Sont réunis dans ce volume tous les écrits de la Mère datant d’avant 1920 – à l’exception de Prières et Méditations; des causeries faites à Paris à « de petits groupes de chercheurs » ; plusieurs textes écrits au Japon, et « Belles histoires », des contes écrits pour les enfants.
Qui est-ce qui se présente à la porte de cette maison japonaise? C’est l’artiste fleuriste; l’homme qui est habile pour arranger les fleurs.
Le maître de la maison apporte un plateau sur lequel se trouvent des fleurs, une paire de ciseaux, un couteau, une petite scie et un joli vase.
« Seigneur, dit-il, je ne puis faire un bouquet assez beau pour un si beau vase. »
— Je suis sûr que vous pouvez, répond le propriétaire poliment en quittant la chambre.
Laissé seul, l’artiste se met au travail, coupant, taillant, tournant, attachant, jusqu’à ce qu’une belle gerbe de fleurs soit placée dans le vase pour la joie des yeux.
Le propriétaire et ses amis entrent dans la chambre; l’artiste se tient de côté et murmure : « Mon bouquet est trop pauvre; laissez-le être enlevé. »
— Non, répond le maître, il est bien.
À côté de la table près du vase, l’artiste a laissé les ciseaux. Par là il veut dire que s’il y a une faute dans la gerbe, quiconque peut prendre les ciseaux et couper ce qui est déplaisant pour la vue.
L’artiste a fait un beau travail mais il ne pense pas à faire valoir ses mérites. Il admet avoir pu commettre des fautes. Il est modeste.
Peut-être l’artiste japonais pense-t-il vraiment que son travail mérite des compliments. Je ne puis dire ses pensées. Mais en tout cas, il ne se vante pas, et sa conduite est agréable.
Par contre, nous sourions de ceux qui sont vains.
Tel était Sulaiman, calife de Damas. Un vendredi, en sortant de son bain chaud, il se revêtit de ses habits verts, se coiffa d’un turban vert, s’assit sur un divan vert, et le tapis tout autour était vert aussi. Alors se regardant dans une glace, et se trouvant satisfait de lui-même il dit : « Le prophète Mohammed était un apôtre; Ali Bakr un serviteur fidèle de la vérité; Omar savait distinguer le vrai du faux ; Otman était modeste, Ali brave, Muawigah miséricordieux, Yazid patient, Abd-ul-Malik un bon gouverneur, Walid un puissant maître, mais moi je suis jeune et beau. »
Les fleurs dans le vase sont fort bien arrangées, et nos yeux sont enchantés. Mais c’est à nous de faire les compliments, non à l’artiste.
Sulaiman est beau, il n’y a, il est vrai, aucun mal à ce qu’il le sache. Mais nous rions de sa vanité quand il se contemple dans le miroir, et se dit que sa belle apparence fait de lui un plus bel homme qu’Omar le véridique, ou Yazid le patient.
Plus absurde encore était la vanité de l’homme qui pensait que la terre n’était pas assez vaste pour sa gloire, et qu’il devait s’envoler vers des régions plus élevées.
Voici l’histoire.
Un roi de Perse nommé Kai Kaus avait déclaré beaucoup de guerres et avait gagné beaucoup de batailles. Il était si riche des dépouilles de ses ennemis qu’il construisit deux palais dans la montagne de Elburz; et l’or et l’argent étaient en si grande abondance dans les chambres que l’éclat du métal poli faisait concurrence à la lumière du jour.
Kai Kaus était plein de présomptueuse fierté; il se pensait le plus grand roi de la terre.
Iblis, l’esprit mauvais, remarqua la haute opinion que le roi avait de lui-même, et résolut de le duper. Il envoya au palais un démon déguisé en serviteur, portant une gerbe de fleurs pour la présenter au roi.
Le serviteur embrassa la terre devant Kai Kaus et dit :
— Seigneur, aucun roi dans le monde n’est semblable à vous. Mais cependant il vous reste un royaume encore à conquérir, le monde supérieur, le royaume du soleil, de la lune, des planètes et des coins secrets des cieux. Suis les oiseaux, ô Roi, et monte vers le ciel.
