Ce volume comporte les réponses de la Mère aux questions des enfants de l’Ashram et des disciples, et ses commentaires sur trois œuvres de Sri Aurobindo : Les Bases du Yoga, Le Cycle humain et La Synthèse des Yogas ; et sur une de ses pièces de théâtre, Le Grand Secret.
Cet Entretien se rapporte au chapitre IV de Les Bases du Yoga, « Le désir, la nourriture, le sexe ».
Douce Mère, ici : « Le soleil et la lumière peuvent être une aide et le seront... »
C’est évidemment quelqu’un qui avait décrit une expérience dans laquelle il était en relation avec un soleil et une lumière, et qui désirait prendre appui sur eux pour s’aider dans la sâdhanâ. C’est la réponse à une expérience.
Douce Mère, est-ce que le désir est contagieux ?
Ah, oui! très contagieux, mon enfant. C’est encore beaucoup plus contagieux que la maladie. Si quelqu’un a un désir à côté de toi, immédiatement ça entre en toi; et en fait, c’est comme ça qu’on l’attrape le plus. Ça passe de l’un à l’autre... Terriblement contagieux — d’une façon si puissante qu’on ne s’aperçoit même pas que c’est une contagion. Tout d’un coup on sent quelque chose s’élancer en soi, c’est quelqu’un qui l’a gentiment mis dedans. Évidemment on pourrait dire : « Pourquoi on n’isole pas les gens qui ont des désirs? » Alors il faudrait isoler tout le monde! (Mère rit)
D’où vient le désir?
Le Bouddha disait qu’il venait de l’ignorance. C’est assez ça. C’est une chose dans l’être qui s’imagine qu’elle a besoin d’une autre chose pour être satisfaite. Et la preuve que c’est une ignorance, c’est que quand on l’a satisfaite, on n’y tient plus, au moins quatre-vingt-dix-neuf fois et demie sur cent. C’est, je crois, tout à l’origine, un obscur besoin d’accroissement. Comme dans les formes les plus inférieures de la vie, l’amour se transforme en besoin d’avaler, d’absorber, de s’adjoindre à une autre chose; ça, c’est la forme la plus primitive de l’amour dans les formes les plus inférieures de la vie. C’est prendre et absorber. Eh bien, le besoin de prendre, c’est le désir. Alors peut-être que si on remontait assez loin dans le fin fond de l’inconscience, on pourrait dire que l’origine du désir, c’est l’amour. C’est l’amour dans sa forme la plus obscure et la plus inconsciente. C’est un besoin de s’adjoindre à quelque chose, une attraction, un besoin de prendre, n’est-ce pas.
Prenez par exemple... vous voyez quelque chose qui est — qui vous paraît ou qui est — très beau, très harmonieux, très plaisant; si vous avez la conscience véritable, vous avez éprouvé cette joie de voir, d’être en contact conscient avec quelque chose qui est très beau, très harmonieux, et puis c’est tout. Ça s’arrête là. Vous avez la joie de ça : qu’une telle chose existe. Et ça, c’est assez fréquent chez les artistes qui ont le sens de la beauté. Par exemple, un artiste peut voir une belle créature, et avoir la joie d’observer la beauté, la grâce, l’harmonie des mouvements et tout ça, et c’est tout. Ça s’arrête là. Il est parfaitement heureux, parfaitement satisfait, parce qu’il a vu quelque chose de beau. Une conscience ordinaire, tout à fait ordinaire, plate comme toutes les consciences ordinaires, dès qu’elle voit quelque chose de beau, que ce soit un objet ou que ce soit une personne, hop! « Je la veux ! » C’est lamentable, n’est-ce pas. Et par-dessus le marché, il n’a même pas la jouissance de la beauté, parce qu’il a l’angoisse du désir. Il perd l’un pour ne rien avoir en échange — parce que cela n’a rien d’agréable de désirer quelque chose. Cela vous met dans une condition déplaisante, c’est tout.
Le Bouddha a dit qu’il y avait une plus grande joie à surmonter un désir qu’à le satisfaire. C’est une expérience que tout le monde peut faire et qui est vraiment tout à fait intéressante, tout à fait intéressante.
