CWM (Fre) Set of 18 volumes
Pensées et Aphorismes de Sri Aurobindo Vol. 10 of CWM (Fre) 436 pages 2009 Edition
French

ABOUT

Ce volume comporte les commentaires de la Mère sur les Pensées et Aphorismes de Sri Aurobindo, et le texte de ces Aphorismes.

Pensées et Aphorismes de Sri Aurobindo

(traduction et commentaires)

The Mother symbol
The Mother

Ce volume comporte les commentaires de la Mère sur les Pensées et Aphorismes de Sri Aurobindo, et le texte de ces Aphorismes.

Collection des œuvres de La Mère Pensées et Aphorismes de Sri Aurobindo Vol. 10 436 pages 2009 Edition
French
 PDF   

Pensées et Aphorismes : traduction et commentaires

  French|  12 tracks
0:00
0:00
Advertising will end in 
skip_previous
play_arrow
pause
skip_next
volume_up
volume_down
volume_off
share
ondemand_video
description
view_headline
NOTHING FOUND!
close
close
close
close
26:49
|
33:34
|
14:31
|
15:14
|
23:03
|
18:38
|
28:52
|
18:31
|
20:38
|
12:15
|
32:26
|
17:27
|

Jnâna (La Connaissance): Commentaires Troisième Période (1962-1966)




Aphorismes - 115, 116

115 — Le monde est une fraction périodique qui se répète indéfiniment, avec le Brahman pour nombre entier. La période semble commencer et finir, mais la fraction est éternelle  : elle n’aura jamais de fin et n’a jamais eu vraiment de commencement.

116 — Dire que les choses commencent et finissent est une convention de notre expérience ; dans leur existence vraie, ces termes n’ont pas de réalité  : il n’y a ni fin ni commencement.

La semaine dernière encore, il y a eu tout un développement de cette expérience.

Au fond, c’est la même chose pour les mondes que pour les individus et pour les univers que pour les mondes. C’est seulement la durée qui diffère — un individu, c’est petit; un monde, c’est un peu plus grand; et un univers, c’est encore un peu plus grand! Mais ce qui commence, finit.

Pourtant, Sri Aurobindo dit qu’il n’y a « ni commence ment ni fin » !

Nous sommes obligés d’employer des mots, mais la Chose échappe. Ce qui se traduit pour nous par le « Principe éternel », le « Suprême », « Dieu », n’a ni commencement ni fin — nous sommes obligés de dire « c’est », mais ce n’est pas comme cela, parce que c’est au-delà de la Non-Manifestation et de la Manifestation; c’est quelque chose que, dans la Manifestation, on est incapable de comprendre et de percevoir, et c’est cela qui n’a ni commencement ni fin. Mais constamment et éternellement, Cela se manifeste en quelque chose qui commence et qui finit. Seulement, il y a deux façons de « finir » : l’une qui apparaît comme une destruction, une annihilation, et l’autre qui est une transformation; et il semblerait qu’à mesure que la Manifestation se perfectionne, la nécessité de la destruction diminue, jusqu’au moment où elle disparaîtra et sera remplacée par un processus de transformation progressive. Mais c’est une façon tout à fait humaine et extérieure de dire.

Je suis absolument consciente de l’insuffisance des mots, mais à travers les mots, il faut saisir la Chose... La difficulté pour la pensée humaine, et pour l’expression encore plus, c’est que les mots ont toujours un sens de commencement.

(silence)

J’ai eu la perception de cette manifestation — une manifestation « pulsatile » pourrait-on dire, qui s’épanouit, qui se recroqueville, qui s’épanouit, qui se recroqueville... et il y a un moment où l’épanouissement est tel, la fluidité, la plasticité, la capacité de changement est telle qu’il n’est plus besoin de résorber pour reformer, et ce sera une transformation progressive. Je connaissais un occultiste qui disait que c’est la septième création universelle; qu’il y a eu six pralayas 52 avant et que c’est la septième création, mais que celle-ci pourra se transformer sans se résorber — ce qui n’a évidemment aucune espèce d’importance, parce que, dès que l’on a la conscience éternelle, ça peut être comme ceci, ça peut être comme cela, cela n’a aucune importance. C’est pour la conscience humaine limitée qu’il y a cette espèce d’ambition ou de besoin de quelque chose qui ne finit pas, parce qu’il y a, au-dedans, ce que l’on pourrait appeler « le souvenir de l’éternité », et que ce souvenir de l’éternité aspire à ce que la manifestation participe à cette éternité. Mais si ce sens de l’éternité est actif et présent, on ne se lamente pas : on ne se lamente pas parce que l’on rejette un habit abîmé, n’est-ce pas; on peut être attaché, mais enfin on ne se lamente pas. C’est la même chose, si un univers disparaît, cela veut dire qu’il a rempli sa fonction pleinement, qu’il est arrivé au bout de ses possibilités et qu’un autre doit le remplacer.

