Sont réunis dans ce volume tous les écrits de la Mère datant d’avant 1920 – à l’exception de Prières et Méditations; des causeries faites à Paris à « de petits groupes de chercheurs » ; plusieurs textes écrits au Japon, et « Belles histoires », des contes écrits pour les enfants.
Les habitants du Punjab ont une chanson :
Sadâ nâ bâgin boulboul bolé, Sadâ nâ bag bahârân; Sadâ nâ râj khoushî dé hondé, Sadâ nâ majlis yârân!
Et cela veut dire en français :
Le boulboul ne chante pas toujours dans le jardin; Le jardin n’est pas toujours en fleurs; Le bonheur ne règne pas toujours; Ceux qui s’aiment ne sont pas tous les jours ensemble!
La conclusion de cette chanson est que nous ne pouvons nous attendre à être toujours satisfaits, et qu’une des choses les plus utiles est de savoir être patient. Car il n’est pas beaucoup de jours dans la vie où nous n’ayons une occasion d’apprendre à le devenir.
Vous avez quelque chose à demander à un homme fort occupé. Vous vous rendez chez lui. De nombreux visiteurs s’y trouvent déjà ; il vous fait attendre un très long temps avant de vous recevoir. Vous restez là paisiblement, pendant plusieurs heures peut-être. Vous êtes patient.
Une autre fois, celui que vous désirez voir est absent de chez lui quand vous y arrivez. Le lendemain vous refaites le même chemin; mais sa porte est encore fermée. Une troisième fois vous y retournez; mais il est souffrant et ne peut vous recevoir. Vous laissez passer quelques jours, puis vous reprenez le même chemin, et si une nouvelle circonstance encore vous empêche de le rencontrer, vous ne vous découragez pas pour cela, mais vous revenez à la charge jusqu’à ce qu’enfin vous l’ayez vu. Ce genre de patience s’appelle la persévérance.
La persévérance, c’est la patience active, la patience en marche.
Le fameux marin génois, Colomb, s’embarqua en Espagne pour traverser les mers inconnues de l’ouest.
Pendant des jours et des semaines, malgré les murmures de ses compagnons, il persista dans sa volonté d’atteindre une terre nouvelle; et malgré les retards et les difficultés il ne se lassa point qu’il n’eût atteint les premières îles de l’Amérique. Ainsi il découvrit le Nouveau Continent.
Que demandait-il à ses compagnons? Il leur demandait seulement d’avoir de la patience, car ils n’avaient qu’à s’en remettre à lui et à se laisser conduire docilement. Mais que lui fallait-il à lui-même pour atteindre son but? Il lui fallait cette énergie durable, cette endurance de la volonté qu’on nomme la persévérance.
Le célèbre potier Bernard Palissy voulait retrouver le secret perdu des belles faïences anciennes revêtues d’émaux aux riches couleurs.
Pendant des mois et des années, il poursuivit sans se lasser ses recherches. Ses tentatives pour trouver l’émail furent longtemps infructueuses. Il y consacra tout ce qu’il pouvait posséder; et durant des nuits et des jours, veilla devant le four qu’il avait construit, essayant sans cesse des procédés nouveaux pour la préparation et la cuisson de ses poteries. Et non seulement personne ne l’aidait et ne l’encourageait à cela, mais ses amis, ses voisins, le traitaient de fou, et sa femme elle-même le blâmait de ce qu’il faisait.
N’ayant plus de ressources, il dut interrompre plusieurs fois ses recherches; mais dès qu’il le pouvait, il les reprenait avec un nouveau courage. Enfin un jour, n’ayant même plus le bois nécessaire pour chauffer son four, malgré les cris et les menaces de ceux qui vivaient près de lui, il mit au feu ses propres meubles, jusqu’au dernier. Puis quand tout fut brûlé, il ouvrit le four, et le trouva rempli des brillants émaux qui ont fait sa gloire et à la découverte desquels il avait sacrifié tant d’années.
Que manquait-il à sa femme et à ses amis pour attendre, sans le tourmenter et lui rendre la tâche plus difficile, l’heure du succès qui sonna pour lui? Tout simplement de la patience. Et quelle est la seule chose qui ne lui manqua pas à lui, la seule qui ne lui fit jamais défaut, et qui lui permit à la fin de triompher des difficultés et des railleries? Ce fut justement la persévérance, c’est-à-dire la force plus forte que tout.
Car il n’est pas de chose au monde qui puisse résister à la persévérance. Et même les plus grandes sont toujours l’accumulation de petits efforts inlassables.