Il y avait quelqu’un qui était invité — ça se passait à Paris —, qui était invité à une première (une première ça veut dire une première représentation) d’un opéra-comique, de Massenet je crois... je ne me souviens plus de qui. Le sujet était joli, la pièce était jolie, et la musique n’était pas déplaisante; c’était la première fois, et cette personne était invitée dans la loge du ministre des Beaux-Arts, qui a toujours une loge à toutes les premières des théâtres du gouvernement. Il se trouvait que ce ministre des Beaux-Arts était un bonhomme, un vieux bonhomme de la campagne, qui avait très peu vécu à Paris, qui était tout nouveau dans son ministère, et qui avait vraiment la joie d’un enfant à voir des choses nouvelles. Seulement c’était un monsieur bien élevé, et comme il avait invité une dame, il avait mis la dame devant, et il s’était assis derrière. Mais il était très malheureux, parce qu’il ne voyait pas tout. Il était penché comme ça, essayant sans trop le montrer de voir quelque chose. Alors la dame qui était devant s’en est aperçue; et elle était très intéressée, et elle trouvait ça très joli, et ce n’était pas que ça ne lui plaisait pas, ça lui plaisait beaucoup, et elle jouissait beaucoup du spectacle; mais elle a vu à quel point ce pauvre ministre était malheureux de ne pas pouvoir voir. Alors l’air de rien, n’est-ce pas, elle pousse son siège, se recule un peu, a l’air de penser à autre chose, et se recule si bien que lui s’avance et qu’alors il a vu tout le spectacle. Eh bien, cette personne, quand elle s’est reculée et qu’elle a abandonné tout désir de voir le spectacle, a été remplie d’un sens de joie intérieure, de libération de tout attachement aux choses et d’une sorte de paix, contente d’avoir fait quelque chose pour quelqu’un au lieu de s’être satisfaite elle-même, au point que la soirée lui a fait infiniment plus de plaisir que si elle avait écouté la pièce de théâtre. Ça c’est une expérience vraie, ce n’est pas une petite histoire lue dans un livre, et c’était justement au moment où cette personne était en train d’étudier la discipline bouddhique, et c’était en conformité avec le dire du Bouddha qu’elle a essayé l’expérience.
Et vraiment, ça a été une expérience tellement concrète, n’est-ce pas, tellement réelle que... ah, au bout de deux secondes, la pièce de théâtre, la musique, les acteurs, la scène, les images et tout ça, c’était parti, comme des choses absolument secondaires, et complètement indifférentes, tandis que cette joie d’avoir maîtrisé quelque chose en soi, et d’avoir fait un acte qui n’était pas purement égoïste, cette joie remplissait tout l’être d’une sérénité incomparable — une expérience ravissante... Eh bien, c’est une expérience qui n’est pas purement individuelle, personnelle. Tous ceux qui veulent essayer peuvent l’avoir. Il y a une sorte de communion intérieure avec l’être psychique qui se produit au moment où volontairement on abandonne un désir, qui fait qu’on a une joie beaucoup plus grande que si l’on avait satisfait son désir.
D’ailleurs, d’une façon presque générale, presque sans exception, quand on satisfait un désir, ça laisse toujours une sorte de goût amer quelque part. Il n’y a pas de désir satisfait qui ne donne une sorte d’amertume; comme quand on a mangé un bonbon trop sucré, ça vous remplit la bouche d’amertume. C’est comme ça. Il faut essayer sincèrement. Naturellement, il ne faut pas prétendre abandonner le désir et le garder dans un coin, parce qu’alors là on est très malheureux. Il faut le faire sincèrement.
Comment est-ce que le besoin psychique se réalise?
(silence)
J’ai bien entendu. Mais c’est le sens de ta question que je ne comprends pas.
Quand on réalise dans le mental?
Oh, oh, non, pas du tout. « Le besoin psychique se réalise », tu veux dire : « Se réalise comment? Comment s’exprime-t-il dans la vie extérieure? » Qu’est-ce que tu appelles « se réaliser »? Pas clair? Ce n’est pas très clair dans la pensée? « Besoin psychique » d’abord, qu’est-ce que tu appelles « le besoin psychique »? Le besoin de connaître son être psychique ou le besoin du psychique de s’exprimer?
C’est le besoin du psychique de s’exprimer.
Il s’exprime en se réalisant, en s’exprimant.
