Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur trois œuvres de Sri Aurobindo : Les Bases du Yoga, Le Cycle humain et La Synthèse des Yogas ; et sur une de ses pièces de théâtre, Le Grand Secret.
Cet Entretien est basé sur le chapitre IV de Lumières sur le Yoga, « Travail ».
Douce Mère, ici, je n’ai pas compris : « On doit avoir la même conscience dans l’expérience intérieure et dans l’action extérieure, et on doit remplir l’une et l’autre de la Mère. »
Moi, je n’ai pas compris non plus. Est-ce qu’il n’y a pas un membre de phrase qui manque? Moi-même je n’ai pas compris la structure de cette phrase. (Mère se tourne vers Pavitra) Il me semble qu’il y a au moins un mot qui manque.
(Pavitra) Je vérifierai en rentrant, avec l’anglais.
Non, ça peut être comme cela en anglais. Je conçois la phrase anglaise, mais en français ce n’est pas clair. (Mère reprend le texte) Oui, c’est tout au commencement. (Mère lit la phrase) Oh! oui, oui, « remplir de la Mère », ce n’est pas clair, « avec » serait plus clair. « Remplir de quelque chose »? On dit « remplir avec de l’eau ». « Avec » serait mieux, n’est-ce pas? « et on doit remplir l’une et l’autre avec la Mère » — « de la Mère » n’est pas clair — « et on doit remplir l’une et l’autre »... on pourrait mettre « l’une et l’autre doivent être remplies de la Mère », ce serait plus clair, « l’une et l’autre doivent être remplies de la Mère », ou « pleines » : « l’une et l’autre doivent être pleines de la Mère », « remplies de la Mère »; mais « on doit remplir l’une et l’autre de la Mère », ce n’est pas clair; « remplir de quelque chose »... et puis c’est si drôle, n’est-ce pas? C’est comme ça, c’est comme « j’ai rempli ma boîte de bonbons ou un verre d’eau »!
(Pavitra) C’est cela, le mot « remplir » est trop concret en français.
Alors, maintenant vous avez compris?... C’est tout?
Douce Mère, quand quelqu’un veut faire un travail, est-ce que c’est mieux que tu choisisses le travail pour lui, ou qu’il le choisisse lui-même?
Cela dépend du point de vue auquel on se place.
Si c’est au point de vue du yoga et de la personne qui veut faire le travail, il vaut mieux lui laisser choisir, parce qu’il peut, par exemple, être sous une illusion qu’il est capable de faire une chose, et il ne l’est pas; ou il a une ambition, il veut faire quelque chose pour satisfaire son amour-propre, sa vanité. Et alors, si on le laisse faire (comme le travail qui est fait ici est sous l’influence de la Conscience de Vérité), son incapacité de faire le travail apparaîtra immédiatement, et il pourra faire un progrès; tandis que si on voit qu’une telle personne est capable de faire tel travail — un autre travail, n’est-ce pas —, et qu’on lui dise : « Non, celui-là ne vous va pas, il vaut mieux que vous fassiez celui-ci », il ne sera jamais convaincu (il ou elle, ça ne fait rien), il croira toujours que c’est une décision arbitraire, que c’était simplement parce qu’on préférait qu’il fasse ceci ou cela. Alors, à son point de vue personnel, il vaut mieux lui laisser faire ce qu’il demande, afin qu’il fasse le progrès qu’il doit faire. S’il arrive qu’il est très conscient du travail qu’il peut faire et qu’il demande justement le travail qu’il doit faire, alors c’est très bien, il n’y a plus de question, c’est très bien.
Mais dans certains cas, il peut ne pas être très bon de laisser quelqu’un barboter et déranger le travail pour que cela lui fasse faire une expérience. Alors, si le travail qui est à faire est plus important que le yoga de la personne, on lui dit : « Non, je regrette, mais vous n’êtes pas capable de faire cela. Il faut que vous fassiez ceci. » Seulement, pour lui ou pour elle, j’ai dit, cela augmente sa difficulté; parce qu’il restera convaincu que son choix était meilleur que celui que l’on a fait; tandis que par l’expérience, quand il aura bien échoué dans ce qu’il a entrepris, il comprendra qu’il s’était trompé.
