Sont réunis dans ce volume tous les écrits de la Mère datant d’avant 1920 – à l’exception de Prières et Méditations; des causeries faites à Paris à « de petits groupes de chercheurs » ; plusieurs textes écrits au Japon, et « Belles histoires », des contes écrits pour les enfants.
Parler d’enfants aux femmes du Japon, c’est, je pense, aborder le sujet qui leur est le plus cher, le plus sacré. En effet, dans aucun pays au monde les enfants n’ont pris une place aussi importante, aussi primordiale. Ils sont ici le centre des soins et de l’attention. Sur eux sont concentrés — et à juste titre — les espoirs de l’avenir. Ils sont la vivante promesse d’une prospérité croissante pour le pays. C’est pourquoi la tâche la plus importante qui soit assignée aux femmes du Japon est de faire des enfants. La maternité est considérée comme le rôle principal de la femme. Mais cela n’est vrai que dans la mesure où nous comprenons ce que signifie le mot maternité : car mettre des enfants au monde comme des lapins leurs petits — instinctivement, dans l’ignorance, comme une machine, cela, certainement, ne peut être appelé maternité. La vraie maternité commence avec la création consciente d’un être, avec la volonté de modeler une âme venant pour se développer et utiliser un corps nouveau. Le vrai domaine de la femme est spirituel.
Nous ne l’oublions que trop souvent. Porter un enfant et construire son corps presque subconsciemment ne suffit pas. Le travail commence réellement quand, par le pouvoir de la pensée et de la volonté, nous concevons et créons un caractère capable de manifester un idéal.
Et ne dites pas que vous n’avez pas le pouvoir de réaliser cela : d’innombrables exemples de ce pouvoir très opérant pourraient être apportés en preuve.
Tout d’abord, les effets de l’environnement physique ont été reconnus et étudiés depuis longtemps. C’est en entourant les femmes de formes d’art et de beauté que, peu à peu, les Grecs de l’antiquité ont créé l’harmonie exceptionnelle de leur race.
Les exemples individuels de faits semblables sont nombreux. Il n’est pas rare de voir une femme qui, pendant sa grossesse, a constamment contemplé et admiré un beau portrait, une belle statue, donner naissance à un enfant ressemblant parfaitement à ce portrait ou à cette statue. J’ai moi-même rencontré plusieurs de ces cas. Parmi ceux-ci, je me souviens très clairement de deux petites filles; elles étaient jumelles et parfaitement belles. Mais le plus surprenant est qu’elles ressemblaient très peu à leurs parents. Elles ressemblaient à un célèbre portrait du peintre anglais Reynolds. J’en ai fait un jour la remarque à la mère qui s’est écriée aussitôt : « N’est-ce pas? Cela vous intéressera de savoir que quand j’attendais ces enfants, j’avais, pendu audessus de mon lit, une très bonne reproduction du tableau de Reynolds. Avant de m’endormir et dès mon réveil, mon dernier et mon premier regard étaient pour ce tableau — et dans mon cœur j’espérais : Puissent mes enfants avoir le même visage que ce portrait! Vous voyez que j’ai très bien réussi. » En vérité, elle pouvait être fière de son succès et son exemple est d’une grande utilité pour les autres femmes.
Mais si nous pouvons obtenir de tels résultats sur le plan physique, où les matériaux sont le moins plastiques, nous pouvons obtenir beaucoup plus sur le plan psychologique où l’influence de la pensée et de la volonté est si puissante. Pourquoi accepter les décrets obscurs de l’hérédité et de l’atavisme, qui ne sont rien d’autre que nos références subconscientes pour nos propres traits de caractère, quand nous pouvons, par la concentration et la volonté, appeler à l’existence un être construit selon l’idéal le plus élevé que nous soyons capables de concevoir? Par cet effort la maternité devient vraiment précieuse et sacrée; à vrai dire, nous entrons dans le glorieux travail de l’Esprit, et la condition de femme s’élève au-dessus de l’animalité et de ses instincts ordinaires vers l’humanité réelle et ses pouvoirs.
