Ce volume comporte les commentaires de la Mère sur les Pensées et Aphorismes de Sri Aurobindo, et le texte de ces Aphorismes.
63 — Dieu est grand, disent les musulmans. Certes, Il est si grand qu’Il peut se permettre d’être faible, chaque fois que cela aussi est nécessaire. 64 — Dieu échoue souvent dans Ses œuvres ; c’est le signe de Sa divinité sans limite. 65 — Parce que Dieu est invinciblement grand, Il peut se permettre d’être faible ; parce qu’Il est immuablement pur, Il peut impunément s’adonner au péché ; Il connaît éternellement toutes les félicités, c’est pourquoi Il goûte aussi la félicité de la douleur ; Il est inaliénablement sage, c’est pourquoi Il ne s’est pas interdit la folie.
63 — Dieu est grand, disent les musulmans. Certes, Il est si grand qu’Il peut se permettre d’être faible, chaque fois que cela aussi est nécessaire.
64 — Dieu échoue souvent dans Ses œuvres ; c’est le signe de Sa divinité sans limite.
65 — Parce que Dieu est invinciblement grand, Il peut se permettre d’être faible ; parce qu’Il est immuablement pur, Il peut impunément s’adonner au péché ; Il connaît éternellement toutes les félicités, c’est pourquoi Il goûte aussi la félicité de la douleur ; Il est inaliénablement sage, c’est pourquoi Il ne s’est pas interdit la folie.
Pourquoi Dieu a-t-il besoin d’être faible ?
Sri Aurobindo ne dit pas que Dieu a besoin de la faiblesse. Il dit que dans un ensemble donné, pour la perfection du jeu des forces, un moment de faiblesse peut être nécessaire aussi bien qu’un déploiement de force. Et il ajoute, tant soit peu ironiquement : puisque Dieu est force toute-puissante, Il peut se permettre d’être en même temps faiblesse, si c’est nécessaire.
Ceci pour élargir le point de vue de certains moralistes qui assignent à Dieu des qualités précises et ne lui permettent pas d’être autrement.
La force telle que nous la voyons et la faiblesse telle que nous la voyons, sont, toutes deux également, l’expression déformée de la Vérité divine, qui est présente, cachée, derrière toutes les manifestations physiques.
Est ce qu’il arrive vraiment que Dieu échoue ou que Dieu soit faible ? Ou est ce simplement un jeu 29 ?
Ce n’est pas comme cela ! C’est justement cela, la déformation de l’attitude occidentale par opposition à l’attitude de la Gîtâ. Il est extrêmement difficile pour l’esprit occidental de comprendre d’une façon vivante et concrète que tout est le Divin.
Les gens sont tellement imprégnés de l’idée chrétienne d’un « Dieu créateur » — la création d’un côté et Dieu de l’autre! Quand on réfléchit, on rejette cela, mais c’est entré dans la sensation, dans le sentiment; et alors, spontanément, instinctivement, presque subconsciemment, on prête à Dieu tout ce que l’on considère comme ce qu’il y a de meilleur, de plus beau ; et surtout, tout ce que l’on veut atteindre, réaliser. Naturellement, chacun suivant sa propre conscience change le contenu de son Dieu, mais c’est toujours ce qu’il considère comme ce qu’il y a de mieux. Et c’est pourquoi aussi, instinctivement et spontanément, subconsciemment, on est choqué par l’idée que Dieu puisse être les choses que l’on n’aime pas ou que l’on n’approuve pas ou qui ne nous paraissent pas les meilleures.
Je dis cela d’une façon un peu enfantine, exprès, pour que l’on comprenne bien. Mais c’est cela — j’en suis sûre, parce que je l’ai observé en moi-même pendant très longtemps, à cause de la formation subconsciente de l’enfance, du milieu, de l’éducation, etc. Il faut arriver à pousser au-dedans de ce corps la conscience de l’Unité, de l’absolue exclusive unité du Divin — exclusive en ce sens que rien n’existe que dans cette Unité, même les choses qui nous paraissent les plus repoussantes.
Et c’est contre cela que lutte Sri Aurobindo, parce que, lui aussi, il a eu cette éducation chrétienne, lui aussi a dû lutter; et ces aphorismes sont le résultat — comme l’épanouissement en fleur — de cette nécessité de lutter contre une formation subconsciente. Parce que c’est cela qui vous fait poser ces questions : « Comment est-ce que Dieu peut être faible ? Comment est-ce que Dieu peut être sot ? Comment... » Mais il n’y a rien d’autre que Dieu! Rien n’existe que Lui, il n’y a rien en dehors de Lui. Et simplement, si quelque chose nous paraît vilain, c’est parce que, Lui, ne veut plus que ce soit — Il est en train de préparer le monde pour que ce ne soit plus manifesté, que la manifestation passe de cet état à quelque chose d’autre; et alors, tout ce qui va sortir de la manifestation active, naturellement, au-dedans de nous, nous le repoussons avec violence, il y a un mouvement de rejet.
Mais c’est Lui. Il n’y a pas autre chose que Lui! C’est cela qu’il faudrait se répéter du matin au soir, du soir au matin, parce qu’on l’oublie toutes les minutes.
Il n’y a que Lui, il n’y a pas autre chose que Lui — rien n’existe que Lui, il n’y a pas d’existence sans Lui, il n’y a que Lui!