J’ai suivi toute la courbe. Quand on est tout petit dans la conscience et dans le développement, on sent un grand besoin que la terre ne disparaisse pas, qu’elle se perpétue (en se transformant tant que l’on veut, mais que ce soit toujours la terre qui se perpétue). Un peu plus tard, quand on est un peu plus mûr, on y attache beaucoup moins d’importance. Et quand on est en communion constante avec le sens de l’éternité, cela ne devient plus qu’une question de choix — ce n’est plus un besoin, parce que c’est quelque chose qui n’affecte pas la conscience active. Il y a quelques jours (je ne sais plus quand, mais tout dernièrement) pendant toute une matinée, j’ai vécu cette Conscience et j’ai vu, dans la courbe du développement de l’être, que cette espèce de besoin, qui paraît un besoin intime, de la prolongation de la vie de la terre — la prolongation indéfinie de la vie de la terre —, ce besoin s’objective pour ainsi dire, il n’est plus si intime; c’est comme lorsqu’on regarde un spectacle et que l’on juge s’il doit être comme ceci ou s’il doit être comme cela... C’était intéressant comme changement de point de vue.

C’est comme un artiste, mais un artiste qui se façonnerait lui-même et qui ferait un essai, deux essais, trois essais, autant d’essais qu’il faut, puis qui arrive à quelque chose d’assez complet en soi et d’assez réceptif pour pouvoir s’adapter à de nouvelles manifestations, aux besoins des nouvelles manifestations, de telle sorte qu’il ne serait pas nécessaire de tout rentrer pour tout remélanger et tout ressortir. Mais ce n’est plus que cela, et comme je dis, une question de choix. N’est-ce pas, la manifestation est faite pour la joie de l’objectivation (la joie ou l’intérêt, ou... enfin) et quand ce qui a été façonné est assez plastique, assez réceptif, assez souple et assez vaste pour pouvoir constamment être moulé par les nouvelles forces qui se manifestent, il n’est plus besoin de tout défaire pour tout refaire.

La courbe se présentait aussi avec un adage : « Ce qui commence doit finir » — cela paraît être une de ces constructions mentales humaines qui ne sont pas nécessairement vraies. Mais subjectivement, ce qui est intéressant, c’est que le problème perd de son acuité à mesure qu’on le regarde de plus haut (ou d’un point plus central, pour dire la vérité).

Il semble que ce soit le même... pas « principe », parce que ce n’est pas un principe — la même loi pour l’individu, pour les mondes et pour les univers.

(long silence)

Dès que l’on essaye d’exprimer (Mère fait un geste de renverse ment), tout se fausse... Je regardais cette expérience de la relation avec la Conscience et le Tout; cette relation de l’être humain avec le Tout; de la terre (la conscience de la terre) avec le Tout; de la conscience de l’univers manifesté avec le Tout; et de la conscience qui préside à l’univers — à tous les univers — avec le Tout; et ce phénomène inexprimable que chaque point de conscience (un point qui n’occupe pas d’espace), chaque point de conscience est capable de toutes les expériences... C’est très difficile à dire.

On pourrait dire que ce sont seulement les limites qui font les différences — les différences de temps, les différences d’espace, les différences de grandeur, les différences de puissance. Ce sont seulement les limites. Et du moment où la conscience sort des limites, sur n’importe quel point de la manifestation et quelle que soit la dimension de cette manifestation (oui, la dimension de cette manifestation est absolument sans importance), sur n’importe quel point de la manifestation, si l’on sort des limites, c’est la Conscience.

Vu sous cet angle, on pourrait dire que c’est l’acceptation des limites qui a permis la manifestation. La possibilité de la manifestation est venue avec l’acceptation du sens de la limite...