Dans cet effort, dans cette tentative, réside donc notre véritable devoir. Et si ce devoir a toujours été de la plus grande importance, cette importance devient capitale au tournant actuel de l’évolution terrestre.
Car nous vivons en un temps exceptionnel, à un tournant exceptionnel de l’histoire du monde. Jamais auparavant peutêtre l’humanité n’a passé par une aussi sombre période de haine, de sang et de confusion. Et en même temps, jamais un espoir aussi fort, aussi ardent ne s’est éveillé dans les cœurs. En fait, si nous écoutons la voix de notre cœur, nous percevons immédiatement que nous sommes, plus ou moins consciemment, en train d’attendre un nouveau règne de justice, de beauté, de bonne volonté harmonieuse et de fraternité. Et cela semble en complète contradiction avec l’état présent du monde. Mais nous savons tous que la nuit n’est jamais si sombre qu’avant l’aurore. Cette obscurité n’est-elle donc pas le signe qu’une aube approche? Et comme jamais la nuit n’a été aussi complète, aussi terrifiante, peut-être jamais l’aube n’aura été aussi brillante, aussi pure, aussi lumineuse que celle qui vient... Après les mauvais rêves de la nuit le monde s’éveillera à une nouvelle conscience.
La civilisation qui trouve maintenant une fin si dramatique était fondée sur le pouvoir de la pensée, de la pensée agissant sur la matière et sur la vie. Ce qu’elle a été pour l’humanité, nous n’avons pas à en discuter maintenant. Mais un nouveau règne arrive, celui de l’Esprit; après l’humain, le divin.
Pourtant, si nous avons eu assez de chance pour vivre sur terre à une époque aussi prodigieuse et unique que celle-ci, est-ce assez d’attendre les événements et de les regarder se dérouler? Tous ceux qui sentent que leur cœur dépasse les limites de leur propre personne et de leur famille, que leur pensée embrasse plus que leurs petits intérêts personnels et les conventions locales, bref tous ceux qui comprennent qu’ils n’appartiennent ni à eux-mêmes, ni à leur famille, ni même à leur pays, mais à Dieu qui se manifeste dans tous les pays à travers l’humanité, ceux-là en vérité savent qu’ils doivent se lever et se mettre au travail au nom de l’humanité pour que l’Aube paraisse.
Et dans ce travail capital, infini, complexe, quel peut être le rôle de la femme? Il est vrai que dès que de grands événements, de grandes œuvres sont en cause, la coutume est de reléguer les femmes dans un coin avec un sourire de mépris protecteur qui signifie : ce n’est pas votre affaire, pauvres créatures faibles et futiles — et les femmes soumises, infantiles, paresseuses peut-être, ont accepté, du moins dans de nombreux pays, ce déplorable état de choses. J’ose dire qu’elles ont tort; dans la vie de l’avenir, il n’y aura plus place pour une telle division, un tel déséquilibre entre le masculin et le féminin. La vraie relation entre les deux sexes est, sur un pied d’égalité, une relation d’aide mutuelle et d’étroite collaboration. Et dès maintenant nous devons reprendre notre vraie situation, la place qui nous est due et affirmer notre réelle importance : celle de formatrices et d’éducatrices spirituelles. En fait, certains hommes, se glorifiant peut-être de leurs prétendus avantages, peuvent mépriser l’apparente faiblesse des femmes — bien que cette faiblesse apparente ne soit pas tout à fait démontrée — mais « Quoi qu’il fasse, le surhomme devra tout de même naître d’une femme », a dit très justement quelqu’un.
Le surhomme naîtra d’une femme, c’est une grande et incontestable vérité; mais il n’est pas suffisant que nous soyons fières de cette vérité; nous devons comprendre clairement ce qu’elle signifie, prendre conscience de la responsabilité qu’elle crée et apprendre à faire face sérieusement à la tâche qui nous attend. Cette tâche est précisément notre part la plus importante dans le travail mondial actuel.
Pour cela nous devons d’abord comprendre, au moins dans leurs grandes lignes, quels sont les moyens par lesquels le chaos et l’obscurité actuels peuvent être transformés en lumière et en harmonie.
