Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur trois œuvres de Sri Aurobindo : Les Bases du Yoga, Le Cycle humain et La Synthèse des Yogas ; et sur une de ses pièces de théâtre, Le Grand Secret.
Cet Entretien se rapporte au chapitre V de Les Bases du Yoga, « La conscience physique, le subconscient, le sommeil et les rêves, la maladie. »
Douce Mère, ici, il est écrit : « Il y a une Yoga-Shakti qui se tient enroulée ou endormie... » Comment faut-il l’éveiller?
Je crois qu’elle s’éveille tout à fait naturellement de la minute où l’on prend la résolution de faire le yoga. Si la résolution est sincère et qu’on a une aspiration, elle s’éveille d’elle-même. En fait, c’est peut-être son éveil qui donne l’aspiration pour faire le yoga.
Il se peut que ce soit un effet de la Grâce... ou après une conversation ou une lecture, quelque chose qui a tout d’un coup donné l’idée et l’aspiration de savoir ce que c’est que le yoga et de le pratiquer. Il suffit quelquefois d’une simple conversation avec quelqu’un, ou le passage d’un livre qu’on lit, eh bien, cela éveille cette Yoga-Shakti, et c’est elle qui fait faire votre yoga.
On ne s’en aperçoit pas tout d’abord — excepté qu’il y a quelque chose qui est changé dans notre vie, une décision nouvelle qui est prise, un tournant.
Qu’est-ce que c’est, cette Yoga-Shakti, Douce Mère?
C’est l’énergie de progrès. C’est l’énergie qui vous fait faire justement le yoga, le progrès — consciemment. C’est une énergie consciente.
En fait, la Yoga-Shakti, c’est le pouvoir de faire le yoga.
Douce Mère, est-ce que ce n’est pas plus difficile de tirer les forces divines d’en bas?
Je crois que c’est tout à fait inutile.
Il y a des gens qui pensent qu’il y a plus de réserves d’énergie — j’ai entendu dire cela très souvent —, une grande réserve d’énergie dans la terre, et que s’ils tirent cette énergie à eux ils seront capables de faire des choses; mais c’est toujours mélangé.
Il y a la Présence divine partout, c’est bien entendu. Et en fait, il n’y a ni haut ni bas. Ce que l’on appelle haut et bas, je pense que c’est plutôt l’expression d’un degré de conscience ou d’un degré de matérialité : il y a plus inconscient et moins inconscient, il y a ce qui est sous-conscient et ce qui est superconscient, et alors on dit haut et bas pour la facilité du langage.
Mais en fait, l’idée c’est de tirer des énergies de la terre qui, quand vous êtes debout, se trouve sous vos pieds, c’est-à-dire en bas par rapport à vous. Mais ces énergies sont toujours mélangées, et la plupart du temps elles sont terriblement obscures. Pas de questions?
(À l’enfant qui l’avait interrogée) Tu en as une autre?
Douce Mère, qu’est-ce que ça veut dire exactement, descendre « dans les parties ou les zones inférieures de la nature » ?
C’est justement descendre dans l’obscurité, s’éloigner de la lumière pour se rapprocher de l’obscurité, s’éloigner de la conscience pour se rapprocher de l’inconscience.
On a dans sa conscience le sentiment de monter au-dessus de ce qui est obscur et ordinaire et inconscient, de s’élever — parce que généralement notre tête est en haut et que notre tête est plus consciente que le reste de notre corps —, et l’impression qu’on a au-dessus de soi une conscience plus grande. Alors quand on fait un effort de progrès, on fait en même temps un effort d’ascension. On a même quelquefois symboliquement l’impression qu’on gravit une montagne et que l’on veut arriver au sommet, c’est-à-dire aussi près que possible des étendues libres de la lumière, de ce qui est plus pur. Et si on ne fait pas attention, tout naturellement, spontanément on re-glisse dans la conscience ordinaire.
