Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur trois œuvres de Sri Aurobindo : Les Bases du Yoga, Le Cycle humain et La Synthèse des Yogas ; et sur une de ses pièces de théâtre, Le Grand Secret.
Cet Entretien est basé sur le chapitre III de Lumières sur le Yoga, « Soumission et ouverture ».
Quelle est « la véritable activité de la vie » ?
C’est d’exprimer le Divin. C’est la raison d’être de la vie, sa vérité et sa seule vraie activité.
Douce Mère, ici, Sri Aurobindo a dit : « C’est impossible. » Pourquoi? Puisque tu as dit que rien n’est impossible!
Rien n’est impossible, en principe. Mais si on refuse de faire ce qu’il faut, il est évident qu’on ne peut pas réussir.
Dans le monde matériel il y a des conditions, autrement il ne serait pas ce qu’il est. S’il n’y avait pas des conditions et des processus, tout pourrait être transformé et fait miraculeusement. Mais ce n’est évidemment pas comme ça que ça a été décidé, parce que les choses ne se font pas miraculeusement — en tout cas, pas des miracles tels que l’esprit humain les conçoit, c’està-dire des décisions arbitraires constantes. Il est évident que dans le monde il n’y a pas de décisions arbitraires.
Sri Aurobindo dit : pour faire telle chose, telles sont les conditions. Si vous refusez de remplir ces conditions, vous ne ferez pas cette chose-là, vous ferez autre chose; ce n’est évidemment pas la seule chose possible. Mais si c’est celle-là qu’on veut faire, il faut remplir les conditions... On peut faire autre chose!
Je crois que si on prend le monde dans sa totalité, dans le temps et dans l’espace, il est évident qu’on peut dire « rien n’est impossible », et que probablement tout sera ; mais c’est dans la totalité, et dans le temps et dans l’espace, c’est-à-dire à travers les éternités de temps et les infinis d’espace, tout est possible. Mais à un moment donné, dans un point donné, il y a un certain nombre de possibles, et tous ne sont pas là, et il faut remplir certaines conditions pour que ces possibles se réalisent. Le monde est construit comme ça. Nous n’y pouvons rien. Je veux dire que cela ne sert à rien de dire : « Ça devrait être autrement. » Il est comme ça, il faut le prendre comme il est, tâcher d’en tirer le meilleur parti possible.
Douce Mère, ici, Sri Aurobindo a dit : « Si l’âme la plus profonde est éveillée, s’il y a une naissance nouvelle par laquelle on passe de la simple conscience mentale, vitale et physique à la conscience psychique, alors on peut pratiquer notre yoga. » Pourquoi a-t-il dit « l’âme la plus profonde » ? Est-ce qu’il y a une âme superficielle?
C’est parce que cette âme la plus profonde, c’est-à-dire l’être psychique central, influence des parties superficielles de la conscience (superficielles par rapport à elle : des parties mentales, des parties vitales). Le mental le plus pur, le vital le plus haut, l’être émotif — l’âme les influence, les influence au point qu’on a l’impression d’entrer en contact avec elle à travers ces parties de l’être. Alors les gens prennent ces parties pour l’âme, et c’est pour cela qu’il dit « l’âme la plus profonde », c’est-à-dire l’âme centrale, l’âme véritable.
Parce que très souvent, quand on touche certaines parties du mental qui sont sous l’influence psychique et qui sont pleines de lumière et de la joie de cette lumière, ou quand on touche certaines parties très pures et très hautes de l’être émotif qui a les émotions les plus généreuses, les plus désintéressées, on a aussi l’impression d’être en contact avec son âme. Mais ce n’est pas l’âme véritable, ce n’est pas l’âme dans son essence même. Ce sont des parties de l’être qui sont sous son influence et qui manifestent quelque chose d’elle. Alors, très souvent les gens entrent en contact avec ces parties-là, ça leur donne des illuminations, des grandes joies, des révélations et ils ont l’impression qu’ils ont touché leur âme. Mais c’est seulement la partie de l’être qui est sous son influence, une partie ou une autre, parce que... Justement, ce qui arrive, c’est qu’on touche ces choses-là, on a des expériences, et puis ça se voile, et on se demande : « Comment se fait-il que j’aie touché mon âme, et maintenant je suis retombé dans cet état d’ignorance et d’inconscience? » Mais c’est parce qu’on n’avait pas touché son âme, on avait touché des parties de l’être qui sont sous l’influence de l’âme et qui manifestent quelque chose d’elle, mais qui ne sont pas elle.
J’ai déjà dit bien des fois que, quand on entre consciemment en contact avec son âme et que l’union s’est établie, c’est fini, ça ne peut plus se défaire, c’est une chose permanente, constante, qui résiste à tout, et qu’à n’importe quelle minute, si on se réfère à ça, on le retrouve. Tandis que les autres choses, on peut avoir de très jolies expériences, et puis elles se voilent de nouveau, et on se dit : « Comment ça se fait? j’avais vu mon âme, et maintenant je ne la trouve plus! » Ce n’était pas l’âme qu’on avait vue. Et ce sont des choses qui sont très belles, et qui vous donnent des expériences très impressionnantes; mais ce n’est pas le contact avec l’être psychique lui-même.
