Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur trois œuvres de Sri Aurobindo : Les Bases du Yoga, Le Cycle humain et La Synthèse des Yogas ; et sur une de ses pièces de théâtre, Le Grand Secret.
Mère poursuit la lecture de Les Bases du Yoga qu’elle a commencée l’année précédente. Cet Entretien se rapporte au chapitre III, « En difficulté ».
Douce Mère, comment peut-on créer l’harmonie de la nature avec l’action et la lumière et la puissance divines?
Comment on peut? En essayant.
Il faut d’abord être conscient du genre d’harmonie que l’on veut réaliser. Il faut se rendre compte des points sur lesquels cette harmonie n’existe pas; il faut les sentir, et comprendre la contradiction entre la conscience intérieure et certains mouv ements extérieurs. Il faut devenir conscient de ça d’abord, et une fois qu’on en est conscient, alors on tâche d’adapter l’action extérieure, les mouvements extérieurs, à l’idéal intérieur. Mais il faut d’abord se rendre compte du désaccord. Parce qu’il y a beaucoup de gens qui croient que tout va bien; et si on leur dit : « Non, votre nature extérieure est en contradiction avec votre aspiration intérieure », ils protes tent, ils ne se rendent pas compte. Par conséquent, le premier pas, c’est de se rendre compte, c’est de devenir conscient de ce qui ne s’accorde pas.
D’abord, la majorité des gens diront : « Qu’est-ce que c’est que cette conscience intérieure dont vous me parlez? Je ne la connais pas! » Alors, évidemment, ils ne peuvent pas établir un accord, s’ils ne sont même pas conscients de quelque chose d’intérieur qui est supérieur à leur conscience ordinaire. Ce qui fait qu’il y a beaucoup de choses prépara toires, de prises de conscience préparatoires, avant d’être prêt pour cette harmonisation.
Il faut d’abord savoir quel est le but intérieur de l’être, l’aspiration, la force qui descend, ce qui la reçoit — tout doit devenir conscient. Et puis après, alors, on doit regarder les mouvements extérieurs à la lumière de cette conscience inté rieure, et voir ce qui s’accorde et ce qui ne s’accorde pas. Et puis, quand on a vu ce qui ne s’accorde pas, il faut rassembler la volonté et l’aspiration pour le changer et commencer par le bout le plus fac ile. Il ne faut pas commencer par la chose la plus difficile, il faut commencer par la chose la plus facil e, celle qu’on comprend le mieux, le plus facilement, le désaccord qui vous paraît le plus évident. Puis de là, petit à petit, on ira vers les choses plus difficiles et plus centrales... Pourquoi est-ce qu’on se t ord le pied?...
(silence)
Mère, la dernière fois, tu as dit que les forces hostiles, cette année, vont porter un dernier coup. Si la terre n’es t pas capable de remporter la victoire...
La terre? J’ai dit la terre?
La terre, l’ Inde et les individus.
Oui, c’est possible, c’est une façon de parler. Et alors, si nous ne sommes pas capables de remporter la victoire...?
Est-ce que cela veut dire que la possibilité de transformation est retardée?