— Mais comment puis-je monter sans ailes? demanda le roi.
— Vos hommes sages vous le diront, Seigneur. Ainsi le roi Kai Kaus demanda à ses astrologues comment il pourrait s’envoler vers les domaines supérieurs, et ils inventèrent un nouveau plan. Ils parlent des moyens ordinaires mais le roi ne veut pas.
Ils prirent quatre jeunes aigles dans un nid, les nourrirent et les dressèrent jusqu’à ce qu’ils fussent grands et forts.
Ils firent une plate-forme carrée en bois, à chacun de ses coins était fixée une perche, et sur chaque perche un morceau de viande de chèvre. À chaque coin était attaché un des quatre aigles.
Le trône du roi fut assujetti sur la plate-forme; et un pot de vin placé à côté du trône. Le roi s’assit.
Les quatre aigles essayèrent d’attraper la viande et pour cela s’envolèrent verticalement enlevant du même coup la plate-forme qui s’élevait dans l’air aux regards émerveillés de la foule. Les aigles montaient, montaient toujours, de plus en plus près de la lune, jusqu’à ce que, fatigués de leur vol, ils cessent de frapper l’air de leurs ailes. Alors la plate-forme, le trône, le roi, la cruche de vin et le tout tomba avec un bruit terrible dans les solitudes de la Chine. Le roi resta étendu, tout seul, meurtri, affamé, pitoyable; jusqu’à ce que des messagers soient arrivés et l’aient ramené dans son palais.
Le roi lui-même sut alors combien stupide et vaniteux il avait été. Il se résolut à ne plus essayer des vols au-dessus de son pouvoir. Il se mit au travail de son royaume, et le gouverna avec tant de justice que tous les hommes le louèrent.
Ainsi il descendit des hauts lieux de la vanité à la modestie de la bonne, ferme, terre.
Parfois nous éprouvons du dédain pour les personnes vaines qui non seulement s’admirent trop elles-mêmes, mais qui se vantent. Personne n’aime le fanfaron ; même les fanfarons dédaignent les fanfarons.
Nous ne sommes pas étonnés de savoir que Ravana le terrible adversaire de Rama à qui il avait volé sa femme Sita, fût un fanfaron; c’est très naturel de la part d’un tel monstre.
Dans la dernière grande bataille entre Rama et les démons de Lanka, le glorieux Seigneur se tenait dans son char face à face avec le roi-démon, qui se tenait aussi dans son char. C’était un combat singulier. L’armée des démons et celle des singes et des ours observaient le combat.
Alors avec une voix atroce, Ravana le roi de Lanka cria :
— Aujourd’hui, ô Rama, cette guerre prendra fin ; à moins que tu ne te sauves en t’enfuyant du champ de bataille. Aujourd’hui, misérable, je te donnerai à la mort. C’est contre Ravana que tu as à combattre.
Rama sourit calmement. Il savait que le châtiment de Ravana était proche, et il dit :
— Oui, j’ai entendu parler de toute ta puissance, ô Ravana, mais maintenant je veux voir aussi bien que j’ai entendu. Je te prie de te souvenir que dans ce monde il y a trois genres d’hommes, semblables à trois sortes d’arbres qui sont le dhak, le mangoustan et l’arbre à pain. Le dhak porte des fleurs. Il est comme l’homme qui seulement parle. Le mangoustan a des fleurs et des fruits. Il est comme l’homme qui parle et agit. L’arbre à pain ne porte que des fruits. Il ressemble à l’homme qui ne parle pas mais agit.
Le démon se mit à rire à ces sages paroles. Mais avant longtemps la langue fanfaronne fut silencieuse pour toujours.
Vous avez entendu parler du grand Salomon qui fut roi d’Israël, il y a de nombreuses années. Il y a beaucoup d’histoires dans la Bible et dans d’autres livres qui parlent de sa gloire et de sa majesté. Je vous raconterai une histoire sur lui.
