CWM (Fre) Set of 18 volumes
Paroles d’autrefois Vol. 2 of CWM (Fre) 342 pages 2008 Edition
French

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Sont réunis dans ce volume tous les écrits de la Mère datant d’avant 1920 – à l’exception de Prières et Méditations; des causeries faites à Paris à « de petits groupes de chercheurs » ; plusieurs textes écrits au Japon, et « Belles histoires », des contes écrits pour les enfants.

Paroles d’autrefois

The Mother symbol
The Mother

Sont réunis dans ce volume tous les écrits de la Mère datant d’avant 1920 – à l’exception de Prières et Méditations; des causeries faites à Paris à « de petits groupes de chercheurs » ; plusieurs textes écrits au Japon, et « Belles histoires », des contes écrits pour les enfants.

Collection des œuvres de La Mère Paroles d’autrefois Vol. 2 342 pages 2008 Edition
French
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Septième Partie

Belles Histoires




Belles Histoires




Chapter IX

Pour bien juger

Choisissez un bâton bien droit; plongez-le à moitié dans l’eau : le bâton paraîtra tordu par le milieu. C’est là une fausse apparence; et si vous pensiez que le bâton est bel et bien tordu, votre jugement serait faux. Retirez le bâton, vous verrez, en effet, qu’il est toujours droit.

Il se peut, au contraire, qu’un bâton bel et bien tordu par le milieu puisse paraître droit, si on le place avec habileté, d’une certaine manière dans l’eau.

Eh bien, souvent les hommes ressemblent à des bâtons. En les regardant de travers, on peut ne pas les voir aussi droits qu’ils sont; et quelquefois aussi ils peuvent prendre des apparences trompeuses, et paraître droits quand ils sont retors. C’est pourquoi il faut se fier le moins possible à l’apparence, et ne juger personne avec légèreté.

Dans l’Inde, un moine mendiant en quête d’aumônes traversait un pays. Dans un pré, il rencontra un bélier. L’animal furieux se prépara à foncer sur le mendiant, et pour cela, il recula de quelques pas en baissant la tête.

— Ah! dit le religieux, voilà un bon et intelligent animal. Il a reconnu que je suis un homme plein de mérites, et il s’incline devant moi pour me saluer!

À ce moment, le bélier se précipita, et d’un coup de tête fit rouler à terre l’homme vertueux.

Ainsi peut-il arriver que l’on juge avec trop de respect et de confiance ceux qui le méritent le moins. Car il y a parfois des gens qui ressemblent au loup dont parle le bon La Fontaine, ce loup que les brebis prirent pour le berger parce qu’il s’était vêtu de sa houppelande; ou bien encore à l’âne que l’on a pris tout d’abord pour un animal dangereux parce qu’il avait revêtu la peau du lion.


Mais si l’on peut se tromper ainsi en se fiant aux apparences, il arrive le plus souvent que l’on est tenté au contraire de porter sur les autres un jugement précipité et dénué de bienveillance. Le shah de Perse Ismaïl Sefevi venait de conquérir la terre de Khorassan, et s’en retournait dans sa capitale.

Comme il passait près de la demeure du poète Hatifi, il voulut lui rendre visite. N’ayant pas la patience d’atteindre jusqu’à la grille de la maison, tant son désir de voir l’homme célèbre était grand, il avisa la branche d’un arbre qui dépassait le mur, et s’y suspendant, franchit la clôture et sauta dans le jardin du poète.

Qu’auriez-vous pensé si tout à coup quelqu’un se fût introduit chez vous de la sorte? Vous l’auriez pris sans doute pour un voleur et vous l’eussiez mal accueilli.

Hatifi fit bien de n’en point juger sur les apparences et selon la première impression du moment. Il fit bon accueil à son étrange visiteur. Et plus tard il écrivit de nouveaux poèmes sur les exploits que le shah s’était montré si pressé de lui raconter.


Rien n’est en général plus facile que d’apercevoir chez les autres ce qui est le moins avantageux ; chacun a ses travers, que ses voisins ignorent moins que lui-même. Mais ce qu’il faut chercher en tout homme, si l’on veut le juger sans trop d’injustice, c’est ce qu’il peut avoir en lui de meilleur. « Quand ton ami est borgne, dit le proverbe, il faut le regarder de profil. »


Tel de vos camarades peut avoir l’air malhabile et lent et être le plus laborieux de sa classe.

Et votre professeur qui vous semble sévère et dur, vous aime sans doute beaucoup et ne désire que votre progrès.

Tel ami qui vous paraît parfois si ennuyeux ou si bourru, est peut-être après tout votre ami le meilleur.

Et que de gens qu’on juge méchants et qu’on traite sans indulgence, portent au fond de leur cœur quelque chose que personne ne sait y voir.

Un grand loup terrorisait les bois et les champs autour de la cité de Gubbio ; de sorte que les gens n’osaient même plus s’aventurer sur les routes. Le monstre décimait les hommes et les bêtes.

À la fin, le bon saint François décida d’affronter l’effrayant animal. Il sortit de la ville, suivi de loin par beaucoup d’hommes et de femmes. Comme il arrivait près de la forêt, tout à coup le loup bondit sur le saint, la gueule grande ouverte. Mais François tranquillement fit un signe et le loup apaisé se coucha à ses pieds comme l’aurait fait un agneau.