Il y a un très grand pouvoir d’attraction dans les choses basses, obscures, ordinaires. Cette impression d’être tiré par les pieds dans une boue profonde... certains contacts, certaines actions, certains mouvements de conscience vous donnent l’impression que vous glissez dans un trou bourbeux et sombre.
Souvent, quand on a fait un effort et qu’on a progressé, on a l’impression de se soulever au-dessus de soi-même dans une lumière, une conscience plus pures, plus claires, plus vraies. Mais si on ne garde pas cette aspiration et si on ne s’établit pas là d’une façon définitive, il suffit d’une très petite chose — une sorte de désharmonie physique, par exemple —, ou d’une rencontre, une parole échangée, ou un geste fait inconsciemment pour qu’on ait l’impression de quelque chose qui tombe; et on ne peut plus rattraper cette hauteur dans laquelle on était, cette lumière. Alors il faut se retirer de nouveau, gravir la pente, échapper à cette attraction d’en bas. Quelquefois, ça prend du temps; on glisse très vite, mais on remonte — généralement avec une certaine difficulté.
C’est comme quand on lutte physiquement par des moyens yoguiques avec une maladie, ça va par alternance. On peut arriver à s’extraire, pour ainsi dire, de la maladie, à s’éloigner d’elle, à faire que cette relation que l’on avait avec elle n’existe plus; et alors tout d’un coup on émerge au-dessus de ce sentiment de malaise, de désordre et de confusion, et on s’aperçoit qu’on est guéri. Mais il suffit même quelquefois du souvenir, il suffit d’un mouvement d’étonnement, il suffit du souvenir de ce que c’était pour que de nouveau tout soit renversé et qu’il faille recommencer le même travail. Quelquefois il faut recommencer trois fois, quatre fois, dix fois, vingt fois. Et alors il y a des gens qui peuvent faire l’effort une fois, mais la seconde fois ils ne le font plus bien, et la troisième fois ils ne le font plus du tout; et alors ils vous disent : « Oh ! on ne peut pas se guérir par des moyens occultes, la Force divine ne vous guérit pas, il vaut mieux prendre des médicaments. » Alors pour ceux-là, il vaut mieux aller chez le docteur, parce que ça veut dire qu’ils n’ont pas de persévérance spirituelle et qu’il n’y a que les moyens matériels qui peuvent les convaincre de leur efficacité.
Quand on veut changer quelque chose de la vie matérielle, que ce soit le caractère ou le fonctionnement des organes ou les habitudes, il faut être d’une persévérance à toute épreuve, être prêt à recommencer cent fois la même chose avec la même intensité qu’on l’a faite la première fois, et comme si on ne l’avait jamais faite auparavant. Les gens qui se vexent, ils ne peuvent pas faire ça. Mais si on ne peut pas faire ça, on ne peut pas faire le yoga, en tout cas pas le yoga intégral, on ne peut pas changer son corps.
Pour changer son corps, il faut être prêt à faire des millions de fois la même chose, parce que le corps est un être d’habitudes et qu’il fonctionne par routine, et que pour détruire une routine il faut persévérer pendant des années.
C’est tout?
C’est hors du texte.
Ça ne fait rien, mon enfant.
Douce Mère, le vrai moi et le psychique, est-ce que c’est la même chose?
Non.
Le vrai moi, c’est ce que l’on appelle aussi la vérité de l’être. C’est l’élément divin qui est votre réalité individuelle. C’est l’élément divin qui fait que vous êtes une individualité séparée, et c’est en même temps un fragment de l’Être unique et naturellement l’Être unique Lui-même; c’est-à-dire que tout en étant un aspect particulier qui fait que vous êtes un individu, c’est une partie intégrante de l’Unique qui fait que vous êtes seulement une objectivation de l’Unique. Ça, c’est le vrai moi.