Il était très riche. Il avait un trône magnifique; une vaisselle d’or; et l’argent était dans son palais aussi commun que les pierres dans la cité de Jérusalem. Des marchands lui apportaient constamment de l’or, de l’argent, de l’ivoire, des paons, des singes, de beaux habits, des armures, des épices, des chevaux, des mulets, et bien d’autres richesses encore. C’est le roi Salomon qui bâtit un temple splendide en l’honneur du Dieu de ses pères et de sa nation. Mais avant que le temple ne soit bâti, pendant que le bois de construction poussait encore sous forme de cèdres sur les montagnes, Salomon eut un songe dans lequel son Dieu lui apparut et lui dit :
— Demande-moi ce que tu désires que je te donne. Salomon répondit :
— Mon père David était un homme équitable et véridique; et maintenant je lui ai succédé sur le trône. Le travail qui s’ouvre devant moi est grand. Je me sens comme un petit enfant. Je ne sais pas comment sortir et rentrer. Je ne sais même pas comment gouverner ce peuple dont je suis roi. Par conséquent mon désir est d’avoir la connaissance, de façon à pouvoir distinguer le bien du mal.
Et Dieu répondit :
— Parce que tu n’as pas demandé une longue vie ou des richesses, mais que tu as désiré la connaissance, et un cœur qui sait séparer la justice de l’injustice, je te donnerai ce sage esprit, de sorte que personne ne te surpasse en compréhension; et une longue vie et des richesses seront ton partage aussi.
Vous remarquerez les mots modestes que le roi prononça : « Je ne suis qu’un petit enfant. »
Admirons-nous moins Salomon parce qu’il parla humblement de lui-même?
C’est, au contraire, une vraie joie de voir la grandeur être modeste.
Je vous raconterai trois histoires de la modestie du prophète Mohammed.
On dit que le prophète de l’Islam était toujours disposé à monter sur un âne, tandis que les hommes fiers ne se contentaient jamais que de chevaux. Et parfois il invitait quelqu’un à se mettre à califourchon derrière lui. Et il disait :
— Je m’assieds aux repas comme le font les serviteurs, et je mange comme un serviteur, car je suis vraiment un serviteur.
Voici la seconde histoire. Un jour le prophète était à un lieu de réunion où beaucoup de gens étaient assemblés; et il n’y avait pas beaucoup de place pour s’asseoir. Ainsi il s’assit sur ses jambes repliées sous lui.
Un Arabe du désert était présent. Sachant que Mohammed était un grand conducteur de peuple, il s’étonna que le prophète ne soit pas assis comme un seigneur sur un trône.
— Est-ce donc la manière de s’asseoir? railla-t-il.
— En vérité, dit Mohammed, Allah m’a fait humble serviteur et non roi orgueilleux.
Voici le troisième récit : Mohammed était en grande conversation avec le chef d’une tribu de Quraish, lorsqu’un aveugle, nommé Abdullah, ne sachant pas que quelqu’un se trouvait avec le prophète, interrompit brusquement la conversation pour demander à entendre quelques versets du Coran.
Mohammed lui parla très rudement et lui ordonna de se taire. Mais, ensuite, il fut peiné d’avoir été si dur, et très modestement il s’en excusa. Et depuis ce temps il traita Abdullah avec grand respect, et même lui confia des postes d’honneur.
Après les histoires de rois et de prophètes, je vous en conterai une sur un célèbre homme de sciences anglais, Isaac Newton.
Newton naquit en 1642 et mourut en 1727. Dans le cours de sa longue vie il étudia la nature; la force d’attraction universelle appelée gravitation, l’action du soleil et de la lune sur les marées, la lumière du soleil et la décomposition de son rayon blanc en les sept couleurs de l’arc-en-ciel ; et bien d’autres choses encore. Tout le monde s’émerveillait devant la sagesse de cet homme qui savait si bien lire dans les travaux et les merveilles de la nature. Un jour une dame parlait à Newton de son érudition et de sa connaissance; il répondit :
— Hélas! je suis seulement comme un petit enfant qui ramasse des coquillages sur la plage du grand océan de la vérité.
