Sont réunis dans ce volume tous les écrits de la Mère datant d’avant 1920 – à l’exception de Prières et Méditations; des causeries faites à Paris à « de petits groupes de chercheurs » ; plusieurs textes écrits au Japon, et « Belles histoires », des contes écrits pour les enfants.
Vous tombez à l’eau. La grande masse humide ne vous intimide pas. Vous jouez des bras et des jambes, reconnaissant au professeur qui vous apprit à nager. Vous attaquez la vague. Vous échappez. Vous avez été brave.
Vous êtes endormi. Au feu! Le cri d’alarme vous a éveillé. Vous sautez du lit et voyez la rouge lueur de l’incendie. Vous n’êtes pas frappé d’une peur mortelle. Vous courez à travers la fumée, les étincelles, les flammes, et vous vous sauvez : ceci est du courage.
J’ai été dans une école d’enfants, en Angleterre, il y a quelque temps. Les petits écoliers avaient de trois à sept ans. Il y avait des filles et des garçons. Ils étaient occupés à tricoter, à dessiner, à écouter raconter des histoires, à chanter.
Le professeur me dit : « Nous allons essayer l’alarme du feu. Bien entendu il n’y a pas de feu; mais on leur a appris à se lever et à sortir promptement au signal d’alarme. »
Il donna un coup de sifflet. À la minute les enfants quittèrent leurs livres, leurs crayons, leurs aiguilles à tricoter, et restèrent debout. À un autre signal, l’un derrière l’autre, ils sortirent en plein air. En quelques minutes la classe était vide. Ces petits enfants avaient appris à faire face au danger du feu et à être braves.
Pour le salut de qui avez-vous nagé? Pour le vôtre.
Pour le salut de qui avez-vous traversé les flammes? Pour le vôtre.
Pour le salut de qui les enfants résisteraient-ils à la crainte du feu? Pour le leur.
Dans chaque cas le courage montré le fut pour le salut de soi-même. Était-ce mal? Certainement pas. Il est juste de prendre soin de sa vie et d’être brave en la défendant. Mais il est un courage plus grand : celui qui se déploie pour le salut des autres.
Laissez-moi vous raconter l’histoire de Mâdhava telle qu’elle fut écrite par Bhavabhuti.
Il est agenouillé au-dehors d’un temple et entend un cri de détresse.
Il découvre un chemin pour entrer, et regarde dans le sanctuaire de la déesse Chamunda.
Une victime est prête à être égorgée en l’honneur de l’horrible déesse. C’est la pauvre Malati. La jeune fille a été emportée pendant son sommeil. Elle est toute seule avec le prêtre et la prêtresse; et le prêtre lève son couteau juste au moment où Malati pense à Mâdhava qu’elle aime :
Ô Mâdhava ! Seigneur de mon cœur. Ô! que je puisse après ma mort vivre dans ta mémoire. Ils ne meurent pas ceux que l’amour embaume dans un long et tendre souvenir.
Poussant un cri, le brave Mâdhava saute dans la chambre de sacrifice. Il engage avec le prêtre un combat mortel. Malati est sauvée.
Pour qui Mâdhava fit-il preuve de courage? Combattit-il pour lui-même? Oui. Mais ce n’était pas la seule raison de son courage; il se battit aussi pour le salut d’une autre. Il avait entendu un cri de détresse et cela avait touché son brave cœur dans sa poitrine.
Si vous voulez réfléchir, vous vous souviendrez de faits analogues que vous avez vu accomplir. Vous avez certainement vu un homme, une femme ou un enfant secouru par un autre être humain qui accourut au cri d’alarme.
Vous avez sans doute aussi lu dans les journaux ou dans l’histoire de semblables actes de bravoure. Vous avez entendu parler de pompiers qui sauvent les habitants de maisons en flammes; de mineurs qui descendent dans les puits profonds pour en retirer des compagnons mis en péril par l’inondation, le feu ou le gaz asphyxiant; d’hommes qui s’aventurent dans des maisons ébranlées par le tremblement de terre, et qui, malgré la menace des murs prêts à s’écrouler, ramassent et portent au-dehors les êtres faibles qui, sans cela, seraient morts sous les décombres; enfin, de citoyens qui pour le salut de leur ville et de leur patrie, affrontent l’ennemi et endurent la faim, la soif, les blessures ou la mort.
