Sont réunis dans ce volume tous les écrits de la Mère datant d’avant 1920 – à l’exception de Prières et Méditations; des causeries faites à Paris à « de petits groupes de chercheurs » ; plusieurs textes écrits au Japon, et « Belles histoires », des contes écrits pour les enfants.
(Conte pour les petits et les grands)
Il était une fois un superbe palais au centre duquel se trouvait un sanctuaire secret, dont jamais aucun être n’avait franchi le seuil. D’ailleurs, même les galeries les plus extérieures étaient peu accessibles aux mortels; car le palais se dressait sur un très haut nuage, et bien rares, dans tous les temps, étaient ceux qui purent en découvrir le chemin.
C’était le palais de la Vérité.
Un jour, une fête y fut donnée, non pas aux hommes, mais à des êtres très différents d’eux, dieux et déesses petits et grands, que, sur la terre, on vénère sous le nom de Vertus.
Le vestibule de ce palais était un grand hall dont les murs, le plancher, le plafond, lumineux par eux-mêmes, resplendissaient de mille feux étincelants.
C’était le Hall de l’Intelligence. Cette lumière très atténuée vers le sol et ayant la couleur d’un beau saphir foncé, s’éclaircissait de plus en plus vers le plafond d’où pendaient, en manière de lustres, des girandoles de diamants, dont les mille facettes lançaient des rayons éblouissants.
Les Vertus arrivèrent séparément, mais formèrent bientôt des groupes sympathiques, toutes joyeuses de se trouver une fois au moins réunies, elles qui sont à l’ordinaire si dispersées à travers le monde et les mondes, si isolées parmi tant d’êtres étrangers.
La Sincérité présidait la fête. Elle était vêtue d’une robe transparente, telle une eau limpide, et tenait dans sa main un cube du cristal le plus pur, à travers lequel les objets peuvent être vus tels qu’ils sont, et bien différents de ce que d’ordinaire ils paraissent, car leur image s’y reflète sans déformation.
Près d’elle, comme deux gardiens fidèles, se trouvaient l’Humilité respectueuse et fière à la fois, et le Courage le front haut, les yeux clairs, la bouche souriante et ferme, l’air tranquille et décidé.
Toute proche du Courage, la main dans sa main, se tenait une femme entièrement voilée dont on ne pouvait voir que les yeux scrutateurs, brillant à travers les voiles. C’était la Prudence.
Parmi tous, allant, venant de l’un à l’autre, et cependant paraissant demeurer sans cesse proche de chacun, la Charité, à la fois vigilante et calme, active et pourtant discrète, laissait sur son passage à travers les groupes un sillon de lumière blanche et douce. Cette lumière qu’elle répand en la tamisant, lui vient, par un rayonnement si subtil qu’il reste invisible à la plupart des yeux, de sa meilleure amie, sa compagne inséparable, sa sœur jumelle, la Justice.
Et autour de la Charité se pressent en une brillante escorte, la Bonté, la Patience, la Douceur, la Prévenance, et bien d’autres encore.
Toutes sont là, ou du moins elles pensent y être toutes.
Mais voilà que soudain au seuil doré paraît une nouvelle venue.
C’est à grand-peine que les gardes, chargés de veiller aux portes, ont consenti à la recevoir. Jamais encore ils ne l’avaient vue, et son aspect n’avait rien qui leur imposât.
Elle était, en effet, toute jeune et frêle, vêtue d’une robe blanche très simple, presque pauvre. Elle fait quelques pas l’air timide, embarrassé. Puis, gênée sans doute de se trouver en si nombreuse et brillante compagnie, elle s’arrête, ne sachant plus vers qui s’avancer.
Après un bref colloque avec ses compagnes, la Prudence se détache, sur leur demande, et se dirige vers l’inconnue. Puis après avoir toussoté, comme le font les personnes embarrassées, pour se donner quelque réflexion, elle s’adresse à elle et lui dit :
« Nous qui sommes réunies en ce lieu, et qui nous connaissons toutes par nos mérites et notre nom, sommes étonnées de votre venue, car vous nous paraissez étrangère, ou du moins il ne nous semble pas vous avoir jamais vue. Auriez-vous la bonté de nous dire qui donc vous êtes? »
La nouvelle venue alors répondit avec un soupir :
« Hélas! Je ne m’étonne pas de paraître étrangère dans ce palais : je suis si rarement invitée quelque part.
« Je me nomme la Gratitude. »
1904
Home
The Mother
Books
CWM
French
Share your feedback. Help us improve. Or ask a question.