On a suggéré beaucoup de moyens — politiques, sociaux, éthiques, religieux même — en fait, aucun ne semble suffisant pour faire face, avec une chance raisonnable de succès, à l’ampleur de la tâche à accomplir. Seul un nouvel influx spirituel, créant en l’homme une nouvelle conscience, peut surmonter l’énorme masse de difficultés qui barre la route au travailleur — une nouvelle lumière spirituelle, manifestation sur terre de quelque force divine inconnue jusqu’à présent, une Pensée de Dieu, nouvelle pour nous, descendant dans ce monde et prenant ici une forme nouvelle.
Ainsi nous revenons à notre point de départ, à notre devoir de maternité véritable. Car cette forme qui doit manifester la force spirituelle capable de transformer les conditions actuelles de la terre, cette forme nouvelle, qui la construira, sinon les femmes?
Nous voyons donc qu’en cette période critique de la vie du monde, il ne suffit plus de donner naissance à un être en qui soit manifesté notre plus haut idéal personnel; nous devons nous efforcer de trouver quel est le type futur dont la nature prépare l’avènement. Il ne suffit plus de former un homme semblable aux plus grands hommes dont nous avons entendu parler ou que nous avons connus, ou même plus grand qu’eux, plus accompli et plus doué; nous devons nous efforcer d’entrer mentalement en contact, par l’aspiration constante de notre pensée et de notre volonté, avec la possibilité suprême, qui, dépassant toutes les mesures et toutes les caractéristiques humaines, donnera naissance au surhomme.
Une fois de plus la nature se sent poussée à créer quelque chose d’entièrement nouveau, quelque chose d’inattendu ; et c’est à cette impulsion que nous devons répondre et obéir.
Essayons tout d’abord de découvrir où cette impulsion de la nature nous mènera. La meilleure manière de procéder est de regarder en arrière les leçons que nous donne le passé.
Nous voyons que chaque progrès de la Nature, chaque manifestation d’une capacité nouvelle, d’un nouveau principe sur la terre, est marqué par l’apparition d’une espèce nouvelle. De même, les formes progressives de la vie des races, des peuples, des individus, se suivent à travers les cycles humains, sans cesse inspirés, fécondés, renouvelés par les efforts des guides de l’humanité. Et toutes ces formes tendent vers le même but, le but mystérieux, le but glorieux de la Nature 12
Quel est ce but? Vers quelle réalisation inattendue de l’avenir la Nature se diriget-elle? Que cherche-t-elle depuis ses origines obscures?
Chaque forme qu’elle crée est une affirmation nouvelle de ce qui, à travers elle, va naître, de ce qu’il est dans sa mission de manifester.
Chaque espèce prépare les autres, les rend possibles, porte témoignage de leur persévérance inlassable, est une preuve de son vœu solennel; dans chacune la matière est un peu plus transfigurée, annonce de futures aurores d’intelligence. À travers d’innombrables cycles, combien de sentiers a-t-elle dû suivre pour atteindre enfin la caverne de l’anthropoïde, de l’homme primitif?
C’est devant lui que s’ouvrira l’allée royale qui mène au palais de l’esprit. Mais combien de races, combien de générations passeront sur terre sans le découvrir, dans combien de sentiers la Nature s’égarera-t-elle en suivant les pas de l’homme? Car, se prenant pour le chef-d’œuvre de l’univers, il ne sait pas qu’il a encore une étape à dépasser.
L’idée de l’homme a-t-elle pu être conçue, avant qu’il existe, dans le cerveau obscur de ses ancêtres, même les plus proches? L’idée du surhomme, avant qu’il n’existe, peut-elle pénétrer dans le cerveau de l’homme?
Et pourtant, dans chaque enfant d’homme qui vient au monde, dans chaque intelligence qui grandit, dans chaque effort des générations qui émergent, dans chaque tentative du génie humain, la Nature cherche, une fois de plus, le chemin qui la mènera plus loin.