Retardée p eut-être de plusieurs siècles. C’est justement ça que les forces adverses essayent de réaliser, et elles ont toujours réussi jusqu’à présent — remettre la chose. Toujours, elles ont réussi : « Ce sera pour une au tre fois », et l’autre fois... peut-être après des centaines ou après des milliers d’années. Et c’est ce qu’e lles veulent essayer de faire encore. Peut-être que tout ça est décrété quelque part. C’est possible. Mais il est possible aussi que quoique ce soit décidé, pour que la chose se passe comme elle doit se passer, il n’est pas bon de révéler ce qui est décidé. Il y a beaucoup de choses comme ça, parce que les gens ne sont ni assez conscients ni assez purs pour faire ce qu’ils doivent faire, exactement comme ils doivent le faire, avec la pleine connaissance du résultat, parce que le résultat, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, n’est pas celui qu’ils désirent; ou si c’est celui qu’ils désirent, il est mitigé, il est mélangé, il est atténué, il y a des différences, des différences suffisantes pour ne pas satisfaire pleinement. Alors si on savait d’avance exactement ce qui va arriver, on resterait assis, tranquille et ne ferait plus rien. On dirait : « Bon, si cela doit arriver, c’est bien, je n’ai plus rien à faire. » C’est pour ça qu’on ne sait pas. Mais celui qui peut agir en toutes circonstances en pleine connaissance de cause, sachant quel sera le résultat de son action et en même temps faire une chose, quelquefois, qui est en contradiction avec ce résultat, celui-là, il peut savoir. Mais je ne pense pas qu’il y en ait beaucoup. Dans la vie ordinaire j’ai entendu dire que, pour que quelqu’un réalise quelque chose, il fallait toujours qu’il vise beaucoup plus loin que le but qu’il atteindra ; que tous les gens qui ont réalisé quelque chose dans la vie, toutes les grandes figures qui ont créé, réalisé quelque chose, leur but, leur ambition, leur plan était toujours beaucoup plus grand, plus vaste, plus complet, plus total que ce qu’ils ont fait. Ils ont été toujours au-dessous de leur attente et leur espoir. C’est une infirmité, mais qui provient de ce que j’ai dit, c’est que, à moins qu’on n’ait un très grand idéal au-devant de soi et l’espoir de le réaliser, on ne met pas en mouvement toutes les énergies de l’être, et par conséquent on ne fait pas ce qu’il faut pour atteindre même le but suivant, excepté, comme je dis, quand on peut agir avec la claire vision que « c’est cela qu’il faut faire » et sans avoir le moindre souci pour les conséquences et le résultat de ce que l’on fera ; mais ça, c’est difficile.
Douce Mère, que veut dire « optimisme à la Coué » ?
Ah! Coué. Tu ne connais pas l’histoire de Coué? Coué était un docteur. Il traitait par un traitement psychologique — l’autosuggestion —, et il appelait ça le vrai fonctionnement de l’imagination; et ce qu’il définissait comme imagination, c’était la foi. Et alors il traitait tous ses malades comme ceci : ils devaient faire une sorte de formation imaginative qui consistait à se penser guéris, ou en tout cas guérissant, et à se répéter cette formation avec une suffisante persistance pour qu’elle ait son effet. Il a eu des résultats très remarquables. Il a guéri des quantités de gens; seulement, il a échoué aussi; et ce n’étaient peut-être pas des guérisons très persistantes, ça je ne sais pas. Mais en tout cas, ça a fait réfléchir beaucoup de gens sur une chose tout à fait vraie, et qui est d’une importance capitale : c’est que le mental est un instrument formateur, et que si on sait s’en servir de la vraie manière, on obtient un bon résultat. Il constatait — et je pense que c’est vrai, mon observation a été d’accord — que les gens passent leur temps à mal penser. Leur activité mentale est presque toujours à moitié pessimiste, et même à moitié destructrice. Ils sont tout le temps à penser et à prévoir les mauvaises choses qui peuvent arriver, les conséquences fâcheuses de ce qu’ils ont fait, et ils bâtissent toutes sortes de catastrophes avec une imagination débordante qui naturellement, si elle était utilisée de l’autre manière, aurait des résultats opposés et plus satisfaisants.
Si on s’observe, si on... comment dire... on s’attrape en train de penser, eh bien, si vous le faites tout d’un coup, si vous vous regardez penser tout d’un coup, d’une façon spontanée, inattendue, vous vous apercevez que, neuf fois sur dix, vous êtes en train de penser quelque chose de fâcheux. Il est très rare que vous pensiez à des choses harmonieuses, belles, constructrices, favorables, pleines d’espoir, de lumière, de joie; vous verrez, faites l’expérience. Tout d’un coup arrêtez-vous, regardez-vous penser, là, comme ça : vous mettez un écran en face de votre pensée, et vous vous regardez penser, impromptu, vous verrez ça au moins neuf fois sur dix, et peut-être plus. (Il est très rare, il est très rare que l’on ait dans la journée, tout d’un coup, une pensée éblouissante de ce qui va arriver, ou de l’état dans lequel on est, ou des choses que l’on veut faire, ou du cours de sa vie, ou des circonstances mondiales — ça dépend de votre préoccupation.) Eh bien, vous verrez, c’est presque toujours pour prévoir une catastrophe, plus ou moins grande, plus ou moins vaste.
