances du son. Et, certainement, ceux qui ont été des grands musiciens, des génies au point de vue musical, ils devaient être d’une façon plus ou moins consciente en rapport avec ça. Le monde physique tel que nous l’avons maintenant est un monde tout à fait grossier; ça a l’air d’une caricature.
C’est la même chose pour la peinture : toutes les peintures dont on se sert maintenant, ça a l’air d’être des barbouillages, quand on a vu le domaine de la forme et de la couleur, l’origine des choses exprimées par la peinture.
Et au fond, c’est la même chose au point de vue des idées. Si on entre en rapport avec le domaine des idées pures par-delà les mots, tous les mots sont de telles limitations, restrictions! ça devient comme une caricature. L’intensité de vie contenue dans l’idée est intraduisible. On peut la recevoir si on est capable d’entrer consciemment dans ce domaine-là. On peut la transmettre dans une certaine mesure si on est maître de ses vibrations et qu’on peut les laisser passer et les émaner. Mais tout ce que l’on dit ou tout ce que l’on écrit, c’est vraiment une caricature.
Ça suffit? Ou encore d’autres questions?
Mère, aujourd’hui c’est le Jour de la Victoire (Durgâ Pûjâ). On dit que chaque année, ce jour-là, tu remportes une victoire.
Mais, pour avoir le droit de le savoir, il faut en avoir au moins un minimum d’expérience.
Quelle est la victoire remportée aujourd’hui?
Tu le sais, toi, hein? Non? Tu n’as eu aucune expérience de ce genre? Quelqu’un a eu une expérience?
La conquête des désirs.
Quoi? Vous n’avez plus de désirs, vous, c’est fini? Je vous fais mon compliment! (rires)
(silence)
Même suivant la tradition qui est une tradition locale, n’est-ce pas, qui n’est pas même une tradition terrestre, et encore moins une tradition universelle, depuis combien de milliers d’années elle [Durgâ] remporte une victoire tous les ans, et puis qu’il faut qu’elle recommence toujours? Ça doit être quelque chose de très difficile à détruire!
Ah! nous allons faire une expérience. Nous allons méditer pendant dix minutes, et pendant ces dix minutes je vous mettrai en contact avec ce qui s’est passé; mais je ne vous dirai pas un mot. S’il y a quelqu’un qui s’aperçoit de quelque chose, eh bien, vous l’écrirez sur un papier, après; et je verrai ça demain.
Voilà.
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