Quinze cent millions d’hommes depuis peut-être quinze cent siècles errent ainsi sans trouver cette voie.
Parmi la multitude des chemins sur lesquels tous leurs efforts de progrès s’éparpillent, dans ce domaine comme dans les autres, un seul est le bon : c’est le chemin de la perfection synthétique. Où le découvrir?
Et qui, parmi les hommes, ose s’aventurer ailleurs que sur les pistes faciles et souvent parcourues? Qui, sachant qu’il existe un autre sentier qui mène plus loin, accepte de tout perdre pour le trouver peut-être, de tout perdre en marchant seul, en pensant seul, toujours à l’écart parmi les autres, incertain même d’atteindre ce qu’il cherche?
N’essayez pas de le découvrir parmi ceux qui excellent et qui brillent, car ils excellent et brillent seulement en étant, parfois plus parfaitement, semblables à ceux de leur propre espèce.
Les pierres précieuses aussi excellent et brillent parmi toutes les autres pierres, mais la gemme la plus belle n’appartient pas à la série des combinaisons chimiques
d’où jaillit la vie. Montant de la même manière dans la série des formes, le plus bel arbre de la forêt ne suit pas les voies d’évolution qui élèvent le processus biologique jusqu’à l’animal, jusqu’à l’homme.
Et parmi les hommes aussi, les plus admirés, les plus célèbres, les plus artistes, les plus savants, les plus religieux pourraient bien se trouver loin du chemin qui conduit de l’homme au surhomme.
Chaque race, chaque civilisation, chaque société humaine, chaque religion représente une nouvelle tentative de la Nature, un effort de plus qui s’ajoute à la longue série de ceux qu’elle a multipliés durant des temps incalculables.
Or, comme parmi toutes les formes animales il y en avait une d’où l’homme devait surgir, parmi les espèces sociales et religieuses doit en naître une d’où un jour surgira le surhomme.
Car c’est cela que la Nature recherche dans toutes ses tentatives successives, depuis la première germination de la vie jusqu’à l’homme, jusqu’au Dieu qui doit naître de lui.
Dans la multitude des hommes elle cherche la possibilité du surhomme, et dans chacun d’eux, son but est la réalisation du divin.
C’est à cet appel de la Nature que nous devons répondre; c’est à ce travail magnifique et grandiose que nous devons nous consacrer. Essayons de rendre aussi claires que nous le pouvons les étapes de notre avance sur ce sentier difficile et encore inexploré.
Tout d’abord, nous devons éviter soigneusement, dans notre tentative de concevoir l’homme futur ou surhomme, d’adopter un type d’homme donné en le perfectionnant et en le magnifiant. Pour ne pas tomber, autant que possible, dans cette erreur, nous devons étudier les enseignements de l’évolution de la vie.
Nous avons déjà vu que l’apparition d’une espèce nouvelle annonce toujours la manifestation sur terre d’un nouveau principe, d’un nouveau plan de conscience, d’une nouvelle force ou pouvoir. Mais en même temps que l’espèce acquiert ce pouvoir ou cette conscience jusqu’alors non manifesté, elle peut perdre une ou plusieurs des perfections qui étaient caractéristiques de l’espèce immédiatement précédente. Par exemple, pour ne parler que de la dernière étape du développement de la nature, quelles sont les plus grandes différences entre l’homme et son prédécesseur immédiat, le singe? Chez le singe nous voyons la this vitalité et l’habileté physique atteindre leur suprême perfection, une perfection que la nouvelle espèce devra abandonner. Chez l’homme, plus de ces merveilleuses escalades dans les arbres, de ces sauts périlleux au-dessus des abîmes, de ces bonds de sommet en sommet, mais en échange il a acquis l’intelligence, le pouvoir de raisonner, de combiner, de construire; avec l’homme, c’est la vie de la pensée, de l’intellect qui est apparue sur la terre. L’homme est essentiellement un être mental ; et si ses possibilités ne s’arrêtent pas là, s’il sent en lui d’autres mondes, d’autres facultés, d’autres plans de conscience au-delà de sa vie mentale, ce ne sont là que des promesses pour l’avenir, de même que les possibilités mentales sont latentes dans le singe.