Alors, poser une question comme cela, c’est encore avoir le réflexe de ceux qui font une distinction entre ce qui est Divin et ce qui n’est pas Divin, ou plutôt entre ce qui est Dieu et ce qui n’est pas Dieu. « Comment est-ce qu’Il peut être faible ? » C’est une question que je ne peux pas poser.
Je comprends, mais on parle de la lîlâ, du jeu divin, c’est donc qu’Il est, en quelque sorte, en arrière, qu’Il n’est pas vraiment tout à fait « dans le coup », comme on dit, qu’Il n’est pas vraiment, absolument dans le jeu.
Si, si, Il l’est! Il l’est totalement. Le jeu, c’est Lui-même.
On parle de Dieu, mais il faudrait se souvenir qu’il y a tous ces grades de conscience; et quand nous parlons de Dieu et de Son jeu, nous voulons dire Dieu dans Son état transcendant, en dehors de tous les degrés de matière, et quand nous parlons du jeu, nous parlons de Dieu dans Son état matériel. Alors nous disons : Dieu transcendant est en train de regarder et de jouer — en Lui-même, par Lui-même, avec Lui-même — Son jeu matériel.
Mais tout, tout le langage est un langage d’ignorance. Toute la façon de s’exprimer, tout ce que l’on dit et la façon dont on le dit, est nécessairement de l’ignorance. Et c’est pour cela qu’il est si difficile d’exprimer quelque chose qui soit concrètement vrai; cela demanderait des explications qui, elles-mêmes, seraient pleines de fausseté, naturellement, ou qui seraient extrêmement longues. C’est pourquoi, quelquefois, les phrases de Sri Aurobindo sont très longues; justement parce qu’il veut essayer de sortir de ce langage ignorant.
C’est la façon même de penser qui est fausse. Tous les croyants, les fidèles (ceux d’Occident en particulier), quand ils parlent de Dieu, ils pensent que c’est « autre chose », ils pensent qu’Il ne peut pas être faible, laid, imparfait — ils pensent faux, ils divisent, ils séparent. Et c’est une pensée subconsciente, une pensée qui ne se réfléchit pas : on a l’habitude de penser comme cela, instinctivement, et on ne se regarde pas penser. Par exemple, quand on parle de « perfection » d’une façon générale, justement on voit, ou on sent, ou on postule l’ensemble de tout ce que l’on considère comme vertueux, divin, beau, admirable — mais ce n’est pas cela du tout! La perfection, c’est quelque chose où il ne manque rien. La perfection divine, c’est le Divin tout entier, dans lequel il ne manque rien. La perfection divine, c’est l’ensemble du Divin, duquel on n’a soustrait aucune chose — alors c’est juste l’opposé! Pour les moralistes, la perfection divine, ce sont toutes les vertus qu’ils représentent.
Au point de vue véritable, la perfection c’est le tout (Mère fait un geste global), et justement, c’est le fait que rien ne peut être en dehors de ce tout. Il est impossible que quelque chose manque, parce qu’il est impossible qu’il y ait quoi que ce soit qui ne fasse pas partie de ce tout. Rien ne peut être qui ne soit dans ce tout. Je m’explique : dans un univers donné, il se peut qu’il n’y ait pas tout, parce qu’un univers est un mode de manifestation, mais il y a tous les univers possibles. J’en reviens donc toujours à la même chose : il ne peut rien y avoir qui ne fasse partie de ce tout.
Et par conséquent, on peut dire que chaque chose est à sa place, exactement ce qu’elle doit être, et que les rapports entre les choses sont exactement ce qu’ils doivent être.
Mais la perfection est seulement une façon spéciale d’aborder le Divin, c’est un côté, et il y a comme cela d’innombrables côtés, ou angles, ou aspects — d’innombrables modes d’approche du Divin; par exemple : volonté, vérité, pureté, perfection, unité, immortalité, éternité, infinité, silence, paix, existence, conscience, etc., le nombre des approches est presque indéfini; avec chacune on aborde, ou on approche, ou on entre en contact avec le Divin par un côté, et quand on le fait vraiment, on s’aperçoit que c’est seulement dans la forme la plus extérieure que cela diffère, mais le contact est identique. C’est comme si l’on tournait autour d’un centre, d’un globe, et qu’on le voie sous toutes sortes d’aspects, comme un kaléidoscope, mais dès que le contact est établi, c’est pareil.
La perfection est donc une façon globale d’aborder le Divin : tout y est et tout est comme ce doit être — « doit être », c’està-dire expression parfaite du Divin; on ne peut même pas dire de Sa volonté, parce que si l’on dit « Sa volonté », c’est encore quelque chose qui sort de Lui.
On peut dire aussi (mais c’est très, très en dessous) : Il est ce qu’Il est et exactement comme Il veut être — avec le « exactement comme Il veut être », on est descendu d’un nombre considérable de marches! mais c’est pour donner cet angle de perfection.
En outre, la perfection divine implique l’infini et l’éternité, c’est-à-dire que tout coexiste hors du temps et de l’espace.
C’est comme le mot « pureté », on pourrait faire des discours interminables sur la différence entre la pureté divine et ce que les gens appellent « pureté ». La pureté divine, c’est, tout en bas, de n’admettre qu’une influence : l’influence divine — tout en bas. Mais déjà cela, c’est terriblement déformé. La pureté divine, c’est : il n’y a que le Divin, pas autre chose — c’est parfaitement pur, il n’y a que le Divin, il n’y a rien d’autre que Lui.
Et ainsi de suite.
7 juillet 1961
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