Ainsi nous avons vu le courage pour s’aider soi-même, et le courage pour aider les autres.
Je vous raconterai l’histoire de Vibhishan, le héros. Il brava un danger, mais c’était plus qu’un danger de mort : il brava la fureur d’un roi, et lui donna le sage conseil que les autres n’osaient formuler.
Le roi-démon de Lanka (Ceylan) se nommait Ravana aux Dix-Têtes.
Ravana avait ravi la dame Sita à son époux, et l’avait emportée dans son char jusqu’à son palais, dans l’île de Ceylan.
Somptueux était le palais, enchanteur le jardin où il enferma la princesse Sita ; pourtant elle était malheureuse, et tous les jours elle versait des larmes, ne sachant pas si elle reverrait jamais son Seigneur Rama.
Le glorieux Rama apprit par Hanouman, le roi-singe, en quel lieu sa femme Sita était gardée en captivité. Il partit avec le noble Lakshman, son frère, et une grande armée de héros pour aller au secours de la prisonnière.
Lorsque Ravana le démon apprit l’arrivée de Rama, il trembla de frayeur.
Alors il reçut deux genres d’avis. Une foule de courtisans se pressèrent autour de son trône et lui dirent:
— Tout est bien. Soyez sans crainte, ô Ravana ; vous avez vaincu les dieux et les démons : vous n’aurez aucune difficulté à vaincre Rama et ses camarades, les singes de Hanouman.
Dès que ses conseillers bruyants eurent quitté le roi, son frère Vibhishan entra et s’agenouillant, lui embrassa les pieds; puis il se redressa et s’assit à la droite du trône.
— Ô mon frère, dit-il, si vous désirez vivre heureux et garder le trône de cette belle île de Lanka, rendez la jolie Sita; car elle est la femme d’un autre. Allez vers Rama lui demander son pardon, et il ne détournera pas sa face. Ne soyez pas arrogant et téméraire.
Un homme sage, Malyavan, entendit ce discours et fut content; il dit vivement au roi des démons :
— Prenez les paroles de votre frère en considération, car il a dit la vérité.
— Vous êtes tous deux mal intentionnés, répliqua le roi, car vous prenez le parti de mes adversaires.
Et les yeux de ses dix têtes étincelèrent avec tant de fureur que Malyavan terrifié se sauva de la chambre. Mais Vibhishan demeura dans la bravoure de son âme.
— Seigneur, dit-il, dans le cœur de chaque homme il y a la sagesse et la déraison. Si la sagesse habite sa poitrine, la vie est bonne pour lui; si c’est la déraison, tout va mal. Je crains que la déraison ne se soit logée dans votre poitrine, ô mon frère, car vous prêtez l’oreille à ceux qui donnent de mauvais conseils : ils ne sont pas vos vrais amis.
Il se tut et embrassa les pieds du roi.
— Misérable! s’écria Ravana. Toi aussi, tu es de mes ennemis. Ne me dis plus de paroles insensées. Parle aux ermites dans les bois, mais non à un être qui a remporté la victoire sur tous les adversaires qu’il a combattus.
Criant ainsi, il envoya un coup de pied à son courageux frère Vibhishan.
Alors l’esprit en peine, le frère se releva et quitta la maison du roi.
Ne connaissant pas la crainte, il avait parlé franchement à Ravana, et puisque celui qui avait dix têtes ne voulait pas l’écouter, Vibhishan n’avait plus qu’à partir.
L’acte de Vibhishan était un acte de courage physique, car il ne craignait pas les coups de son frère, mais c’était aussi un acte de courage mental, car il n’hésita pas à prononcer des paroles que les autres courtisans — aussi braves que lui physiquement — n’auraient pas laissées tomber de leurs lèvres. C’est ce courage de l’esprit que l’on appelle courage moral.
Tel fut le courage de Moïse, le conducteur d’Israël, qui réclama du pharaon d’Égypte la mise en liberté du peuple juif opprimé.
Tel fut le courage de Mohammed, le prophète, qui fit part de sa pensée religieuse aux Arabes, et qui refusa de garder le silence malgré leurs menaces de mort.