Il est vrai que quelques hommes, très peu, ont vécu dans ce monde au-delà, que nous pouvons appeler le monde spirituel ; certains ont été véritablement les incarnations vivantes de ce monde sur la terre, mais ils sont des exceptions, avant-coureurs montrant la route à l’espèce, la conduisant vers sa réalisation future, et non des hommes ordinaires. Mais ce qui fut le privilège de quelques êtres dispersés dans le temps et l’espace deviendra la caractéristique centrale du type nouveau qui doit apparaître.
À présent l’homme gouverne sa vie par la raison; toutes les activités du mental sont d’usage courant pour lui; ses moyens de connaissance sont l’observation et la déduction; c’est par et à travers le raisonnement qu’il prend ses décisions et choisit son chemin, ou croit le faire, dans la vie.
La nouvelle espèce sera gouvernée par l’intuition, c’est-à-dire par la perception directe de la Loi divine au-dedans. À l’heure actuelle quelques êtres humains connaissent l’intuition et en font l’expérience, tout comme, sans aucun doute, certains grands gorilles des forêts ont des lueurs de raisonnement.
Dans l’humanité, les quelques individus qui ont cultivé leur moi intérieur, qui ont concentré leurs énergies sur la découverte de la véritable loi de leur être, possèdent plus ou moins la faculté d’intuition. Quand le mental est parfaitement silencieux, pur comme un miroir bien poli, immobile comme un étang par un jour sans brise, alors d’en haut comme la lumière des étoiles tombe sur les eaux immobiles, la lumière du supramental, de la vérité intérieure brille sur le mental calmé et donne naissance à l’intuition. Ceux qui ont l’habitude d’écouter cette voix sortie du Silence en font de plus en plus le motif déterminant de leur action; et là où les autres, les hommes ordinaires, errent dans les dédales du raisonnement, eux vont droit leur chemin, guidés dans les méandres de la vie par l’intuition, cet instinct supérieur, comme par une main forte et infaillible.
Cette faculté qui est exceptionnelle, presque anormale de nos jours, sera certainement tout à fait banale et naturelle dans la nouvelle espèce, dans l’homme de demain, mais son exercice constant sera probablement préjudiciable aux facultés de raisonnement. Tout comme l’homme ne possède plus l’extrême habileté physique du singe, de même le surhomme perdra l’extrême habileté mentale de l’homme 13, cette faculté de se tromper lui-même et de tromper les autres.
Ainsi, la route de l’homme vers la surhumanité sera ouverte quand il déclarera hardiment que tout ce qu’il a élaboré jusqu’à présent, y compris l’intellect dont il est maintenant fier à si juste titre, mais avec tant de vanité, ne le satisfait plus, et que faire sortir, découvrir, libérer ce pouvoir plus grand en lui sera désormais sa grande préoccupation. Alors ses recherches philosophiques, artistiques, scientifiques, éthiques, sociales et vitales ne seront plus poursuivies pour elles-mêmes, un exercice du mental et de la vie tournant en rond mais un moyen de découvrir une Vérité plus grande derrière le mental et la vie, et d’apporter son pouvoir dans notre existence humaine. Et cette découverte est celle de notre véritable moi, de notre véritable nature, parce que c’est celle de notre moi et de notre nature supérieurs.
Cependant, ce moi que nous ne sommes pas encore, mais que nous devons devenir, n’est pas la puissante volonté vitale chantée par Nietzsche, mais un moi spirituel et une nature spirituelle. Car sitôt que nous parlons de surhumanité, nous devons avoir soin d’éviter toute confusion avec la conception puissante, mais si superficielle et incomplète de Nietzsche.