— Frère loup, lui dit saint François, tu as fait dans ce pays bien du mal ; tu mérites la mort promise aux meurtriers; et tous les hommes te haïssent. Mais je serais heureux de mettre la paix entre toi et mes amis de Gubbio.

Le loup courba la tête et remua sa queue.

— Frère loup, continua François, je te promets que si tu veux rester en paix avec ces gens, ils seront bons pour toi, et te donneront à manger tous les jours. Et toi, veux tu promettre de ne plus faire le mal désormais?

Alors le loup inclina tout à fait la tête et mit sa patte droite dans la main du saint. Ainsi firent-ils tous les deux alliance, de bonne foi.

Ensuite François conduisit le loup sur la grande place de Gubbio ; devant la foule des citoyens, il répéta ce qu’il venait de dire au loup ; et celui-ci mit de nouveau sa patte dans la main du saint, en guise de serment pour sa bonne conduite future.

Le loup vécut deux ans dans la ville et ne fit aucun mal à qui que ce soit. Chaque jour les habitants lui apportaient sa nourriture et quand il mourut, ils en eurent tous de la peine.

Quelque méchant que parût le loup, il y avait en lui quelque chose que personne en vérité n’avait découvert, jusqu’à ce que le saint l’eût appelé son frère. Dans cette légende, sans doute, le loup représente-t-il quelque grand coupable très détesté des autres hommes. Elle est destinée à montrer que même chez ceux qui paraissent perdus sans espoir, des germes de bien subsistent encore que l’on peut réveiller avec un peu d’amour.

Il n’est pas de planche, si pourrie soit-elle, dans laquelle, tous les bons ébénistes le savent, on ne puisse trouver quelques fibres saines. Le mauvais ouvrier jettera la planche avec ignorance et mépris, mais le bon ouvrier la recueillera, en enlèvera ce qui est vermoulu et rabotera le reste avec soin. Et les nœuds d’arbres les plus durs serviront à l’artiste pour y sculpter ses figurines les plus émouvantes.


Il y a quelques années, dans ce sombre pays de Guyane si meurtrier pour la vie des Européens, et où sont installés les bagnes de forçats et de relégués, un surveillant militaire dirigeait à Cayenne une corvée de condamnés; lorsque, par accident, il tomba dans le port, à la marée montante.

Ce port est à certaines heures, au moment du reflux, presque complètement ensablé de telle sorte que l’on ne peut y débarquer. Aux heures de marée, au contraire, il est envahi par des courants extrêmement rapides et les requins qui infestent toute la côte, y pénètrent aussi en grand nombre.

La situation du surveillant tombé à l’eau était fort critique; car il savait à peine nager. Et chaque instant qui s’écoulait augmentait pour lui le danger d’être happé par une des bêtes voraces. Tout à coup, n’écoutant que son sentiment généreux, l’un des forçats se jeta à l’eau. Il put saisir le surveillant et, après bien des efforts, le sauver.

Cet homme était un criminel ; et ceux qui le voyaient passer d’ordinaire, dans son bourgeron de bagnard marqué des lettres infamantes et du numéro qui lui tenait lieu de nom désormais, se détournaient avec mépris, le jugeant indigne d’un seul regard et d’une seule parole de compassion. Ce jugement pourtant était bien injuste, puisque la compassion habitait en lui. Malgré toutes ses fautes, son cœur savait être noble : il se dévoua pour celui-là même que ses fonctions obligeaient sans cesse à se montrer impitoyable envers lui.


Voici encore une autre histoire de forçats qui vous montrera combien on peut se tromper lorsqu’on juge les hommes sur l’apparence.

Deux forçats libérés étaient employés par un chercheur d’or du Haut Maroni. Tous les ans celui-ci leur confiait le sable d’or et les pépites produits par le travail du « placer », afin qu’ils les transportent au marché d’or le plus voisin, situé à trente jours de canotage le long du fleuve.

Un jour les deux libérés résolurent de s’évader.

Car, lorsque les forçats ont achevé leur peine, ils ne sont pas libres de retourner chez eux, mais doivent résider dans la colonie pénitentiaire, le plus souvent pour toute leur vie. Or, comme la Guyane est un pays inculte et désert, plein de forêts vierges et de marécages, où les libérés sont menacés sans cesse de mourir de fièvre ou de faim, la plupart d’entre eux tentent de s’évader dès que l’occasion s’en présente.

Voulant donc profiter de ce qu’ils disposaient d’un canot, les employés du chercheur d’or décidèrent de gagner la colonie hollandaise, située sur l’autre rive du fleuve.

Mais auparavant, ils disposèrent en lieu sûr la provision d’or appartenant à leur maître, et firent parvenir à celui-ci une lettre lui indiquant l’endroit où était déposé son bien.

— Vous avez toujours été bon pour nous, dirent-ils, et en nous évadant nous nous serions fait un scrupule de vous dérober ce que vous nous aviez confié.

Ces deux forçats avaient jadis été condamnés pour vol. L’or qu’ils avaient entre les mains représentait pour eux toute une petite fortune; mais quelque chose en eux était honnête et droit. Pour tous ceux qui connaissaient leur histoire et qui les jugeaient d’après leur passé, ils n’étaient que d’indignes et vils malfaiteurs; mais pour l’homme qui savait avoir confiance en eux, ils savaient, eux, redevenir malgré tout des hommes de confiance.

Petits enfants, soyons prudents et bienveillants dans nos pensées; gardons-nous de juger hâtivement nos semblables; et même gardons-nous de les juger du tout, quand nous pouvons faire autrement.









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