Sont réunis dans ce volume tous les écrits de la Mère datant d’avant 1920 – à l’exception de Prières et Méditations; des causeries faites à Paris à « de petits groupes de chercheurs » ; plusieurs textes écrits au Japon, et « Belles histoires », des contes écrits pour les enfants.
Enfants, vous savez tous ce qu’est construire et détruire.
Le guerrier, l’arme à la main, part pour détruire.
Le constructeur dresse des plans, creuse des fondations; et les mains laborieuses des hommes bâtissent la ferme pour le paysan ou le palais pour le prince.
Mieux vaut construire que démolir, et cependant détruire est parfois nécessaire.
Vous, enfants, qui avez des bras et des mains solides, construirez-vous seulement? Ne détruirez-vous jamais? Et si vous le faites, que détruirez-vous?
Écoutez ce récit de la légende hindoue :
Un nouveau-né était étendu sous un bosquet d’arbres. Vous pourriez penser qu’il allait sûrement mourir, car sa mère l’avait déposé là et s’en était allée pour ne plus jamais revenir. Mais voici que des gouttes sucrées tombèrent, comme du miel, des belles fleurs de l’arbre Ilupay, et nourrirent le petit enfant, jusqu’au moment où passa une brave femme, venue pour faire ses dévotions au grand Shiva dans le temple proche du bosquet.
À la vue du nourrisson, son cœur fut ému de pitié; elle le prit et le rapporta à son mari qui, n’ayant pas de fils, l’accueillit avec joie.
Tous deux adoptèrent le petit inconnu du bosquet d’Ilupay. Mais dès les premiers jours, leurs voisins se moquèrent d’eux, leur reprochant de prendre soin d’un enfant sans caste. Alors, de peur de les mécontenter en s’occupant eux-mêmes du nouveau-né, ils le placèrent dans un hamac pendu aux poutres d’une étable, et le confièrent à une famille de parias.
Quelques années plus tard, le garçon, fort de corps et brillant d’esprit, dit au revoir à ceux qui s’étaient montrés bons pour lui, et partit tout seul en voyage. Après un certain temps de marche, il s’assit au pied d’un palmier pour s’y reposer. Et voici que l’arbre prit soin de lui, paraissant l’aimer comme la dame qui l’avait recueilli jadis sous le bosquet d’Ilupay ; car bien qu’il parût impossible qu’un arbre ayant un tronc si haut pût abriter quelqu’un à l’ombre de ses feuilles pendant tout un jour, l’histoire raconte que cette ombre resta pourtant immobile, protégeant de sa fraîcheur le garçon aussi longtemps qu’il voulut dormir.
Or, pourquoi tout cela arriva-t-il ainsi?
Pourquoi l’enfant fut-il sauvé dès sa naissance, et pourquoi le palmier lui épargna-t-il la chaleur du soleil? Parce que sa vie était précieuse; cet enfant devait être un jour le noble Tirouvallouvar, le poète tamoul célèbre, l’auteur des doux vers du Coural.
Ainsi il est des choses et des êtres qu’il faut protéger parce qu’ils apportent des messages au monde.
Soyons heureux d’avoir des bras solides pour pouvoir envelopper de leur force ce qui est beau, ce qui est bon, ce qui est vrai, et garder tout cela du mal et de la mort.
C’est pour les garder ainsi qu’il nous faut parfois combattre et détruire.
Tirouvallouvar, qui apporta au peuple des paroles d’or, savait aussi se battre et tuer. Il tua le démon de Cavéripakam.
À Cavéripakam habitait un fermier qui possédait un millier de têtes de bétail et de vastes champs de blé. Mais un démon terrifiait le voisinage; il arrachait les moissons du sol, tuait le bétail et les hommes. Et le cœur des habitants de Cavéripakam était affligé.
— Je donnerai une maison, de la terre et de l’argent au héros qui nous débarrassera du démon, dit le riche fermier.
Pendant fort longtemps aucun héros ne se montra, et le fermier interrogea les sages qui vivaient sur la montagne, pour savoir ce qu’il devait faire.
— Allez trouver Tirouvallouvar, dirent les sages de la montagne.
Ainsi il se rendit auprès du jeune poète, et demanda son aide. Alors Tirouvallouvar prit des cendres et les étala dans la paume de sa main, y écrivit les cinq lettres sacrées, prononça des mantras 19 puis jeta les cendres dans l’air. Et le pouvoir des lettres et des mantras tomba sur le démon qui en mourut. Ceci rendit joyeux les gens de Cavéripakam.
Plus tard, quand Tirouvallouvar vint à la ville de Madoura, beaucoup de gens s’assemblèrent pour l’entendre réciter les vers de son beau poème, et ils furent charmés par les strophes que composait l’enfant du bosquet d’Ilupay :
Il est difficile de trouver dans le monde Un bien meilleur que celui d’être bon.
Mais sur un banc, près des eaux tranquilles d’un étang où flottaient des fleurs de lotus, étaient assis une rangée de poètes fort érudits.