En effet, depuis que Nietzsche a inventé le mot de surhomme, quand quelqu’un emploie ce mot pour parler de l’espèce future, il évoque en même temps, volontairement ou non, la conception de Nietzsche. Certes, son idée que notre véritable affaire est d’élaborer le surhomme à partir de notre humanité actuelle si peu satisfaisante est en elle-même une idée tout à fait saine; certes, on ne peut mieux trouver que sa formulation de notre but : « devenir nous-mêmes », impliquant que l’homme n’a pas encore trouvé son vrai moi, sa vraie nature, grâce à laquelle il pourrait vivre heureusement et spontanément. Cependant, Nietzsche a commis l’erreur que nous devrions éviter : son surhomme n’est qu’un homme agrandi, magnifié, en qui la force est devenue prédominante, écrasant sous son poids tous les autres attributs de l’homme. Tel ne peut être notre idéal. Nous voyons trop bien à présent où conduit l’adoration exclusive de la force : aux crimes des puissants et à la ruine des continents.
Non, la voie vers la surhumanité est dans le déploiement de l’Esprit à jamais parfait. Tout changerait, tout deviendrait facile si l’homme pouvait un jour consentir à être spiritualisé. La perfection plus haute de la vie spirituelle viendra par une obéissance spontanée de l’homme spiritualisé à la vérité de son propre être réalisé, quand il sera devenu lui-même, qu’il aura trouvé sa propre nature réelle; mais cette spontanéité ne sera pas instinctive et subconsciente comme celle de l’animal, mais intuitive et pleinement, intégralement consciente.
Par conséquent, les individus qui, dans l’ère nouvelle,contribueront le plus à l’avenir de l’humanité, seront ceux qui reconnaîtront que la destinée et par conséquent le besoin majeur de l’être humain résident dans l’évolution spirituelle, une évolution ou une conversion du type actuel d’humanité en une humanité spiritualisée, tout comme l’homme animal s’est largement converti en une humanité hautement mentalisée.
Ces individus seront comparativement indifférents à une croyance ou à une forme de religion particulière, et laisseront les hommes recourir aux croyances et aux formes vers lesquelles ils sont naturellement attirés. Ils ne tiendront pour essentielle que la foi en la conversion spirituelle. En particulier, ils ne commettront pas l’erreur de penser que ce changement peut être effectué par un mécanisme et des institutions extérieures; ils sauront et n’oublieront jamais qu’il doit être vécu par chaque homme intérieurement, faute de quoi il ne pourra jamais devenir une réalité.
Et parmi ces individus, la femme doit être la première à réaliser le grand changement, puisque sa tâche particulière est de donner naissance, dans ce monde, aux premiers spécimens de l’espèce nouvelle. Et pour en être capable, elle doit concevoir plus ou moins ce que seront les résultats pratiques de cette conversion spirituelle. Car si celle-ci ne peut être effectuée par de simples transformations extérieures, elle ne peut pas non plus être réalisée sans qu’interviennent de telles transformations.
Ces transformations ne porteront certainement pas moins sur les domaines moraux et sociaux que sur le domaine intellectuel.
Comme les croyances et les cultes religieux deviendront secondaires, les restrictions ou les prescriptions éthiques, les règles de conduite ou les conventions perdront leur importance 14.
Mais parmi ces individus la femme, nous l’avons dit, aura une tâche spéciale et unique à accomplir, celle de donner naissance dans ce monde aux premiers spécimens de l’espèce nouvelle. Et pour en être capables, nous devons plus ou moins concevoir dans notre pensée l’idéal de ce que le surhomme pourra être.
Évidemment, rien n’est plus difficile que de tracer un portrait de ce que sera l’espèce nouvelle; c’est une tentative presque irréalisable, et nous n’allons certes pas essayer d’entrer dans les détails : car nous ne pouvons demander à notre mental de saisir avec certitude ou exactement cette création du supramental, de l’esprit.
Mais comme nous avons déjà vu que la substitution de la connaissance intuitive à la raison mentale sera l’un des traits caractéristiques de l’être futur, quelle pourra être de la même manière, la norme de vie morale et sociale de l’espèce nouvelle?
Du point de vue éthique, pour l’individu de l’espèce nouvelle, il n’y aura certainement plus de restrictions ni d’obligations, de règles de conduite ni de conventions.
