Sont réunis dans ce volume tous les écrits de la Mère datant d’avant 1920 – à l’exception de Prières et Méditations; des causeries faites à Paris à « de petits groupes de chercheurs » ; plusieurs textes écrits au Japon, et « Belles histoires », des contes écrits pour les enfants.
Quelle est la difficulté psychologique que je puis, par expérience, étudier le mieux ?
En chacun de nous il est une difficulté plus centrale que toutes les autres; c’est celle qui est, par rapport à notre rôle dans le monde, comme l’ombre de cette lumière, une ombre qui va se dissipant, s’évanouissant de plus en plus à mesure que la lumière devient plus intense, plus brillante, plus forte et qu’elle gagne l’être tout entier.
Cette difficulté particulière à chacun, me paraît être celle qui mérite toute notre attention et tout notre effort, car, si nous savons nous observer, nous verrons que d’elle découlent toutes celles qui peuvent venir barrer notre route.
C’est donc une difficulté de ce genre dont je vais esquisser l’étude ce soir.
Il est des sensibilités excessives, d’autant plus aiguës qu’elles se manifestent moins au dehors. Ce sont les sensibilités d’ordre affectif, émotif.
Ces sensibilités proviennent en général d’une substance supranerveuse très intellectualisée mais pas suffisamment spiritualisée pour son degré d’intellectualisation.
C’est la période d’évolution où l’être est mûr pour le don de soi, car il est conscient de lui-même, mais où, par le fait du travail d’individualisation, d’intellectualisation auquel il s’est soumis, il a pris l’habitude de tout considérer par rapport à soi et a poussé jusqu’à son extrême limite l’illusion de la personnalité.
Aussi lui est-il parfois très difficile de ne pas se regarder agir, sentir et penser, d’où résulte un manque de spontanéité qui est très voisin de l’insincérité.
L’être prend plaisir à son extrême sensibilité; c’est un 64 instrument délicat qui répond merveilleusement à la moindre vibration, et ainsi, au lieu de s’extérioriser, d’oublier son moi comme il convient, il se replie sur lui-même, s’observe, s’analyse, se contemple presque.
La sensibilité émotive ainsi cultivée va en augmentant, en se précisant, en se raffinant. Et comme, dans la vie, les occasions de souffrance sont plus fréquentes que les occasions de joie, ce besoin d’éprouver et d’étudier ces mouvements subtils du sentiment développe un penchant, un goût pour la souffrance, véritable aberration mystique qui n’est autre que la recherche de soi dans la souffrance, une forme raffinée mais très pernicieuse de l’égoïsme.
Les résultats pratiques de ce besoin de souffrir sont tout à fait désastreux si vous y ajoutez la perception intuitive, mais encore imprécise, que l’œuvre à accomplir pour vous, votre raison d’être dans la vie, est d’attirer à soi, de prendre sur soi la souffrance des autres pour la transformer en harmonie.
En effet, d’une part cette connaissance est incomplète parce que vous ignorez que le seul moyen de soulager les autres, de supprimer un peu de souffrance dans ce monde, est de ne laisser aucune sensibilité, si douloureuse qu’elle puisse paraître, éveiller de la souffrance en vous, troubler votre paix et votre sérénité. D’autre part, la notion de l’œuvre à accomplir, elle-même, est faussée par l’illusion de personnalité. La notion exacte est, non pas d’attirer à soi toute la souffrance, chose irréalisable, mais de s’identifier avec toute souffrance, chez tous les autres, pour être en elle et en eux le germe d’amour et de lumière qui fera naître, avec la compréhension profonde, l’espoir, la confiance et la paix.
Jusqu’à ce que l’on ait bien compris cela, le goût du sacrifice s’éveille dans l’être; et chaque fois qu’une occasion s’en présente, comme on n’est pas désintéressé dans la question, puisqu’on désire ce sacrifice, il devient sentimental, irraisonné et cause des erreurs absurdes et parfois funestes dans leurs conséquences.
Même si l’on a l’habitude de réfléchir avant d’agir, les réflexions qui précéderont l’action seront forcément tendancieuses puisqu’elles seront faussées par le goût de la souffrance, le désir d’avoir une occasion de s’imposer un sacrifice douloureux.
Et ainsi, consciemment ou non, au lieu de se sacrifier pour le bien des autres, on se sacrifie pour le plaisir de se sacrifier, ce qui est parfaitement absurde et ne profite à personne.
Toute action ne doit être jugée bonne et entreprise que lorsque nous en connaissons les conséquences immédiates et si possible lointaines et qu’elles nous apparaissent comme devant, en définitive, ajouter si peu que ce soit au bonheur terrestre. Mais pour en juger sainement, il faut que le jugement ne soit, en aucune façon, troublé par une préférence personnelle, et cela implique le détachement de soi.
Non ce détachement qui équivaut à l’annulation de la capacité de sentir, mais celui qui obtient l’abolition de la capacité de souffrir.
On comprendra par là que je mets hors de cause, en ce moment, les insensibles, ceux qui ne souffrent pas parce que la matière qui les constitue est encore trop fruste, trop grossière pour sentir, ceux qui ne sont même pas mûrs pour la souffrance.
Mais pour ceux qui ont atteint un grand développement de la sensibilité, on peut dire que leur capacité de souffrir est la mesure exacte de leur imperfection.
En effet, l’expression de la vraie vie psychique dans l’être est paix, sérénité joyeuse.
Une souffrance, quelle qu’elle soit, est donc pour nous l’indication précieuse de notre point faible, du point sur lequel nous avons encore à faire de grands efforts spirituels.
Ainsi pour guérir en nous cette attirance pour la souffrance, il nous faudra comprendre l’absurdité, le mesquin égoïsme des diverses causes de nos souffrances.
Et pour guérir notre désir immodéré et ridicule du sacrifice, pour lui-même trop souvent et indépendamment de ses résultats utiles, il nous faudra comprendre que si nous devons par la sensibilité rester en contact avec toutes les souffrances humaines, il nous faudra aussi être assez vigilants et perspicaces pour dissoudre, au fur et à mesure, ces souffrances qui, aux yeux du clairvoyant, sont de pures imaginations.
Car la seule manière de venir en aide aux hommes, à ce point de vue, c’est d’opposer à leur souffrance une immuable et souriante sérénité qui sera la plus haute expression humaine de l’Impersonnel Amour.
Enfin, dans un cas comme celui que je viens de vous exposer, plus encore que dans tout autre, il est indispensable de garder en mémoire que la vraie impersonnalité ne consiste pas seulement dans l’oubli de soi en actes, mais surtout dans le fait d’ignorer que l’on s’oublie soi-même.
En définitive, pour être vraiment impersonnel il ne faut plus s’apercevoir qu’on l’est.
Et c’est alors que l’œuvre peut s’accomplir avec une généreuse spontanéité, dans toute sa perfection.
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