Maintenant, je le répète : s’il se trouve qu’il est conscient de ce que vraiment il peut faire, il n’y a qu’à le laisser faire ce qu’il veut, c’est très bien, ça. Le problème ne se pose pas. Il n’y a pas de différence entre la perception de ce qu’il doit faire, et ce qu’il choisit de faire; dans ce cas-là il n’y a pas de problème. Ainsi cela dépend absolument du cas, et de la nature du travail à faire.
C’est exactement la même chose que le problème de l’éducation des enfants. Il y a toutes sortes de théories différentes et même opposées. Il y a des gens qui disent : « Il faut laisser les enfants faire toutes leurs expériences, parce que c’est en faisant l’expérience qu’ils apprennent les choses le mieux. » Comme ça, comme idée, c’est excellent; pratiquement, évidemment cela nécessite quelques restrictions, parce que si vous laissez un enfant marcher sur l’arête d’un mur et qu’il tombe et qu’il se casse une jambe ou la tête, l’expérience est un peu dure; ou si vous le laissez jouer avec une boîte d’allumettes et qu’il se brûle les yeux, n’est-ce pas, c’est payer très cher un peu de connaissance! J’ai discuté cela avec... je ne me souviens plus qui... c’était un éducateur, un homme qui s’occupait d’éducation, qui était venu d’Angleterre, et qui avait ses idées sur la nécessité d’une liberté absolue. Je lui ai fait cette réflexion, alors il a dit : « Mais pour l’amour de la liberté, on peut sacrifier l’existence de beaucoup de gens. » C’est une opinion! (Mère rit)
En même temps, l’excès opposé d’être là tout le temps à empêcher un enfant de faire son expérience, en lui disant : « Ne fais pas ça, il va arriver ça », « ne fais pas ça, il va arriver ça »... alors, finalement, il sera tout recroquevillé sur lui-même, et il n’aura ni de courage ni d’audace dans la vie, et c’est très mauvais aussi.
Au fond, cela revient à ceci : il ne faut jamais faire de règles, il faut à chaque minute tâcher d’appliquer la plus haute vérité que l’on peut percevoir. C’est beaucoup plus difficile, mais c’est la seule solution. Quoi que ce soit que l’on fasse, ne faites pas de règles d’avance, parce qu’une fois que vous avez fait une règle, vous la suivez plus ou moins aveuglément, et alors vous êtes sûr, quatre-vingt-dix-neuf fois et demie sur cent, de vous tromper.
Il n’y a qu’une façon d’agir d’une façon vraie, c’est à chaque minute, à chaque seconde, dans chaque mouvement, d’essayer de n’exprimer que la vérité la plus haute que l’on puisse percevoir, et en même temps savoir que cette perception doit être progressive et que ce qui vous paraît le plus vrai maintenant ne le sera plus demain, et qu’une vérité plus haute devra s’exprimer de plus en plus à travers vous. Ça ne laisse plus de place pour s’endormir dans un tamas confortable; il faut être toujours éveillé — je ne parle pas d’un sommeil physique —, il faut être toujours éveillé, toujours conscient et toujours plein d’une réceptivité éclairée et plein de bonne volonté. Vouloir toujours le mieux, toujours le mieux, toujours le mieux ; et ne jamais se dire : « Oh! c’est fatigant! Si on se reposait, si on se délassait! Ah! je vais arrêter mon effort », alors on est sûr de tomber dans un trou immédiatement et de faire une grosse bêtise!
Le repos, ça ne doit pas être un repos qui descend dans l’inconscience et dans le tamas. Le repos, ça doit être une ascension dans la Lumière, dans la Paix parfaite, dans le Silence total, un repos qui surgit hors de l’ombre. Alors c’est un vrai repos, un repos qui est une ascension.
Douce Mère, les enfants au Dortoir m’ont dit de te demander si c’est bon de lire les classiques illustrés.