Le contact avec l’être psychique est définitif, et c’est à cela que je dis... quand les gens demandent : « Est-ce que j’ai un contact avec mon être psychique? », je leur dis : « Rien que votre question prouve que vous ne l’avez pas! »
C’est tout, mes enfants?
Douce Mère, j’ai entendu dire que les magiciens qui se servent des pouvoirs occultes pour leur travail souffrent beaucoup après leur mort. Est-ce vrai?
De quel genre de magiciens parles-tu? N’importe lesquels? Ceux qui ont des pouvoirs occultes, et qui s’en servent pour leur intérêt personnel, c’est ça que tu veux dire?
Oui.
Je ne sais pas s’ils souffrent après leur mort, ou s’ils perdent leur conscience, mais en tout cas, évidemment, ils ne sont pas dans des conditions de paix et de bonheur, ça c’est tout à fait sûr. Parce que c’est une sorte de règle absolue au point de vue spirituel : c’est par une discipline intérieure et par la consécration au Divin que les pouvoirs vous viennent. Mais s’il s’est mélangé à votre aspiration, à votre discipline et à votre consécration, une ambition, c’est-à-dire une intention d’obtenir des pouvoirs, s’ils vous viennent, c’est presque comme une malédiction. Généralement ils ne vous viennent pas, mais quelque chose de vital qui essaye de leur ressembler vous vient avec des influences adverses, et qui vous met entièrement sous la domination d’êtres qui vous donnent des pouvoirs simplement avec l’intention de se servir de vous, de vous utiliser pour faire tout le travail qu’ils ont l’intention de faire, et de créer tout le désordre qu’ils veulent créer. Et quand ils trouvent que vous leur avez suffisamment servi et que vous n’êtes plus bon à rien, simplement ils vous détruisent. Ils peuvent ne pas vous détruire physiquement, parce qu’ils n’ont pas toujours le pouvoir de le faire, mais ils vous détruisent mentalement, vitalement et dans votre conscience, et vous n’êtes plus bon à rien, même avant de mourir. Et après la mort, comme vous êtes entièrement sous leur influence, la première chose qu’ils font c’est de vous avaler, parce que c’est leur manière de se servir des gens — c’est de les avaler. Alors ça ne doit pas être une expérience très agréable. C’est un jeu très, très, très dangereux.
Mais partout, dans tous les enseignements, dans toutes les disciplines, dans tous les temps, on a répété la même chose : qu’il ne faut jamais mélanger d’ambition et d’intérêt personnel à la sâdhanâ, autrement il vous arrive malheur. Alors ce n’est pas seulement un cas particulier, c’est tous les cas de ce genre qui ont des conséquences funestes.
Douce Mère, est-ce qu’il y a des magiciens qui ne font pas de magie pour leur intérêt personnel?
Tu veux dire des rituels magiques? Parce que, n’est-ce pas, il ne faut pas confondre la magie avec l’occultisme.
L’occultisme est une science, et c’est la connaissance des forces invisibles et la capacité de les manier, comme on a la capacité de manier les forces matérielles si on les a étudiées scientifiquement.
La magie, ce sont des espèces de procédés qui ont été fixés probablement par des gens qui avaient une certaine connaissance, et encore plus un certain pouvoir de formation vitale. Ce sont des choses que l’on peut apprendre sans avoir aucune capacité spéciale, c’est-à-dire que quelqu’un qui n’a aucun pouvoir intérieur peut apprendre ça comme il apprendrait la chimie, par exemple, ou les mathématiques. C’est une chose que l’on apprend comme ça, ce n’est pas une chose que l’on acquiert. Alors ça ne porte pas en soi-même de vertus spéciales, excepté le même genre de vertus que celles [acquises 17 ] lorsqu’on apprend des manipulations chimiques. Vous pouvez reproduire ces manipulations, mais si vous êtes un être intelligent et capable, vous pouvez à l’aide de ces manipulations obtenir un résultat intéressant et utile, et en tout cas être à l’abri de tout danger; tandis que si vous êtes un imbécile, il peut vous arriver des malheurs. C’est quelque chose de similaire.
On peut à l’aide des formules magiques produire un certain résultat, mais ce résultat est nécessairement limité, et cela n’a pas d’intérêt spécial pour ceux qui, par leur développement intérieur, reçoivent spontanément des pouvoirs dont ils ont une connaissance supérieure, mais pas une connaissance mécanique. Ce n’est pas pour quelqu’un qui est vraiment un yogi; ça n’a aucun intérêt, excepté un intérêt de curiosité. Ce n’est intéressant que pour les gens qui justement ne sont pas des yogis, et qui veulent avoir certains pouvoirs, qu’ils ont d’ailleurs d’une façon tout à fait limitée — c’est toujours limité.