C’est impossible à dire. Toujours, dès que l’on se met à parler, on a l’impression de quelque chose qui fait comme cela (même geste de renversement), une sorte de bascule, et puis c’est fini, l’essentiel s’en va. Alors le sens métaphysique vient et dit : « On pourrait dire comme cela, on pourrait dire comme ceci... » Pour faire des phrases : tout point contient la Conscience de l’Infini et de l’Éternité (ce sont des mots, rien que des mots). Mais la possibilité de l’expérience est là. C’est une sorte de recul en dehors de l’espace... On pourrait s’amuser à dire que même la pierre, même... oh! l’eau, certainement, le feu certainement, a le pouvoir de la Conscience — la Conscience (tous les mots qui viennent sont idiots!) originelle, essentielle, primordiale (tout cela ne veut rien dire), éternelle, infinie... Cela ne veut rien dire, cela me fait l’effet de poussières que l’on jette sur un verre pour l’empêcher d’être transparent! Enfin, conclusion, après avoir vécu cette expérience-là (je l’ai eue ces jours-ci d’une façon répétée, elle restait là souverainement, en dépit de tout, travail, activités, elle présidait à tout), tout attachement à n’importe quelle formule, même celles qui ont remué les peuples pour des âges, me paraît un enfantillage. Et alors, ce n’est plus qu’un choix : on choisit que ce soit comme cela ou comme cela ou comme cela ; on dit ça ou ça ou ça — amusez-vous, mes enfants... si ça vous amuse.

Mais il est certain (c’est une constatation à l’usage courant), il est certain que le mental humain, pour avoir l’impulsion à agir, a besoin de construire une demeure — plus ou moins grande, plus ou moins complète, plus ou moins souple, mais il a besoin d’une demeure. Seulement (riant) ce n’est pas cela ! ça fausse tout!

Et ce qui est étrange — ce qui est étrange —, c’est qu’extérieurement on continue à vivre automatiquement selon certains modes de vie (qui n’ont même plus la vertu de vous paraître nécessaires, qui n’ont même plus la force d’être des habitudes) et qui sont acceptés et vécus, presque automatiquement, avec le sens (une espèce de sentiment, de sensation, mais ce n’est ni sentiment ni sensation, c’est une sorte de perception très subtile) que Quelque Chose, de tellement immense que c’est indéfinissable, le veut. Je dis le « veut » ou je dis le « choisit », mais c’est le veut; c’est une Volonté qui ne fonctionne pas comme la volonté humaine, mais qui le veut — qui le veut ou qui le voit ou qui le décide. Et en chaque chose, il y a cette Vibration lumineuse, dorée, impérative... qui est nécessairement toutepuissante. Et cela donne un arrière-fond de bien-être parfait de la Certitude, qui se traduit, un petit peu plus bas dans la conscience, par un sourire bienveillant et amusé.

Plus loin, Sri Aurobindo parle des mondes qui n’ont ni commencement ni fin et il dit que leur création et leur destruction est un « jeu de cache-cache avec notre cons cience extérieure 53 »...

C’est certainement une façon très élégante de dire la même chose que je viens de dire!

Ce que je voulais demander, c’est si, de « l’autre côté », le monde matériel continue à être perçu d’une façon claire, ou bien si tout cela s’évapore ?

C’est encore une expérience de ces jours derniers. Il m’est venu d’une façon certaine et absolue (quoique très difficile à exprimer) que cette prétendue « erreur » du monde matériel tel qu’il est, était indispensable; c’est-à-dire que le mode matériel ou la manière matérielle de percevoir, de devenir conscient des.choses, ce mode a été gagné par « l’erreur » de cette création et n’aurait pas existé sans elle, et que ce n’est pas quelque chose qui s’évanouira dans la non-existence quand on aura la vraie Conscience — c’est quelque chose qui s’ajoute d’une façon spéciale (qui a été perçu, qui a été vécu à ce moment-là dans la Conscience essentielle).

C’était comme une justification de la création, qui a rendu possible un certain mode de perception (que l’on pourrait décrire par les mots « précision », « exactitude » dans l’objectivation) qui n’aurait pas pu exister sans cela. Parce que, au moment où cette Conscience — la Conscience parfaite, la Conscience vraie, la Conscience — était là, présente et vécue à l’exclusion de toute autre, il y avait quelque chose, comme un mode vibratoire, peut-on dire, un mode vibratoire de précision et d’exactitude objectives, qui n’aurait pas pu exister sans cette forme matérielle de création... N’est-ce pas, il y avait toujours ce grand « pourquoi ? » — le grand « pourquoi comme cela, pourquoi tout cela ? » qui a eu pour résultat tout ce qui se traduit dans la conscience humaine par la souffrance et la misère et l’impuissance, et tout, toutes les horreurs de la conscience ordinaire — pourquoi ? pourquoi cela ? Et alors, la réponse était ainsi : dans la Conscience vraie, il y a un mode vibratoire de précision, d’exactitude, de netteté dans l’objectivation, qui n’aurait pas pu exister sans cela, qui n’aurait pas eu l’occasion de se manifester. C’est sûr. C’est la réponse — la réponse toutepuissante au « pourquoi ».