De quelle façon?
Tu veux dire, s’il a besoin de passer par le mental? Dieu merci, non, parce que ce serait une opération très difficile. Le besoin psychique est une expression de la Grâce divine, et il s’exprime par la Grâce divine.
La vie psychique dans l’univers est un fait de la Grâce divine. La croissance psychique est un fait de la Grâce divine, et le pouvoir ultime de l’être psychique sur l’être physique sera aussi un effet de la Grâce divine. Et le mental, s’il veut servir à quelque chose, il n’a qu’à se tenir très tranquille, aussi silencieux qu’il peut, parce que s’il s’en mêle il est sûr de tout gâter.
Alors il n’y aura pas besoin du mental?
Ah, pardon, je n’ai pas dit qu’on n’avait pas besoin du mental. Le mental sert à autre chose. Le mental est un instrument de formation et d’organisation, et si le mental laisse le psychique se servir de lui, ce sera très bien. Mais ce n’est pas le mental qui aidera le psychique à se manifester. Les rôles sont renversés. Le mental peut être un instrument de la manifestation du psychique plus tard, quand il aura déjà pris possession de la conscience extérieure. Il l’est rarement avant. Il est généralement un voile et une obstruction. Mais certainement, il ne peut pas aider à la manifestation. Il peut aider dans l’action s’il prend sa vraie place et son vrai mouvement. Et s’il devient tout à fait docile à l’inspiration psychique, il peut aider à organiser la vie, puisque c’est son action, sa raison d’être. Mais il faut d’abord que l’être psychique ait pris possession du domaine, qu’il soit le maître de la maison; alors après, les choses peuvent s’arranger.
Il n’y a qu’une façon pour l’être extérieur. Prenons l’être physique — l’être physique, le pauvre petit être physique, là, du dehors, qui ne sait rien, qui ne peut rien par lui-même. Eh bien, il n’y a pour lui qu’un moyen de permettre à l’être psychique de se manifester, c’est, avec la chaleur candide d’un enfant (Mère parle très doucement), aspirer, prier, demander, vouloir de toutes ses forces, sans raisonner ni chercher à comprendre. On ne peut pas imaginer combien le raisonnement et cet effort pour comprendre mettent une obstruction dans l’expérience. Au moment où on est sur le point d’atteindre un état où quelque chose se passera, où quelque vibration sera changée dans la conscience de l’être... vous êtes tout tendu dans une aspiration et vous avez réussi à accrocher votre aspiration, et vous êtes là à attendre la réponse, si ce malheureux mental se met à bouger et à se demander : « Qu’est-ce qui se passe, et qu’est-ce qui va se passer, quand ça va se passer, comment ça va se passer et pourquoi est-ce que c’est comme ça, et dans quel ordre est-ce que les choses se manifesteront? », c’est fini, vous pouvez vous lever, balayer votre chambre, vous n’êtes pas bon à autre chose.
Douce Mère, est-ce que le psychique peut s’exprimer sans le mental, le vital et le physique?
Il s’exprime constamment sans eux. Seulement, pour que l’être humain ordinaire puisse le percevoir, il faut qu’il s’exprime à travers eux, parce que l’être humain ordinaire n’est pas en relation directe avec le psychique. S’il était en relation directe avec le psychique, il serait psychique dans sa manifestation — et tout serait très bien. Mais comme il n’est pas en rapport avec le psychique, il ne sait même pas ce que c’est, il se demande avec ahurissement quelle sorte d’être cela peut être; alors, pour atteindre cette conscience humaine ordinaire, il faut se servir des moyens ordinaires, c’est-à-dire passer par le mental, le vital et le physique.
On peut en sauter un, mais certainement pas le dernier, alors on n’est plus conscient de rien du tout. L’être humain ordinaire n’est conscient que dans son physique, et c’est à des moments relativement peu fréquents qu’il est conscient de son mental, un petit peu plus fréquemment de son vital, mais tout ça est mélangé dans sa conscience, au point qu’il serait tout à fait incapable de dire : « Ce mouvement-là vient du mental, ce mouvement-là vient du vital, ce mouvement-là vient du physique. » Cela demande déjà un développement considérable pour pouvoir distinguer au-dedans de soi l’origine des différents mouvements que l’on a. Et c’est tellement mélangé que même quand on essaye, au début, il est très difficile de faire une classification et de séparer l’un de l’autre.