Actuellement, dans la vie humaine, tout le problème moral se concentre sur le conflit entre la volonté vitale et ses impulsions et le pouvoir mental et ses décrets. Quand la volonté vitale est soumise au pouvoir mental, alors la vie de l’individu ou de la société devient morale. Mais ce n’est que quand tous deux, volonté vitale et pouvoir mental, sont également soumis à quelque chose de plus haut, au supramental, que la vie humaine est dépassée, que la vraie vie spirituelle commence, la vie du surhomme; car sa loi viendra du dedans, elle sera la loi divine brillant au centre de chaque être et gouvernant la vie du dedans, la loi divine multiple dans sa manifestation mais une dans son origine. Et à cause de son unité, cette loi est la loi de l’ordre suprême et de la suprême harmonie.
Ainsi l’individu, qui ne sera plus guidé par des motifs, des lois ou des coutumes égoïstes, abandonnera tous les objectifs de l’ego. Sa règle sera le désintéressement parfait. Agir dans l’intention d’obtenir un profit personnel, dans ce monde ou dans l’au-delà, deviendra une impossibilité inconcevable. Car chaque acte sera accompli dans une obéissance complète, simple, joyeuse à la loi divine qui l’inspirera, sans aucune recherche de récompense ni de résultat, puisque la suprême récompense viendra du délice même d’agir sous cette inspiration, de s’identifier en conscience et en volonté avec le principe divin à l’intérieur de soi.
Et dans cette identification, le surhomme trouvera aussi sa norme sociale. Car en découvrant la loi divine en lui, il reconnaîtra la même loi divine dans chaque être, et étant identifié à elle en lui-même, il sera identifié en tous, percevant ainsi l’unité de tous, non seulement en essence et en substance mais aussi dans les plans les plus extérieurs de la vie et de la forme. Il ne sera pas un mental, une vie ou un corps, mais l’Âme ou le Moi silencieux, paisible, éternel, qui les forme et les soutient, qui les possède; et il apercevra partout cette Âme, ce moi, qui forme, soutient et possède toute vie, tout mental et tout corps. Il sera conscient de ce Moi comme du divin créateur qui accomplit toutes les œuvres, un dans toutes les existences; car les nombreuses âmes de la manifestation universelle ne sont que des visages du Divin unique. Il percevra que chaque être est la Divinité universelle qui lui présente de nombreux visages; il s’engloutira dans Cela et percevra son propre mental, sa vie et son corps comme une simple représentation du Moi, et tous ceux qu’à présent nous concevons comme les autres seront pour sa conscience son propre moi dans d’autres intellects, d’autres vies et d’autres corps. Il sera capable de sentir que son corps est un avec les autres corps, puisqu’il percevra constamment l’unité de toute matière; il s’unira lui-même en mental et en cœur avec toutes les existences; bref, il verra et sentira sa propre personne dans toutes les autres et toutes les autres en lui, réalisant ainsi la vraie solidarité dans la perfection de l’unité.
Mais nous devons limiter notre description du surhomme à ces suggestions indispensables, et arrêter là notre tentative de le dépeindre, convaincues que nous sommes que toute tentative de précision plus grande se révélerait non seulement vaine mais inutile. Car ce n’est pas une somme d’imaginations plus ou moins exactes qui peut nous aider à former le type futur. C’est en entretenant résolument, dans notre cœur et notre mental, le dynamisme, l’élan irrésistible donné par une aspiration sincère et ardente, en maintenant en nous-mêmes un certain état de réceptivité éclairée à l’égard de l’Idée suprême de l’espèce nouvelle qui a la volonté de se manifester sur terre, que nous pourrons avancer d’un pas décisif vers la formation des enfants de l’avenir, et nous rendre aptes à servir d’intermédiaires pour la création de ceux qui sauveront l’Humanité 15.
Car, en vérité, ils seront des sauveurs, puisque chaque être de ce nouveau type ne vivra ni pour lui-même, ni pour l’État ou la société, ni pour l’ego individuel, ni pour l’ego collectif, mais pour quelque chose de beaucoup plus grand, pour Dieu en lui et pour Dieu dans le monde.
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