Il est évident — évident — que ce qui se traduit pour nous par le progrès, par une manifestation progressive, n’est pas seulement une loi de la manifestation matérielle telle que nous la connaissons, mais que c’est le principe même de la Manifestation éternelle. Si l’on veut redescendre au niveau de la pensée terrestre, on peut dire qu’il n’y a pas de manifestation sans progrès. Mais ce que nous appelons progrès, ce qui pour notre conscience est « progrès », là-haut c’est... ce peut être n’importe quoi, une nécessité, tout ce que l’on veut — il y a une sorte d’absolu que nous ne comprenons pas, un absolu d’être : c’est comme cela, parce que c’est comme cela, voilà. Mais pour notre conscience, c’est de plus en plus, de mieux en mieux (et ces mots sont idiots), c’est de plus en plus parfait, de mieux en mieux perçu. C’est le principe même de la manifestation.

Et il y a une expérience, qui est venue d’une façon très fugitive mais suffisamment précise pour permettre de dire (très maladroitement) que — j’allais dire la « saveur » du NonManifesté —, que le Non-Manifesté a une saveur spéciale à cause du Manifesté.

Tout cela, ce sont des mots, mais c’est tout ce que nous possédons. Peut-être un jour aurons-nous des mots ou une langue qui pourra dire ces choses convenablement, c’est possible, mais ce sera toujours une traduction.

Il y a là un niveau (geste à hauteur de poitrine) où quelque chose joue avec les mots, les images, les phrases, comme cela (geste chatoyant, onduleux) ça fait de jolies images; et cela a un pouvoir de vous mettre en rapport avec la Chose, peut-être plus grand (au moins aussi grand, mais peut-être plus grand) qu’ici (geste au niveau du front), l’expression métaphysique (« métaphysique » est une façon de parler) : les images. C’est-à-dire la poésie. Il y a là un accès presque plus direct à cette Vibration inexprimable. Je vois l’expression de Sri Aurobindo dans sa forme poétique, elle a un charme et une simplicité — une simplicité et une douceur et un charme pénétrant — qui vous met en rapport direct beaucoup plus intimement que toutes ces choses de la tête.

Quand on est dans cette Conscience éternelle, être avec un corps ou être sans corps ne fait pas beaucoup de diffé rence, mais quand on est soi-disant « mort », est ce que la perception du monde matériel reste claire et précise, ou est ce qu’elle devient aussi vague et imprécise que peut l’être la conscience des autres mondes quand on est de ce côté-ci, dans ce monde-ci ? Sri Aurobindo parle d’un jeu de cache-cache, mais le jeu de cache-cache est intéressant si un état d’être ne prive pas de la conscience des autres états d’être ?

Hier ou avant-hier, pendant toute la journée, du matin jusqu’au soir, quelque chose disait : « Je suis — je suis ou j’ai la conscience du mort sur la terre. » Je traduis par des mots, mais c’était comme s’il était dit : « C’est comme cela qu’est la conscience d’un mort vis-à-vis de la terre et des choses physiques... Je suis un mort qui vit sur la terre. » Suivant la position de la conscience (parce que la conscience change de position tout le temps), suivant la position de la conscience, c’était : « C’est comme cela que sont les morts vis-à-vis de la terre », puis : « Je suis absolument comme un mort vis-à-vis de la terre », puis : « Je vis comme un mort vit sans la conscience de la terre », puis : « Je suis tout à fait comme un mort qui vit sur la terre »... et ainsi de suite. Et je continuais à agir, à parler, à faire comme d’habitude. Mais il y a longtemps que c’est comme cela. Pendant très longtemps, plus de deux ans, je voyais le monde comme cela (mouvement ascendant, d’un degré à un autre surplombant), et maintenant je le vois comme cela (mouvement descendant). Je ne sais pas comment expliquer cela, parce que cela n’a rien de mentalisé, et les sensations non mentalisées ont un certain flou qui est difficile à définir. Mais les mots et la pensée étaient à une certaine distance (geste autour de la tête), comme quelque chose qui regarde et qui apprécie, c’est-à-dire qui dit ce que cela voit — quelque chose qui est autour. Et aujourd’hui, deux ou trois fois, c’était extrêmement fort (je veux dire que l’état dominait toute la conscience), une espèce d’impression (ou de sensation ou de perception, mais ce n’est rien de tout cela) : je suis un mort qui vit sur la terre.