C’est comme quand on a pris de la couleur, trois ou quatre ou cinq couleurs différentes, et qu’on les a mises dans la même eau, et puis qu’on bat ça ensemble, ça fait un résultat gris et indistinct et incompréhensible, n’est-ce pas, on ne peut pas savoir ce qui est rouge, ce qui est bleu, ce qui est vert, ce qui est jaune; c’est quelque chose de malpropre, beaucoup de couleurs mélangées. Alors il faut d’abord faire ce petit travail de séparer le rouge, le bleu, le jaune, le vert — les mettre comme ça, chacun dans son coin. Ce n’est pas facile du tout.
J’ai rencontré des gens, qui se croyaient d’ailleurs extrêmement intelligents, et qui pensaient qu’ils savaient beaucoup, et quand je leur ai parlé, justement, des différentes parties de l’être, ils m’ont regardée comme ça (geste), et ils m’ont demandé : « Mais de quoi parlez-vous? » Ils ne comprenaient pas du tout. Je parle de gens qui ont la réputation d’être intelligents. Ils ne comprennent pas du tout. Pour eux, c’est la conscience, voilà ; c’est la conscience — « C’est ma conscience » —, et puis il y a la conscience du voisin; et puis il y a des choses qui n’ont pas de conscience. Et puis alors, j’ai demandé si les animaux avaient une conscience; alors on a commencé à se gratter la tête et dit : « Peut-être que c’est nous qui mettons notre conscience dans l’animal quand nous le regardons. » Comme ça !
Douce Mère, quand l’être psychique pourra se manifester parfaitement, quel besoin aura-t-il du mental?
Il ne pourra se manifester parfaitement que si toutes les parties de l’être collaborent. Mais je ne pense pas que le mental ait été fabriqué avec l’intention de le faire disparaître. Il fait partie de la construction générale.
Ton corps, n’est-ce pas, s’il était sans mental, il serait bien embarrassé. Ça ressemblerait peut-être plus à une plante qu’à un corps. Il n’y a rien dans ce que tu fais du matin jusqu’au soir où le mental n’ait son action.
Mais si le psychique le guidait?
Eh bien, si le psychique guide le mental, le mental agira d’une façon psychique. Alors ce sera un mental remarquable, tout à fait harmonieux et qui fera la vraie chose de la vraie manière.
Mais le vital, c’est la même chose, c’est exactement le même phénomène pour le vital. Le vital tel qu’on le prend maintenant, on dit que c’est la cause de tous les troubles et toutes les difficultés, que c’est le siège des désirs, des passions, des impulsions, des révoltes, etc., etc. Mais si le vital est entièrement soumis au psychique, il devient un instrument merveilleux, plein d’enthousiasme, de pouvoir, de force de réalisation, d’élan, de courage.
Et alors, reste ce pauvre physique... Le pauvre physique, il a été accusé de tous les méfaits. Dans le temps on disait toujours que c’était impossible, qu’on ne pouvait rien faire avec une chose aussi inerte, aussi obscure, aussi peu réceptive. Mais si lui aussi, il était soumis au psychique, il ferait lui aussi la vraie chose de la vraie manière, et alors il aurait une stabilité, une tranquillité, une exactitude dans ses mouvements que les autres parties de l’être n’ont pas, une précision dans l’exécution que l’on n’a pas sans un corps. Il n’y a qu’à voir quand le corps est un petit peu dérangé, qu’il est malade, combien de choses on ne peut plus faire, même avec une grande volonté, une grande concentration du vital et du mental. Quand on a la connaissance précise de ce qu’il faut faire, si le physique est dérangé on ne peut plus le faire — même, je veux dire, même une activité qui n’est pas purement physique, comme, par exemple, d’écrire quelque chose.