Ces hommes sur le banc n’avaient aucun souci de faire place à un confrère de basse naissance, mais ils essayaient de le confondre par leurs questions, et de le surprendre dans quelque erreur. À la fin ils lui dirent :
— Ô paria, mets ton poème sur ce banc, et si c’est véritablement une œuvre de beauté, le banc ne supportera rien autre que le Coural.
Tirouvallouvar plaça auprès d’eux son écrit, et la légende dit qu’à l’instant le banc se raccourcit et fut juste assez grand pour pouvoir supporter seulement le poème. Ainsi les fiers et jaloux poètes de Madoura tombèrent à la renverse dans l’eau de l’étang ! Oui, les quarante-neuf envieux tombèrent dans l’étang parmi les lotus. Ils en sortirent ruisselants et honteux. Et depuis ce jour, tous ceux qui parlent la langue tamoule aiment le Coural d’un grand amour.
Enfants, trouvez-vous fâcheux que le démon de Cavéripakam ait été tué? Et trouvez-vous dommage que les quarante-neuf méchants poètes de Madoura soient tombés dans l’eau?...
Dans ce monde il y a de bonnes et de mauvaises choses; et nous devons chérir et défendre les bonnes, combattre et affaiblir les mauvaises.
Tous les hommes sages, comme l’était Tirouvallouvar le noble poète, savent et peuvent faire cela. Et plus ils sont sages, mieux ils le font. Mais sans être bien savants et bien forts encore, les petits enfants peuvent les imiter et exercer par là leur vaillance.
C’est ainsi qu’Ouvray, la sœur de Tirouvallouvar, imitait son frère.
Un jour qu’elle était assise par terre dans une petite rue d’Uraygur, trois hommes vinrent à passer : l’un était roi, les deux autres poètes.
Comme le roi approchait, Ouvray replia sous elle une de ses jambes pour faire montre de respect.
Lorsque le premier poète arriva, par considération pour lui, Ouvray replia sous elle son autre jambe.
Mais au contraire, quand le second poète fut proche, elle allongea soudain ses deux pieds, lui barrant ainsi le chemin. Cette façon d’agir parut impertinente; mais Ouvray savait bien ce qu’elle faisait; car le second poète était un homme prétentieux qui s’attribuait du talent, mais n’en avait pas.
Et comme il avait l’air vexé et lui demandait pourquoi elle l’avait traité de la sorte, elle répondit :
— Faites-moi donc un vers dans lequel vous mettrez trois fois le mot esprit.
Voyant que des gens s’étaient assemblés, le poète voulut montrer son adresse; mais il ne put jamais faire entrer dans le vers plus de deux fois le mot demandé.
— Qu’avez-vous donc fait, railla Ouvray, du dernier esprit qui vous reste et qui ne trouve point place en vos vers? Et ainsi elle fit honte au prétentieux.
Pensez-vous donc qu’elle avait plaisir à être impolie? Certes pas. Mais la prétention ne lui semblait pas chose respectable. Elle savait ne pas confondre ce qui doit être honoré et ce qui n’est pas digne de l’être.
—Bonnes gens, disait-elle, allez vers ce qui est bon, comme le cygne va vers le lac où fleurissent les lotus. Mais les méchants recherchent ce qui est mauvais, comme le vautour, attiré par l’odeur, se précipite vers son horrible nourriture.
Quelles sont donc, braves enfants de tous les pays, les mauvaises choses que vous devez apprendre à combattre? Quelles sont les choses que l’homme doit dompter ou détruire?
Ce sont toutes celles qui menacent sa vie et qui nuisent à son progrès; tout ce qui l’affaiblit, tout ce qui le dégrade, tout ce qui le rend malheureux.
Qu’il dompte le pouvoir des flots, en jetant des ponts sur les torrents impétueux, et des digues le long des fleuves qui débordent.
Qu’il construise de forts navires capables d’affronter la fureur des vents et des vagues.
Qu’il draine et dessèche les eaux mortelles des marécages, et tue le démon de la fièvre caché dans leur humidité.
Qu’il fasse la guerre aux bêtes sauvages partout où elles sont un danger pour lui.
Qu’il instruise d’habiles docteurs pour chasser de tout lieu la douleur et la maladie.
Qu’il s’efforce de vaincre la pauvreté, cause de la faim, qui fait pleurer tant de mères dont les enfants n’ont pas de pain.
Qu’il abolisse la méchanceté, l’envie, l’injustice, qui font la vie pour tous misérable.
Quelles choses, au contraire, l’homme devra-t-il chérir et défendre? Toutes celles qui le font vivre et le rendent meilleur, plus fort, plus joyeux.
Qu’il veille donc sur chaque enfant qui vient au monde, et dont la vie est précieuse.
Qu’il protège les arbres amis; qu’il cultive plantes et fleurs pour sa nourriture et son agrément.
Qu’il construise des habitations solides, saines et spacieuses.
Qu’il conserve avec soin les temples sacrés, les statues, les tableaux, les vases, les broderies, ainsi que les beaux chants et les beaux poèmes, et tout ce qui, par sa beauté, accroît son bonheur.
Mais par-dessus tout, enfants de l’Inde et d’ailleurs, que les hommes veillent sur le cœur qui aime, sur l’intelligence qui pense des pensées droites, sur la main qui accomplit des actes loyaux.
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