Tel fut le courage de Siddhartha 16 le Béni, qui enseigna aux habitants de l’Inde une nouvelle et noble voie, et ne fut pas terrifié par les mauvais esprits qui l’assaillirent sous l’arbre Bo.
Tel fut le courage du Christ prêchant au peuple:
« Aimez-vous les uns les autres », sans se laisser intimider ni par les pontifes de Jérusalem qui lui défendaient d’enseigner ainsi, ni par les Romains qui le crucifièrent.
Nous venons donc de noter trois genres, trois degrés de courage:
Le courage matériel pour soi-même.
Le courage pour le prochain, l’ami, le voisin en détresse, la mère patrie menacée.
Enfin le courage moral qui permet d’affronter les hommes injustes, si puissants soient-ils, et de leur faire entendre la voix de la rectitude et de la vérité.
Le raja d’Almora ayant à repousser des envahisseurs qui avaient attaqué son pays de montagne, un certain nombre d’hommes furent enrôlés dans un nouveau régiment, et chacun fut pourvu d’une bonne épée.
— En avant, marche, commanda le raja.
Aussitôt les hommes tirèrent les épées du fourreau avec un grand bruit, et les brandirent en poussant des cris.
— Pourquoi ceci? demanda le raja.
— Seigneur, répondirent-ils, nous tenons à être prêts afin de ne pas nous laisser surprendre par l’ennemi.
— Vous ne pouvez m’être d’aucune utilité, hommes nerveux et agités, leur dit-il ; retournez tous chez vous. Vous remarquerez que le raja ne fit aucun cas des sabres tirés et du grand fracas. Il savait que la vraie bravoure se passe de clameurs et de cliquetis.
Dans l’histoire suivante, vous observerez au contraire, combien calmement les gens ont agi, et pourtant comme ils furent braves en face du péril mortel de la mer.
À la fin de mars 1910, un bateau écossais transportait des passagers de l’Australie au cap de Bonne Espérance. Aucun nuage ne tachait le ciel, la mer était bleue et paisible.
Le navire heurta soudain un récif à six milles de la côte ouest de l’Australie.
Aussitôt tout l’équipage fut en mouvement; chacun s’empressa ; des sifflets se firent entendre. Mais le bruit qui en résultait n’était pas celui du désordre et de la panique.
Un commandement retentit:
— Aux canots!
Les passagers revêtirent leurs ceintures de sauvetage.
Un aveugle conduit par son domestique traversa le pont; chacun lui fit place. Il était faible; tous voulurent qu’il fût secouru le premier.
Quelques instants après, le navire était évacué, et bientôt il sombrait.
Sur l’un des canots, une femme se mit à chanter. Et malgré le bruit des vagues qui par moment couvrait sa voix, les rameurs pouvaient entendre le refrain qui donnait des forces à leurs bras:
Tirez vers la côte, marins, Tirez vers la côte.
Les naufragés atteignirent enfin le rivage, et furent recueillis par de braves pêcheurs.
Aucun passager n’avait disparu. C’est ainsi que quatre cent cinquante personnes se sauvèrent grâce à leur sang-froid.
Laissez-moi vous parler encore de ce courage paisible qui fait d’utiles et nobles choses sans coup d’éclat ni bruit de trompette.
Une profonde rivière coulait le long d’un village hindou de cinq cents maisons.
Ses habitants n’avaient pas encore entendu les enseignements Courage du Seigneur Siddhartha, et le Béni résolut d’aller à eux et de leur parler de la Bonne Voie.
Il s’assit sous un grand arbre qui étendait ses branches sur le bord de la rivière, et les villageois s’assemblèrent sur la rive opposée.
Alors il éleva la voix et leur prêcha le message d’amour et de pureté. Et ses paroles étaient transportées au-dessus des eaux courantes comme par miracle. Pourtant les habitants du village refusèrent de croire à ce qu’Il enseignait, et murmurèrent contre Lui.
Un seul d’entre eux, voulant en savoir davantage, désirait se rapprocher du Béni.