Si votre cerveau est un peu malade — la fièvre, un rhume —, il est très difficile de le faire marcher convenablement. C’est une lassitude et quelque chose de vague, une difficulté d’attraper les choses avec précision; il y a même des phénomènes bizarres, d’idées qui se mélangent avant de pouvoir être exprimées, des choses qui entrent en conflit, qui se contredisent : au lieu de s’associer et d’arriver comme ça (geste), n’est-ce pas, elles commencent à faire comme ça (geste), et puis alors ça fait du désordre. Alors on essaye d’attraper celle-ci, et celle-là s’en va. On va chercher celle-là, hop! celle-ci s’enfuit. Tout ça simplement parce qu’il y a la fièvre qui a dérangé un petit peu, un rhume, n’est-ce pas, ce qu’on appelle un rhume de cerveau, qui a dérangé un petit peu le fonctionnement. Si vous montez au-dessus, vous êtes absolument lucide, vous avez la pleine conscience, la complète lucidité. Même si vous êtes extrêmement malade, ça ne fait aucune différence. Là-bas vous savez tout parfaitement, vous voyez tout parfaitement, vous comprenez tout parfaitement, il n’y a aucun changement.
Mais si vous voulez mettre tout ça sur du papier, prendre un crayon et un papier, et puis commencer à l’écrire et à le formuler, alors vous vous apercevez qu’il y a un tout petit dérangement qui vient comme ça, comme j’ai dit; au lieu de choses qui se mettent en faisceau, et qui pointent comme c’est généralement le cas quand on est dans son état normal, il se trouve que ça fait comme ça, ou comme ça, ou comme ça (gestes), ça fait un désordre... tiens, qui ressemble étrangement à la peinture ultramoderne. C’est comme ça.
Moi, je crois toujours que les peintres qui font cette peinture, ils doivent la faire dans un état d’accès de fièvre presque chaude! Les choses se présentent comme ça, et quand vous essayez de les mettre dans un ordre raisonnable, il y en a toujours qui s’enfuient, ou qui se cachent, ou qui se sauvent, là, comme ça, ou qui viennent cogner contre les autres, et ça fait une incohérence. Ce doit être la condition la plus favorable pour faire la peinture dernier cri, ce doit être quarante de fièvre!
Oh, je les soupçonne de produire ça par des moyens artificiels. Dieu sait quelle drogue ils prennent, quelle sorte de haschisch ils mangent, ou ils fument, dans quel opium ils vivent, sûrement. Les gens qui fument de l’opium, ils disent qu’ils ont des visions merveilleuses. Ça doit être quelque chose comme ça (rires).
Je vous parle de ça, parce qu’on va vous montrer peut-être bientôt une collection de photographies en couleurs que nous avons reçues d’un photographe de... je crois que c’est de Californie. (Mère demande à Pavitra) Los Angeles, c’est en Californie, n’est-ce pas? Je sais encore ma géographie!
Eh bien, n’est-ce pas, c’est absolument la peinture ultramoderne. C’est de la photographie. Il n’y a pas de peinture là-dedans. C’est de la photographie. Ce sont des clichés tirés sur du papier photographique, en couleurs. C’est d’une Entretiens couleur ad-mi-rable. Je ne connais pas de peintre qui puisse produire des couleurs aussi belles, aussi vivantes, aussi chaudes, aussi merveilleusement belles. Mais la composition est ultramoderne. La chose la plus... oh, appelons-la « raisonnable » (si je dis raisonnable, ils pensent immédiatement : « Alors ça doit être laid », mais c’est vrai, à un certain point de vue c’est vrai, mais enfin), la plus raisonnable qui n’est pas encore assez raisonnable pour être laide, c’est, je pense, le portrait de l’artiste photographe; je ne sais pas, il ne dit pas si c’est son portrait mais il donne un petit nom, n’est-ce pas, « Untel se concentre », je crois, ou bien c’est quelque chose comme ça : « On se concentre, on réfléchit, on va au-dedans », quelque chose comme ça. Les titres sont très jolis, ils sont aussi ultra-modernes. Il y a ça, alors on voit le monsieur un peu atténué, comme vu à travers un voile, un léger voile, mais c’est encore une tête d’homme. On voit que c’est la photographie d’une tête, et la tête n’est pas déformée. Elle est là tout entière, seulement un petit peu passée par-derrière, n’est-ce pas; et puis alors tout à fait au premier plan, il y a des lignes brillantes avec des formes