Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur trois œuvres de Sri Aurobindo : Les Bases du Yoga, Le Cycle humain et La Synthèse des Yogas ; et sur une de ses pièces de théâtre, Le Grand Secret.
(La classe de la semaine précédente (20 avril) n’a pas eu lieu à cause de la pluie)
Cet Entretien se rapporte au chapitre V de Les Bases du Yoga, « La conscience physique, le subconscient, le sommeil et les rêves, la maladie ».
Douce Mère, quelle est la différence entre un rêve symbolique et une vision?
La vision, généralement on l’a quand on ne dort pas, quand on est réveillé. Quand on est réveillé et qu’on entre au-dedans de soi — soit en méditation, soit en concentration —, alors on a des visions. Ou la nuit, on ne peut pas dormir... rester étendu, rester tranquille, ne pas dormir, et on peut avoir des visions.
Les rêves, c’est quand on dort, c’est-à-dire qu’on n’a plus du tout la conscience de veille; tandis que dans la vision on est dans la conscience de veille, mais on la tranquillise ou l’immobilise, et c’est une autre conscience plus interne qui s’éveille; mais on n’est pas endormi, le corps n’est pas endormi, il est simplement tranquillisé.
On peut même avoir des visions en restant actif. Il y a des gens qui ont des visions même dans l’activité. La vision, c’est un autre plan de perception qui s’éveille. Ce sont des sens dans le mental, ou dans le vital, ou dans le physique qui s’éveillent et arrivent à faire passer leurs expériences dans la conscience extérieure. C’est comme si on avait une autre paire d’yeux derrière ceux-ci, des yeux qui verraient dans le vital au lieu de voir dans le physique. Et ça, c’est toujours là. Seulement, comme. on est concentré sur la vie la plus matérielle, on ne s’en aperçoit pas. Mais il y a des enfants qui ont les deux conjointement, qui voient même physiquement toutes sortes de choses qui ne sont pas physiques. Généralement, on leur dit qu’ils disent des bêtises; alors ils s’arrêtent d’en parler. Mais ils ne voient pas seulement juste ça physiquement, ils voient d’autres choses derrière. On peut avoir des visions avec les yeux fermés, on peut avoir des visions avec les yeux ouverts; tandis que, dans le rêve, on est toujours endormi.
Autres questions?
Comment distinguer entre un rêve symbolique et d’autres rêves?
Pour chacun, c’est différent; mais c’est une question d’impression que l’on a. Généralement, en le voyant, le rêve symbolique est beaucoup plus clair, précis, plus coordonné, et porte avec lui cette espèce de conscience de quelque chose qui est vrai... je ne sais pas... on s’en souvient mieux, ça ne se déforme pas dans le souvenir.
Et puis, c’est tout?
Douce Mère, il y a une question de Jyotindra.
Ah! Qu’est-ce qu’il veut savoir, cet enfant?
Il voulait savoir : quand on a très mal, quand on est très irrité, comment peut-on dormir tranquillement?
Ça, ça représente un certain pouvoir yoguique. La façon la meilleure — et celle-là, elle est absolue —, c’est de sortir de son corps.
Quand le corps souffre, qu’on a la fièvre, ou qu’on est malade, n’est-ce pas, ou que le corps est tout à fait malade, la seule chose à faire c’est d’en sortir, de sortir son être vital. Et alors, si on est un yogi et qu’on sait, on s’élève juste au-dessus, de façon à voir son corps; l’être vital, s’il est sorti sous une forme assez matérielle, peut voir le corps; on voit son propre corps physique, et alors à ce moment-là, avec la conscience que l’on a et la force que l’on a, on peut diriger les rayons de ses forces sur l’endroit du corps qui est malade. Mais ça, c’est le sommet, et c’est le plus sûr moyen de se guérir; et si on a la puissance et la connaissance, c’est infaillible.
On peut se guérir de n’importe quoi en très peu de temps. Seulement tout ça, ça représente un grand entraînement, un dressage de l’être. Ça ne s’improvise pas, n’est-ce pas. Mais en fait, quand les douleurs sont intolérables et que les gens s’évanouissent, ils font instinctivement cela. S’évanouir, c’est sortir de son corps. Alors il y a des gens (quand ils ne sont pas trop accrochés à leur corps), quand il y a quelque chose qui va mal, qui souffre trop ou que ça ne va pas bien, ils s’évanouissent.
Une trop grande douleur vous fait vous évanouir, c’est-à-dire que vous sortez de votre corps, vous sortez vraiment et laissez le corps très inerte; et pourvu qu’il y ait là quelqu’un qui ait assez de connaissance pour ne pas vous secouer comme ça (geste) pour vous réveiller, c’est un moyen d’échapper à la souffrance. Naturellement, si on a à côté de soi quelqu’un qui est pris de panique et qui vous jette de l’eau froide sur la tête ou qui vous secoue, alors le résultat peut être désastreux, mais autrement on peut... Et petit à petit, naturellement, comme il n’y a plus là la conscience pour enregistrer la souffrance, ça, ça se calme, et dans presque tous les cas le corps devient suffisamment immobile pour qu’il puisse se reposer même en dépit des souffrances. Il ne les sent plus du tout. Ça, c’est le meilleur moyen.