Il n’y avait là ni pont ni bac. Et la vieille histoire raconte qu’ayant un grand courage, l’homme se mit à marcher sur l’eau profonde de la rivière. Il atteignit ainsi le Maître, le salua et écouta avec beaucoup de joie sa parole.
Cet homme traversa-t-il vraiment la rivière, comme on l’assure? Nous ne le savons. Mais de toute façon il fut brave en suivant le chemin qui mène vers le progrès. Et ceux de son village, touchés par son exemple, écoutèrent alors les enseignements du Bouddha ; et leur esprit s’ouvrit à des pensées plus nobles.
Il y a un courage qui fait traverser les rivières, et un courage aussi qui permet d’entrer dans la rectitude; mais il faut plus de courage encore pour rester dans le droit chemin que pour y entrer.
Écoutez la parabole de la poule et des poussins :
Siddhartha, le Béni, recommandait à ses disciples de faire de leur mieux, et ensuite d’avoir confiance que le mieux porterait ses fruits.
— Exactement, leur disait-il, comme une poule qui, ayant pondu, couve ses œufs et ne songe pas à se demander anxieusement : Est-ce que mes petits poussins sauront briser du bec leur coquille, et verront le jour? vous non plus, n’ayez pas de crainte : si vous persistez dans la Bonne Voie, vous atteindrez aussi la lumière.
Et ceci est le vrai courage, de marcher sur le droit chemin, d’affronter l’orage, l’obscurité, la souffrance et de persévérer en avançant toujours et quand même, vers la lumière.
Dans l’ancien temps, quand Brahmadatta régnait à Bénarès, l’un de ses ennemis, roi d’une autre contrée, fit dresser un éléphant pour l’aller combattre.
La guerre fut déclarée. Le splendide éléphant porta le roi son maître jusqu’aux murailles de Bénarès.
Du haut des murs, les assiégés jetaient des matières bouillantes et lançaient des pierres avec leurs frondes. L’éléphant recula d’abord devant la pluie terrifiante.
Mais l’homme qui l’avait dressé, courut vers lui et s’écria :
— Ô éléphant, tu es un héros! Agis en héros et jette les portes par terre!
Le grand animal encouragé par ces mots, fonça sur les portes, passa au travers, et conduisit son roi à la victoire. C’est ainsi que le courage triomphe des obstacles et des difficultés, et ouvre les portes à la victoire.
Et voyez comme tous, hommes et animaux, peuvent être aidés par une parole d’encouragement.
Un bon livre musulman nous en donne l’exemple, en racontant l’histoire d’Abou Saïd, le poète au brave cœur. Ses amis ayant appris qu’il était malade de la fièvre, vinrent un jour prendre des nouvelles de sa santé. Son fils les reçut à la porte de la maison, le sourire aux lèvres, car le malade se trouvait mieux.
Ils entrèrent et s’assirent dans la chambre de celui qui souffrait, et furent surpris de l’entendre causer avec sa bonne humeur habituelle. Puis comme il faisait chaud, il s’endormit, et les autres aussi s’endormirent.
Tous s’éveillèrent vers le soir. Abou Saïd fit servir des rafraîchissements à ses visiteurs, et fit allumer de l’encens pour répandre son parfum autour de la pièce.
Abou Saïd se mit en prière un moment, puis il se releva et récita un petit poème de sa composition:
Ne désespérez pas dans le chagrin, car une heure joyeuse fera s’envoler votre peine; Le simoun brûlant peut souffler et se changer aussi en brise légère; Un noir nuage peut se former et s’éloigner aussi sans laisser tomber un déluge; L’incendie peut s’allumer et s’éteindre aussitôt sans avoir touché aux coffres et aux cassettes; La douleur paraît, mais aussi s’efface; Ainsi soyez patients quand les tourments arrivent, car le temps est le père des merveilles; Et de la paix de Dieu vous devez espérer beaucoup de bénédictions.
Tous rentrèrent chez eux réjouis et fortifiés par le beau poème d’espoir. Et ainsi ce fut l’ami malade qui aida les amis bien portants.
Quel qu’il soit, celui qui est courageux peut donner du courage aux autres; exactement comme la flamme d’une bougie qui peut en allumer une autre.
Braves garçons et braves filles qui lisez ceci, sachez encourager les autres, et soyez courageux vous-mêmes.
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