tortueuses, des zigzags, des choses qui s’entrecroisent, d’autres qui poussent comme des commencements de branches et de feuilles, avec des couleurs brillantes. Tout ça c’est en avant, parce que, n’est-ce pas, il est sorti du physique, il est allé dans l’arrière-fond et il est entré à l’intérieur de lui-même — l’intérieur de lui-même, c’est ça, c’est ces zigzags, ces tortillons, ces efflorescences. Et d’une couleur ad-mi-rable, ravissante. Ça, c’est « Monsieur Untel va au-dedans ». C’est la chose que nous pouvons comprendre le mieux, nous, pauvres gens qui ne sommes pas ultra-modernes. C’est ça que nous pouvons comprendre le mieux. Il y en a d’autres. On se demande pourquoi le titre est sur l’image. Ça, il faudrait demander à l’auteur, il vous expliquerait. Mais figurezvous, c’est beau; ça n’a pas de sens, ça a l’air faux, mais c’est beau. C’est tellement beau que j’ai dit qu’il fallait en faire une exposition, que ça m’a donné l’idée de faire des photographies comme ça... pas moi, je ne suis pas photographe, et je n’y connais rien, mais de faire faire des photographies par un photographe, comme ça ; mais alors, malheureusement! avec une idée derrière. Alors ça ne sera pas du tout ultra-moderne. Mais si on pouvait trouver, n’est-ce pas, utiliser ces couleurs-là pour quelque chose que j’appelle expressif, ça pourrait devenir admirable, vraiment admirable. Ça, ça prendra un an, peutêtre plus, pour se réaliser. Mais enfin, le responsable, c’est ce monsieur avec sa photographie.
Il paraît qu’il est célèbre dans le monde entier — mais je n’y entends rien, n’est-ce pas —, et que cela représente un travail considérable pour faire une chose comme ça. Naturellement ce sont des superpositions de clichés, un cliché pris de ces superpositions, et encore plus compliqué. Je n’essaye pas de vous expliquer, je n’y entends rien, mais on m’a dit que c’était beaucoup de travail, très difficile, la maîtrise d’une technique extrêmement compliquée, et un résultat qu’on n’a jamais réussi. Ce sont des photographies en couleurs qui sont grandes comme ça, c’est très grand pour des photographies en couleurs. Et il y a un rouge là-dedans... Oh, les plus beaux rouges que la Nature a pu produire dans des fleurs ou des couchers de soleil, ça, c’est encore plus beau. Mais comment il a fait, ça je ne sais pas. Il y a du brun, il y a du vert, il y a du jaune, il y a toutes sortes de choses. Il y en a qui sont plus jolies, il y en a qui sont moins jolies, il y a des mélanges qui sont plus ou moins heureux ; il y a des photographies qui ont l’air de photographies prises au microscope, d’infiniment petits qui, devenus gros, deviennent des choses extraordinaires; des choses comme ça. Et on voit très bien qu’il y a des superpositions, mais il y a des effets de couleurs exceptionnels. Voilà.
Je ne sais pas quand on vous donnera ça — un de ces jours —, à moins qu’on ne les ait déjà renvoyées, je ne sais pas, il faut que je me renseigne. Je sais que j’ai demandé qu’on vous les montre. Eh bien, je trouve ça supérieur... oh, mon Dieu, heureusement qu’il n’y a pas de peintre ici... (rires), supérieur à la peinture moderne, et c’est de la photographie; parce que la peinture moderne n’a pas encore pu se servir de couleurs qui ont cette transparence et cette brillance. L’aquarelle devient quelque chose de tout à fait terne à côté. La peinture à l’huile, c’est comme de la boue. Les vitraux pourraient peut-être faire quelque chose; mais là, n’est-ce pas, c’est le soleil qui joue derrière, qui est le grand maître. Mais c’est plus difficile.
Les vitraux, j’avais pensé à en faire. N’est-ce pas, ce que je voulais... ce sont des visions que je voudrais donner. J’ai essayé plusieurs fois de reproduire en peinture des visions — ça devient idiot. Ça devient idiot, parce que le moyen d’expression est mauvais. J’avais pensé à des vitraux, mais les vitraux, ce sont des bouts de verre de couleur, et il faut qu’on les joigne. On les joint avec un petit fil de plomb ; alors c’est horrible. On a tous ces petits fils de plomb, qui sont comme ça, c’est affreux.
Mais ça c’est assez bien, on pourra faire quelque chose.
Voilà. Au revoir, mes enfants.
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