Il y a d’énormes blocs de rocher qui ont été détruits tout entiers, usés par les gouttes de pluie tombant l’une après l’autre à la même place.
Un grain de sable n’est pas une puissante chose; mais quand ils s’ajoutent les uns aux autres, ils forment la dune et arrêtent ainsi l’océan.
Et quand vous apprendrez l’histoire naturelle, on vous dira que des montagnes ont été formées sous la mer par de petits animalcules entassés les uns sur les autres, et dont l’effort persévérant a fait surgir au-dessus des flots, des îles et des archipels magnifiques.
Et pensez-vous que vos petits efforts répétés ne puissent pas produire aussi de grandes choses?
Le fameux sage Shankara dont le nom fait la gloire du pays de Malabar, et qui vivait il y a environ 1200 ans, avait, depuis son enfance, résolu de devenir Sannyasi.
Pendant longtemps, sa mère, bien qu’appréciant la noblesse de son désir, ne lui permit pas de se consacrer à ce genre de vie.
Un jour, elle et son fils allèrent à la rivière pour s’y baigner. Shankara plongea et se sentit tout à coup saisi au pied par un crocodile. La mort semblait imminente. Mais même à ce terrible instant, le brave enfant n’ayant en vue que son grand projet, cria à sa mère :
— Je suis perdu. Un crocodile m’entraîne. Mais laisse-moi au moins mourir Sannyasi.
— Oui, oui, mon fils, sanglota la mère éperdue. Shankara eut tant de bonheur qu’il trouva la force de dégager son pied et de se jeter sur la rive.
Il grandit dès lors en savoir en même temps qu’en âge. Il devint un guru, et resta fidèle à sa grande œuvre d’enseignement philosophique jusqu’à la dernière minute de sa vie merveilleuse.
Tous ceux qui aiment l’Inde, connaissent le beau poème du Mahabharata.
Il fut écrit en sanskrit il y a de nombreux siècles. Jusqu’à ces dernières années aucun Européen ne pouvait le lire, à moins de connaître le sanskrit, ce qui est peu fréquent. Une traduction en une des langues européennes était nécessaire.
Babou Pratap Chandra Rai résolut de se consacrer à cette œuvre. Il put trouver dans son pays un ami instruit, Kisori Mohan Gangouli, capable de traduire en anglais le livre sanskrit, dont les cent parties furent publiées successivement.
Pendant douze ans Pratap Chandra Rai poursuivit la tâche qu’il s’était donnée. Il consacra toutes ses ressources à la publication du Patience et persévérance 233 livre. Et quand il n’eut plus rien, il parcourut les différentes parties de l’Inde, demandant du secours à tous ceux qu’il trouvait disposés à lui en donner. Il trouva pour l’aider des princes et des paysans, des érudits et des ignorants, des amis d’Europe et d’Amérique.
Il prit au cours de l’un de ces voyages la fièvre pernicieuse dont il mourut. Pendant sa maladie toutes ses pensées étaient tournées vers l’achèvement de son œuvre. Et même quand il ne parla plus qu’avec peine, il disait encore à sa femme :
— Il faut que le livre soit terminé. Ne dépense pas d’argent pour mes funérailles si l’argent est nécessaire pour l’impression. Vis d’une vie aussi simple que possible afin d’économiser pour le Mahabharata.
Il mourut le cœur plein d’amour pour l’Inde et son grand poème.
Sa veuve, Sundari Bala Rai, se conforma fidèlement à son grand désir. Un an après, le traducteur avait achevé son travail et les onze volumes du Mahabharata furent donnés au public d’Europe qui désormais peut connaître et admirer les dix-huit « parvas » du splendide poème épique. En le lisant, il apprendra à respecter le grand talent et la sagesse de ces penseurs profonds que furent les anciens poètes de l’Inde.
Tels sont les fruits que portent les efforts de tous ceux qui, comme Pratap Chandra Rai et tant d’autres hommes utiles, savent persévérer.
Et vous, braves enfants, ne voulez-vous pas vous joindre à la grande armée des hommes et des femmes qui ne se lassent pas de bien faire, et n’abandonnent jamais leur tâche avant de l’avoir terminée.
Dans ce vaste monde, il ne manque pas de belles œuvres à accomplir; il ne manque pas non plus de bonnes gens pour les entreprendre; mais ce qui manque bien souvent, c’est la persévérance qui seule peut les mener à bonne fin.
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