Comment expliquer cela ?

Et alors, par exemple, pour la vision, la précision objective manque (Mère fait le geste de ne pas voir par les yeux). Je vois à travers et par la conscience. Pour l’audition, j’entends d’une tout autre manière : il y a une sorte de « discrimination » (ce n’est pas « discernement »), quelque chose qui choisit dans la perception, quelque chose qui décide (décide, mais pas automatiquement) de ce qui est entendu et de ce qui n’est pas entendu, de ce qui est perçu et de ce qui n’est pas perçu. C’est déjà là dans la vision, mais c’est encore plus fort pour l’ouïe : pour certaines choses, on n’entend qu’un ronflement continu; d’autres choses, on les entend claires comme du cristal; d’autres sont floues, on entend à moitié. La vue, c’est la même chose : tout est comme derrière un brouillard lumineux (très lumineux, mais un brouillard, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de précision) et puis, tout d’un coup, il y a une chose qui est absolument précise et claire, une vision de détail extraordinairement précise. Généralement, la vision est l’expression de la conscience des choses. C’est-à-dire que tout semble de plus en plus subjectif, de moins en moins objectif... Et ce ne sont pas des visions qui s’imposent à la vue ni des bruits qui s’imposent à l’audition : c’est une espèce de mouvement de conscience qui rend certaines choses perceptibles et certaines comme un arrière-plan très imprécis.

La conscience choisit ce qu’elle veut voir.

Il n’y a rien de personnel — rien de personnel. Il y a évidemment l’impression d’un choix et d’une décision, mais il n’y a aucune impression de choix et de décision personnels — d’ailleurs, le « personnel » se réduit à la nécessité de faire intervenir ça (Mère touche ses mains). Comme pour manger, c’est très bizarre — c’est très bizarre... C’est comme quelqu’un qui assiste à un corps (qui n’est même pas une chose très précise et très définie, mais une sorte de conglomérat qui se tient ensemble), et qui assiste à... quelque chose qui se passe! Non, c’est vraiment un état bizarre. Aujourd’hui, c’était très fort, cela dominait toute la conscience. Et même, il y a des moments où on a l’impression qu’un rien vous ferait perdre le contact (geste de décrochage, comme si le lien avec le corps était rompu) et que c’est seulement si l’on reste bien immobile et bien indifférent — indifférent — que ça peut continuer.

Ces expériences sont toujours précédées par une sorte de rapprochement très intime et très intérieur de la Présence Suprême, avec une sorte de suggestion : « Es-tu prête à n’importe quoi ? » Naturellement, je dis : « N’importe quoi. » Et la Présence devient d’une intensité si merveilleuse qu’il y a une sorte de soif de tout l’être : que ce soit constamment comme cela. Il n’y a plus que Ça qui existe, il n’y a plus que Ça qui ait une raison d’être. Et là-dedans, vient cette suggestion : « Es-tu prête à n’importe quoi ? »

Je parle du corps. Il ne s’agit pas des êtres intérieurs, il s’agit du corps.

Et le corps dit toujours oui, il fait comme cela (geste d’abandon) : pas de choix, pas de préférence, même pas d’aspiration, un abandon total, total. Et alors, il me vient des choses comme celle-là ; hier toute la journée, c’était : « Un mort qui vit sur terre. » Avec la perception (pas encore très prononcée mais suffisamment claire) d’une très grande différence dans la manière de vivre avec celle des autres — tous les autres. Ce n’est pas encore tranché ni net ni très précis, mais c’est très clair. C’est très clair, c’est très perceptible. C’est une autre manière de vivre.

On aurait tendance à dire que ce n’est pas un gain du point de vue de la conscience, puisque les choses s’éva nouissent. Je ne sais pas, est ce un gain ?

Ce ne peut être qu’une transition. C’est un mode transitoire.

Au point de vue conscience, c’est un gain formidable! Parce que tous les esclavages, toutes les attaches avec les choses extérieures, tout cela est fini, tout à fait tombé — tout à fait tombé, une liberté absolue. C’est-à-dire qu’il n’y a plus que Ça, le Maître Suprême, qui est maître. À ce point de vue, cela ne peut être qu’un gain. C’est une réalisation tellement radicale... Cela paraît être un absolu de liberté, quelque chose que l’on considère comme impossible à réaliser en vivant la vie ordinaire sur la terre.