Ce que ça a de particulier, c’est que ça a une action directe sur la matière. Tandis que généralement, à part quelques rares exceptions, les gens qui ont des pouvoirs spirituels, des pouvoirs yoguiques, cela agit par l’intermédiaire des forces mentales généralement — ou des forces spirituelles ou des forces mentales —, quelquefois des forces vitales (plus rarement), mais pas directement sur la matière, excepté naturellement ceux qui ont fait le yoga dans la Matière, mais ceux-là ce sont des cas exceptionnels dont on ne parle pas. Ces choses-là mettent en mouvement certaines petites entités qui sont généralement le résultat de la décomposition d’êtres humains, et qui ont encore un contact suffisant avec le monde matériel pour pouvoir y agir. Mais de toute façon, si l’action est d’un ordre inférieur, le pouvoir est d’un ordre inférieur, et c’est une chose qui est presque répugnante pour quelqu’un qui est vraiment en rapport avec les forces supérieures.
Agir pour accomplir une œuvre avec les pouvoirs spontanés de la réalisation spirituelle, ça c’est bien entendu. Mais on peut dire que tout le monde fait ça ; parce que simplement le fait de penser fait que vous agissez d’une façon invisible; et suivant la puissance de votre pensée, votre action est plus ou moins étendue. Mais se servir de petites formules magiques pour obtenir un résultat, c’est quelque chose qui n’a pas de vraie relation avec la vie spirituelle. Au point de vue spirituel ça paraît même étonnant que ces choses-là puissent avoir toujours de l’effet, parce que pour chaque cas le besoin est différent; et comment aligner certains mots et faire certains signes peut toujours avoir de l’effet, ça paraît étonnant.
Quand on veut agir spirituellement et que pour une raison quelconque il est nécessaire, par exemple, de formuler des mots, les mots viennent spontanément et sont exactement les mots qu’il faut pour l’occasion spéciale. Mais des choses qui sont écrites d’avance et que l’on répète mécaniquement la plupart du temps, sans même savoir ce que l’on dit et pourquoi on le dit, on ne voit pas comment ça peut agir toujours. Il doit y avoir un grand flottement dans l’action. Et il y a certainement une chose, c’est que cette même formule ne doit pas avoir exactement le même effet, et qu’un facteur est indispensable pour que ça ait de l’effet : c’est la peur. La première chose, c’est une espèce de crainte, de frayeur qui est créée chez la personne contre qui est faite la magie; et si elle n’a pas peur, je suis presque absolument certaine que ça ne peut pas avoir d’effet, ou que ça a un effet si ridiculement petit qu’il n’est pas la peine d’en parler.
Ce qui ouvre la porte à l’action de ces forces, c’est la crainte, une espèce d’appréhension, l’impression que quelque chose va arriver; et ce sont ces vibrations de peur qui projettent hors de vous certaines forces qui donnent à ces entités-là le pouvoir d’agir.
Douce Mère, il y a des gens qui font de l’hypnotisme. Quand ils le font toujours sur la même personne, est-ce que cette personne tombe malade après quelque temps?
Pas forcément malade. Cela dépend du genre d’hypnotisme et de l’hypnotiseur. Pas forcément malade. Il y a une chose qui est certaine, c’est que cette personne perd sa volonté personnelle, que c’est la volonté de l’hypnotiseur qui prend la place de la volonté personnelle, autrement ça n’agirait pas. Mais pas forcément malade, terriblement dépendante! Cela produit presque une sorte d’esclavage.
(long silence)
C’est très difficile à dire, parce que cela dépend entièrement de l’hypnotiseur et de l’hypnotisé, et comment ça se passe. Sous sa forme extérieure ordinaire, c’est une chose qui peut causer beaucoup de désordre. Mais il peut y avoir un hypnotisme spontané qui peut être l’expression d’une force divine, mais alors qui ne s’exerce pas de la façon ordinaire.
Je crois qu’il y a autant de cas qu’il y a de gens. C’est comme toutes les choses. Si vous mettez une connaissance scientifique entre les mains des gens ignorants et stupides, cela peut produire des catastrophes. Et s’il s’ajoute à cela que ce sont des gens de mauvaise volonté, ou qui ont des fins personnelles, alors les résultats sont aussi mauvais que possible. Pour l’hypnotisme c’est la même chose. Cela dépend exclusivement de celui qui le pratique et comment il le pratique. Ce n’est pas une chose vraie; comme toutes les soi-disant connaissances humaines, ce n’est pas une chose vraie, mais la déformation de quelque chose.
On pourrait dire que si la Volonté divine s’exerce en vous, vous pouvez l’appeler un hypnotisme, si ça vous fait plaisir, et pourtant c’est le suprême Bien, n’est-ce pas. Mais ce que l’on appelle généralement l’hypnotisme, c’est une action tout à fait aveugle et ignorante : l’emploi du pouvoir d’une force que l’on ne connaît même pas très bien. Alors, naturellement, ça a des résultats fâcheux ; et puis, comme je dis, si ça tombe entre les mains de quelqu’un qui est sans scrupules, ou qui a des intentions mauvaises, alors ça devient tout à fait néfaste.
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