Il y a des moyens moindres et qui ont des résultats moindres, qui ne sont pas très faciles non plus, c’est-à-dire la connaissance du pouvoir de couper la connexion entre la partie qui souffre et le cerveau qui enregistre. On coupe la connexion, alors le cerveau n’enregistre pas. Ça, c’est ce que l’on fait, ce que les docteurs font avec l’anesthésiant. Ils coupent la connexion des nerfs entre le point qui est malade et le cerveau ; alors le cerveau ne s’aperçoit plus de rien, ou c’est réduit à un minimum. Et ça revient toujours à la même chose, d’une façon ou d’une autre; et tout cela demande un pouvoir occulte ou un dressage. Il y a des gens qui ont ça spontanément; il n’y en a pas beaucoup — très peu. Mais évidemment, sans arriver à ce point-là, il y a une chose qu’on peut essayer de faire, c’est de ne pas se concentrer sur son mal, détourner l’attention autant qu’on peut, ne pas penser du tout à son mal, penser aussi peu que possible et surtout ne pas se concentrer, ne pas faire attention : « Oh, j’ai mal », alors ça devient un peu pire : « Oh, j’ai encore plus mal », puis ça devient encore pire, comme ça, parce qu’on est concentré dessus. Et ça c’est l’erreur que l’on fait toujours : penser, être là, attentif, à attendre le signe de la douleur; alors naturellement elle vient, elle vient augmentée de cette concentration d’attention qu’on y a mise. C’est pour cela que, quand on n’est pas bien, la meilleure chose à faire c’est de lire, ou d’entendre lire, n’est-ce pas, cela dépend de la condition dans laquelle on est. Mais si on peut détourner son attention, on ne souffre plus.
Douce Mère, est-ce que nous avons besoin de rêver?
Est-ce que quoi?
... nous avons besoin de rêver...
Besoin de rêver! Mais ce n’est pas une question de besoin, mon enfant, on rêve toujours.
Mais pourquoi rêve-t-on?
Pourquoi est-ce que tu marches sur tes pieds, avec la tête en l’air, et tu manges et tu dors? C’est comme ça. Il n’y a pas de pourquoi. Il n’y a pas de pourquoi, ça fait partie du fonctionnement général.
Le rêve n’est pas quelque chose qui est mis sur vous comme ça d’une façon artificielle. Ce n’est pas comme quand on vous envoie à l’école pour apprendre quelque chose, ce n’est pas comme ça. Ça fait partie de votre fonctionnement normal, c’està-dire que généralement c’est la tête, le cerveau qui continue à marcher. Quelquefois, quand on est dans des conditions un peu supérieures, c’est un être intérieur qui entre en activité, qui va dans son domaine et qui vit là, de sa vie propre. Mais ce sont toutes des choses qui ne sont pas organisées artificiellement pour une raison quelconque. Ça fait partie du fonctionnement du corps. Les rêves sont des choses aussi naturelles que les activités de la journée; et alors dans le rêve on s’aperçoit plus ou moins qu’on n’y comprend rien, mais dans la vie c’est exactement la même chose, parce que, quoi que ce soit qui arrive, vous êtes toujours à vous poser des centaines de questions pour savoir pourquoi, comment, et qu’est-ce qui est arrivé. Vous n’en savez rien. Seulement vous avez l’habitude que ce soit comme ça. C’est tout.
Pas de questions?
J’ai encore une question.
Encore une?
Douce Mère, quand on dort, la conscience est différente de la conscience de veille...
Oui, et alors : « Pourquoi? » (rires)
Comment est-ce différent?
Mais tu ne t’es jamais aperçue que c’est différent? Par exemple, ta conscience physique, ou ta conscience de physique subtil, ta conscience vitale, ou la conscience de ton vital inférieur ou supérieur, ta conscience psychique, ta conscience mentale, chacune est tout à fait différente! Alors quand tu dors, tu as une conscience; et quand tu es réveillée, tu en as une autre. Dans ton état de veille tu regardes les choses projetées en dehors de toi, dans ton état de sommeil tu les regardes intériorisées. Alors c’est comme si, dans un cas, tu étais toute poussée hors de toi, en avant, et dans l’autre cas, c’est comme si tu te regardais dans un miroir intérieur.
Comprends pas? Pas très bien!
Bien, c’est une chose qu’il faut apprendre à distinguer, ses états de conscience, parce qu’autrement on vit dans une confusion perpétuelle.
Au fond, c’est le premier pas sur le sentier, c’est le commencement du fil, si on ne tient pas le bout du fil, on se perd en route. Ça, c’est juste tenir le bout du fil.
C’est tout?