Cela correspond à l’expérience de liberté absolue que l’on a dans les parties supérieures de l’être quand on ne dépend plus du tout du corps. Mais ce qui est remarquable (j’insiste beaucoup là-dessus), c’est la conscience du corps qui a ces expériences, et c’est un corps qui est encore visiblement ici!

Évidemment, il n’y a plus rien de ce qui donne aux êtres humains la « confiance de la vie ». Il paraît n’y avoir plus aucun support du monde extérieur, il n’y a plus que... la Volonté suprême. Pour traduire avec les mots ordinaires, eh bien, le corps a l’impression de vivre uniquement parce que le Seigneur Suprême veut qu’il vive, autrement il ne pourrait pas vivre.

Oui, mais il me semble qu’un état de perfection devrait tout embrasser, c’est-à-dire que l’on peut être dans l’état suprême sans que cela abolisse l’état materiel.

Mais ça ne l’abolit pas!

Mais tu dis quand même que c’est « loin », que c’est « derrière un voile », que cela n’a plus son exactitude et sa precision.

Ça, c’est une perception purement humaine et superficielle. Je n’ai pas du tout l’impression d’avoir rien perdu, au contraire! J’ai l’impression d’un état très supérieur à celui que j’avais.

Même du point de vue matériel ?

Ce que le Seigneur veut, est fait — c’est tout; ça commence là et ça finit là.

S’Il me disait... Quoi qu’Il veuille que le corps fasse, il peut le faire; il ne dépend plus des lois physiques.

Ce qu’Il veut voir, il le voit, ce qu’Il veut entendre, il l’entend.

Incontestablement.

Et quand Il veut voir ou Il veut entendre matérielle ment, il voit parfaitement et il entend parfaitement. Oh! Parfaitement.

Il y a des moments où la vision est plus précise qu’elle n’a jamais été. Mais c’est fugitif, ça vient et ça passe; parce que, probablement, c’est seulement comme une assurance de ce qui sera. Mais par exemple, la perception de la réalité intérieure des gens... pas de ce qu’ils croient être ni de ce qu’ils prétendent être ni de ce qu’ils paraissent être — tout cela disparaît, mais la perception de leur réalité intérieure est infiniment plus précise qu’avant. Je vois une photographie, par exemple, il n’est plus question de voir « à travers » quelque chose : je vois presque uniquement ce qu’est cette personne. Le « à travers » diminue au point que parfois cela n’existe pas du tout.

Naturellement, si une volonté humaine voulait s’exercer sur ce corps, si une volonté humaine disait : « Il faut que Mère fasse ceci ou il faut que Mère fasse cela, ou il faut qu’elle puisse faire ceci, il faut qu’elle puisse faire... », elle serait complètement déçue, elle dirait : « Elle n’est plus bonne à rien », parce que ça ne lui obéirait plus... Et constamment les êtres humains exercent leur volonté les uns sur les autres, ou l’être humain lui-même reçoit les suggestions et les manifeste comme sa propre volonté, sans s’apercevoir que tout cela, c’est le Mensonge extérieur.

(silence)

Il y a une sorte de certitude dans le corps, que si, même pendant l’espace de quelques secondes, je perdais le contact — « je » veut dire le corps perdait le contact avec le Suprême, instantanément il mourrait. Ce n’est plus que le Suprême qui le tient en vie. C’est comme cela. Alors, naturellement, pour la conscience ignorante et stupide des êtres humains, c’est une condition lamentable — pour moi, c’est la condition vraie! Parce que, pour eux, instinctivement, spontanément, d’une façon pour ainsi dire absolue, le signe de la perfection, c’est la puissance de la vie, la vie ordinaire... Eh bien, elle n’existe plus du tout — c’est complètement parti.

Oui, bien des fois, plusieurs fois, le corps a posé la question : « Pourquoi est-ce que je ne sens pas Ta Puissance et Ta Force en moi ? » Et la réponse était toujours une réponse souriante (on traduit avec des mots, mais ce n’est pas avec des mots), la réponse est toujours : « Patience, patience, il faut être prêt pour que ce soit. »

4 et 9 mars 1966









Let us co-create the website.

Share your feedback. Help us improve. Or ask a question.

Image Description
Connect for updates