Vous avez, n’est-ce pas, vous avez la moindre chose qui ne va pas tout à fait bien... si vous pensez à votre corps, c’est toujours qu’il va lui arriver quelque chose de désagréable — parce que, quand tout va bien, vous n’y pensez pas! Vous remarquerez ça, que vous agissez, vous faites tout ce que vous avez à faire, sans avoir une seule pensée pour votre corps, et quand tout d’un coup vous vous demandez s’il n’y a pas quelque chose qui va mal, s’il y a un malaise, ou une difficulté, quelque chose, alors vous commencez à penser à votre corps et vous y pensez avec anxiété, et vous commencez à faire vos constructions néfastes.
Tandis que Coué vous recommandait... c’était comme ça qu’il guérissait son malade... c’était un docteur, il leur disait : « Vous allez vous répéter : je suis en train de guérir, petit à petit je suis guéri et puis, n’est-ce pas, je suis fort, je suis en bonne santé, et je peux faire ceci, je peux faire cela. »
J’ai connu quelqu’un qui perdait ses cheveux d’une façon désastreuse, par poignées. On lui a fait essayer la méthode. Elle s’obligeait, quand elle se coiffait, à penser : « Mes cheveux ne tomberont pas. » La première fois, la seconde fois, ça n’a pas eu de résultat, mais elle a persisté, et chaque fois avant de se coiffer, elle se répétait avec insistance : « Je vais me coiffer, mais mes cheveux ne tomberont pas. » Et au bout d’un mois, il n’y avait plus de cheveux qui tombaient. Et puis après, alors elle a continué en pensant : « Maintenant mes cheveux vont pousser. » Et elle a si bien réussi que moi j’ai vu cette personne avec une chevelure magnifique, et c’est elle-même qui m’a dit ça, que c’était comme ça qu’elle avait fait, après avoir été sur le point d’être chauve. C’est très, très efficace. Seulement il ne faut pas, pendant qu’on fait la formation, qu’une autre partie du mental dise : « Oh, je suis en train de faire une formation et ça ne va pas réussir », parce que, là, alors, vous défaites votre propre travail.
Coué, c’était au commencement du siècle, je crois... (Mère se tourne vers Pavitra)
(Pavitra) Je l’ai vu en 1917 ou 1918 à Paris.
Oui, c’est ça, le commencement du siècle, le premier stade du siècle. Vous l’avez connu?
(Pavitra) À Paris, oui.
Ah, ah! racontez-nous ça.
(Pavitra) J’ai entendu une ou deux de ses conférences. La méthode qu’il donnait aux malades, c’était de répéter, d’abord tous les matins, et plusieurs fois dans la journée : « Je vais de mieux en mieux, tous les jours je vais de mieux en mieux, chaque jour je me porte mieux », tous les matins, tous les soirs, plusieurs fois par jour, avec conviction, en se serrant les mains comme ça...
Oh! si on se mettait en colère : « Je vais de mieux en mieux, je ne me mets plus en colère. » (rires)
(Pavitra) « Tous les jours je suis de plus en plus intelligent. »
Ça c’est bon. Tiens, et si on répète à un enfant, si on lui fait répéter : « Je suis de plus en plus sage. »
« Je suis de plus en plus sage, je suis de plus en plus obéissant. » Oh, mais ça, c’est très bien. (À un enfant) Tu demandais l’autre jour comment faire pour les enfants qui sont difficiles à élever. Voilà, on peut essayer ça. « Je suis de plus en plus régulier à l’école. »
Et puis alors : « Je ne dis plus de mensonges. Je ne mens plus jamais. »
(Pavitra) D’abord on le disait dans le futur, et ensuite on rapprochait le futur et alors on finissait dans le présent.
Oh, on finit dans le présent. Et combien de temps ça prenait?
(Pavitra) Ça dépendait de la personne.
Ça dépend des cas. « Je ne mentirai plus, c’est mon dernier mensonge. » (rires)
Alors on finit.
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