Douce Mère, qu’est-ce que ça signifie, quand on voit qu’on est mort dans un rêve?
Ah! on m’a déjà demandé ça plusieurs fois. Cela dépend du contexte. Cela peut vouloir dire qu’on a fait un progrès suffisant pour se débarrasser totalement d’une vieille manière d’être qui n’a plus sa raison d’être. Ça, c’est, je crois, le cas le plus fréquent. Autrement cela dépend absolument du contexte, c’est-à-dire des circonstances qui entourent le rêve.
C’est-à-dire... on se voit mort... Comment est-ce qu’on se voit mort? Est-ce que simplement on voit le corps inerte, ou bien est-ce qu’il y a une histoire, ou bien est-ce qu’on se voit mourir, ou on se voit déjà mort, ou est-ce qu’on prend pour mort quelque chose qui n’est pas mort?
N’est-ce pas, si vous laissez votre corps — en sortant du corps, comme j’ai expliqué tout à l’heure —, si vous êtes sorti d’une façon suffisamment matérielle, dans un vital très matériel, eh bien, le corps qui est couché sur le lit a l’air absolument mort, mais il n’est pas mort pour ça. Mais si on le regarde ou le voit en étant en dehors et qu’on ne sait pas, il a l’air absolument mort, il est en état cataleptique. Alors si on sait ce qu’il faut, et ce que l’on doit faire, c’est très facile; mais si on ne sait pas, et que l’imagination part vagabonder, alors on ouvre la porte à la peur, et n’importe quoi peut arriver.
Mais en fait, je ne crois pas qu’une fois sur un million de fois ce soit une chose prémonitoire. Je crois beaucoup plus que c’est un fragment de l’être qui a cessé d’être utile, et qui disparaît; alors le fragment prend la forme du tout, et on se voit mort, parce que ce fragment a cessé d’exister en vous. Ça c’est le cas le plus fréquent et le plus logique.
Maintenant on peut voir non pas une mort, mais par exemple un accident ou un assassinat, ou des choses comme ça... Alors c’est un rêve très violent, n’est-ce pas, vécu, et ça, ça peut vouloir dire qu’on est attaqué par des forces mauvaises envoyées par quelqu’un pour un but précis. Alors il n’y a qu’à taper dur et réagir violemment.
Douce Mère, quelquefois quand on dort, on sait qu’on dort, mais on ne peut pas ouvrir les yeux. Pourquoi?
Ça, c’est quand on est sorti de son corps, et il ne faut pas forcer, il faut tout simplement, lentement, concentrer sa conscience dans son corps et attendre un petit moment que la fusion se fasse normale; il ne faut pas forcer.
Quelquefois les yeux sont un peu ouverts et on peut voir aussi les choses...
Et on ne peut pas bouger!
Oui.
C’est qu’il y a seulement un fragment de la conscience qui est rentré, pas suffisamment pour ramener le plein mouvement dans le corps. Il ne faut pas se secouer, parce qu’on risque de perdre un bout de soi-même. Il faut rester bien tranquille et se concentrer lentement, lentement, sur son corps; ça peut prendre une minute ou deux minutes, c’est un maximum.
Qu’est-ce qu’on peut perdre?
N’importe quoi, quelque chose qui est sorti, n’est-ce pas. C’est parce qu’il y a une partie de l’être qui est sortie; alors si on se secoue, ça n’a pas le temps de revenir. Tiens, il y a quelqu’un derrière toi [Nolini] qui a eu une expérience comme ça. C’est quelqu’un qui l’a réveillé en sursaut, et quand il est revenu il avait vraiment l’impression qu’il lui manquait quelque chose, n’est-ce pas? (Mère se tourne vers Nolini)
(Nolini) Oui.
Alors moi, je lui ai dit de se concentrer tranquillement; c’est revenu. Seulement si on a peur, alors ça peut se compliquer, n’est-ce pas.
Mais il ne faut jamais réveiller quelqu’un en sursaut, parce qu’il faut qu’il ait le temps de se rassembler dans son corps. Ce n’est pas bon, par exemple, quand on se réveille, hop! sauter de son lit. Il faut rester tranquille un petit moment, comme ça (geste), comme si on se ramenait au-dedans de soi, comme ça, tranquillement... tranquille. Quand on est bien tranquille, qu’on sent que tout est là, alors on se lève, et c’est fini. Mais il ne faut jamais sauter de son lit brusquement, ce n’est pas bon. D’ailleurs ça arrive quelquefois, des gens qui sont réveillés brusquement et qui sautent de leur lit, ils ont la tête qui tourne, et ils risquent de tomber. Il faut toujours avoir ce mouvement comme ça (geste), comme si on rassemblait sa conscience, ou toutes sortes de choses qu’on rassemble dans son corps; on reste bien tranquille, quelques secondes d’assimilation, et puis quand c’est bien fait, alors on se lève tranquillement, posément.
Quoi d’autre? Rien?
Alors c’est fini!
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