L’être psychique est d’une formation terrestre. Ce sont les êtres humains qui ont un être psychique qui s’est développé sur la terre et par la vie terrestre, et qui est une projection de la Conscience divine dans la Matière pour éveiller la Matière hors de son inertie afin qu’elle reprenne le chemin du Divin.
Mais dans certains cas, ce vrai moi se trouve dans l’être psychique, c’est-à-dire qu’il loge dans l’être psychique, mais pas toujours.
Il y a toujours une présence divine dans l’être psychique, mais c’est la présence divine qui était à l’origine de la formation psychique, c’est une émanation de la Conscience divine. Tandis que le vrai moi n’est pas de formation terrestre. Il est antérieur à la formation terrestre.
C’est tout? Plus de questions? Tu en as encore? Tu peux en poser.
Douce Mère, dans la journée quand on a une difficulté et que ce n’est pas possible de te voir ou de te la dire, que doit-on faire?
Si ce n’est pas du tout possible, il faut s’asseoir tout seul, tâcher de devenir silencieux, appeler, m’appeler comme si j’étais là, me faire venir et me présenter la difficulté d’une façon tout à fait sincère et objective; et puis se tenir très silencieux, très tranquille et attendre le résultat.
Et je pense que le résultat vient. Parce que cela dépend de la nature de la difficulté. Si c’est un problème à résoudre, alors la solution vient; si c’est un mouvement intérieur, quelque chose qui a tourné de travers, alors généralement si on fait cela très sincèrement, eh bien, ça se remet en place; et si c’est une décision à prendre, si c’est quelque chose dont on ne sait pas s’il faut le faire ou s’il ne faut pas le faire, alors ça aussi, si on est bien tranquille, on sait si c’est oui ou non ; ça vient : « Oui », ou « Non ». Alors là il ne faut plus discuter, il ne faut plus que le mental dise : « Mais si...? et puis... », parce qu’alors ça brouille tout. Il faut dire : « Bon ! » et suivre comme ça. Mais pour cela, il faut être sincère, dans ce sens qu’il ne faut pas avoir de préférence.
Si la difficulté vient de ce qu’il y a une partie de l’être qui veut une chose et l’autre partie de l’être qui sait qu’il ne faut pas l’avoir, alors ça se complique du fait que la partie qui veut, peut essayer d’introduire sa volonté dans la réponse. Alors quand on s’assoit, il faut d’abord commencer par lui faire faire un petit acte de soumission sincère, et c’est là qu’on peut faire le vrai progrès, dire : « Maintenant je suis conscient — ou consciente — que c’est ça que je désire, mais je suis prêt à faire l’abandon de mon désir si cela doit être fait. » Mais il faut faire cela pas seulement dans la tête, il faut faire cela sincèrement et puis alors procéder comme j’ai dit. Alors on sait — on sait ce qu’il faut faire.
Quelquefois, on trouve plus commode d’écrire sur un papier; on s’imagine que je suis là, et puis on prend un papier et on écrit dessus ce qu’on voulait me dire. Alors rien que le fait de formuler clairement, quelquefois ça vous donne l’image vraie de la situation, et on peut plus facilement avoir la réponse. Cela dépend, quelquefois c’est nécessaire, quelquefois ce n’est pas nécessaire, mais si on est dans une confusion, une sorte de tourbillon, surtout s’il y a une effervescence vitale, le fait de s’obliger à mettre ça sur le papier, déjà ça vous tranquillise, ça commence le travail de purification.
En fait, on devrait toujours faire cela, quand on sent qu’on est saisi par une impulsion d’un ordre quelconque, particulièrement des impulsions de colère. Si on prend comme une discipline absolue : au lieu d’agir ou de parler (parce que la parole est une action), au lieu d’agir sous l’impulsion, si on se retire et puis on fait comme j’ai dit, on s’assoit tranquillement, on se concentre, et puis alors on regarde sa colère tranquillement, on écrit sur le papier : quand on a fini d’écrire, c’est parti — le plus souvent, en tout cas.
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