Lire quoi?
« Classics illustrated » !
Qu’est-ce que c’est que ça ? (rires)
(L’enfant donne un exemplaire de ces « classiques » à Mère)
Maintenant tous les enfants lisent cela, et ils m’ont dit qu’ils le lisent même pendant la classe, quand le professeur parle de quelque chose d’autre.
Eh bien, qu’est-ce que c’est que ça ? (Mère feuillette le livre) Ooooh! D’où ça sort, ça ?
D’Amérique.
C’est américain? (Mère feuillette encore) Eh bien, mes enfants, c’est d’une vulgarité navrante! Voilà, c’est tout ce que je peux en dire.
Maintenant il y en a des centaines ici, Douce Mère!
Il y a des centaines d’exemplaires?
Oui, Mère! Ils en font des collections.
(Un autre enfant) Des livres différents, pas des mêmes livres.
(Pavitra) Plus d’une centaine.
(Un autre enfant) Des livres différents, pas celui-ci seulement.
(Premier enfant) Tous les livres; on en fait avec les meilleurs livres, et alors ils lisent cela et ils ne lisent pas les livres.
(Deuxième enfant) De toutes les langues.
Oui, c’est un signe des temps. C’est la vulgarisation de tout : la vulgarisation des idées, la vulgarisation des chefs-d’œuvre, la vulgarisation de l’histoire, tout; tout mis aussi bas que possible, afin qu’on n’ait pas besoin de se relever; on peut ramper par terre et puis avoir ça. C’est la descente de la conscience aussi plat que possible, et puis là on se vautre.
Oh! non, c’est repoussant!
Enfin, c’est votre affaire! Si vous aimez faire comme les animaux qui aiment patauger dans la boue, faites comme ça, ça vous regarde. C’est tout. C’est lamentable.
Bon, la question est close, sans amendement.
Maintenant, je ne donne pas d’ordres; chacun suivant sa conscience. Si vous voulez descendre, c’est un très bon moyen. (rires)
Si vous voulez monter, eh bien, je vous conseille de jeter ça à la rue. Oh! n’importe où, ça ne vaut pas d’être gardé — nulle part.
Mère, ce sont les plus âgés qui les répandent chez les petits.
Oui.
Et sans vous le demander.
On me l’a demandé. On vient de me le demander.
On l’avait déjà fait avant de vous le demander.
Bien! C’est à la Bibliothèque qu’on obtient ces choses-là ?
Non, Mère.
Ah! (rires)
Figurez-vous que même quand on vous donne ces choses-là dans un disque (on a eu des disques), eh bien, même ça... j’étais juste sur le point de dire : « Eh bien, c’est un peu vulgaire. » Parce que, pour que le disque se vende et que ça puisse être entendu par tout le monde, on descend la valeur artistique de la chose un petit peu pour la mettre à la portée du public... et c’était un peu grandiloquent, forcé, cela n’avait pas toute la pureté de l’original. On nous a joué ce Julius Cæsar un jour, n’est-ce pas. Eh bien, déjà là, je faisais mes restrictions; je me disais : « Ça fausse le goût des gens. » Au lieu d’avoir la noblesse pure de la chose, ça exagère juste un peu pour que ça plaise au plus grand nombre.
Alors vous comprenez, c’était déjà un sommet en comparaison. Au moins, cela avait des aspirations à la réalisation artistique. Ce n’était pas tout à fait bien réalisé, mais il y avait un effort. Ceci, c’est tout le contraire. Enfin!
Maintenant, soyez courageux ! Combien d’entre vous avaient lu ces livres? (Beaucoup d’enfants lèvent la main)
Nom d’un chien! Et vous avez le toupet de me demander des méditations! Eh bien, en voilà une préparation pour méditer!
J’en ai lu quelques-uns pour voir, Douce Mère.
Bon.
Eh bien, ce soir je ne vous donnerai pas de méditation. Ce sera pour la semaine prochaine, si vous voulez, mais pas ce soir.
Voilà ! Au revoir!
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