Vous comprendrez que l’océan de vérité veut dire les lois de la nature que même les hommes les plus instruits connaissent à peine. Un petit enfant ramasse des coquillages sur le bord de la mer; mais combien la mer est plus vaste que ne le pense l’enfant! Et combien plus vaste encore est l’univers par rapport à nos petites pensées!
Admirons-nous moins Newton parce qu’il s’est comparé à un petit enfant? Certes non. Nous l’honorons pour sa modestie.
Il y a de nombreuses années une grande cantatrice qui s’était fait une réputation mondiale pour sa voix admirable et son talent consommé, se trouvait à une réunion. On y demanda à une petite fille qui avait une jolie voix de chanter. Le morceau qu’elle avait préparé pour chanter était un duo, un morceau Modestie de musique à deux voix. L’enfant chantait la partie principale; mais personne ne voulait chanter l’accompagnement. Toutes les grandes personnes trouvaient que c’était trop s’abaisser que de chanter la seconde partie pour un enfant. Il y eut un silence; personne ne s’offrait pour accompagner l’enfant.
Alors la célèbre cantatrice dit :
— Je ferai la seconde voix, si vous le désirez.
Elle le fit. Le duo fut chanté à l’auditoire; la voix de la petite fille s’éleva haute et claire, et la voix de la chanteuse la plus connue de l’époque, l’accompagnant doucement; et cela produisit une splendide harmonie.
Le cœur modeste de la dame était noble dans son consentement de donner son service à un enfant.
En 1844 le collège de Sanskrit de Calcutta avait besoin d’un professeur de grammaire, et le poste fut offert à Ishwar Chandra Vidyasagar. Il gagnait alors cinquante roupies par mois, et dans cette nouvelle place il pouvait en avoir quatre-vingt-dix. Mais il pensa que son ami Tarkavachaspati était meilleur professeur de grammaire que lui et le dit. Ainsi il fut décidé que ce serait son ami qui prendrait la place. Vidyasagar était très content. Il se rendit à quelque distance de Calcutta pour trouver son ami et lui annoncer la nouvelle.
Tarkavachaspati fut frappé de la noble modestie du savant, et s’écria : « Tu n’es pas un homme, Vidyasagar, mais un dieu en forme humaine! »
Voici maintenant l’histoire d’un prétentieux ver luisant. Un homme leva la tête vers le glorieux soleil et s’écria :
— Qu’il est brillant!
— Comme nous tous les lumineux, répondit une voix. L’homme regarda tout autour, et sous l’ombre d’un buisson vit une luciole.
— Est-ce toi qui as parlé?
— Oui, répondit le ver luisant. J’ai dit que le soleil et moi sommes lumineux.
— Le soleil et toi, vraiment! plaisanta l’homme.
— Oui, le soleil, la lune, et les étoiles, et moi-même, insista le ver luisant avec suffisance.
Quatre hommes gravissaient une montagne en Italie. Les quatre hommes étaient des moines. Ils étaient conduits par saint François qui se trouvait avec trois frères de son ordre. Les flancs de la montagne étaient couverts d’arbres, et au sommet il y avait un plateau ouvert où saint François désirait prier, dans l’espoir d’y avoir une nouvelle vision des choses divines. Le saint était célèbre, et de riches seigneurs ainsi que de pauvres villageois l’honoraient.
Le jour était chaud et le chemin escarpé. François était trop fatigué pour marcher. Par conséquent l’un des moines alla trouver un paysan et lui demanda de prêter son âne pour que François puisse le monter.
Le paysan y consentit volontiers; le saint enfourcha l’âne et les moines marchèrent à ses côtés tandis que le paysan fermait la marche.
— Dites-moi, demanda le paysan, êtes-vous frère François?
— Oui, répondit-il.
— Alors, ajouta le paysan, tâchez d’être aussi bon que les gens pensent que vous êtes, afin que les hommes puissent garder leur confiance en vous.
En entendant cela saint François n’éprouva aucun mécontentement car il recevait un conseil de quiconque, que ce soit un prince ou un pauvre paysan. Il descendit de l’âne, s’inclina devant le campagnard et le remercia pour son bon avis.
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